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Sarkozy à Toulon: les 10 failles d'un discours raté.

Publié le 02 décembre 2011 par Letombe
Sarkozy à Toulon: les 10 failles d'un discours raté.

Tout ça pour ça !
Le discours comme le candidat décevant. On attendait une vision, des propositions nouvelles, le courage d'assumer une campagne. Nous n'eûmes droit qu'à des répétitions d'arguments rabâchés depuis un an, quelques piques politiciennes sans rapport avec les enjeux annoncés, et un vide sidéral de propositions concrètes.
Ce jeudi à Toulon, Nicolas Sarkozy réécrivait l'histoire sans préparer la suivante.
1. Candidat, évidemment.
A partir du 15 décembre, dans deux semaines donc, le Monarque se fera plus rare dans les médias. C'était donc la fin de la tournée, après près de 70 déplacements provinciaux depuis janvier dernier. A 18h30, il n'était pas là, sur l'estrade. Comme en septembre 2008, Nicolas Sarkozy s'était réservé un Zénith. Il avait salle comble. Les supporteurs étaient sagement assis, tous des militants UMP soigneusement invités et acheminés par bus entiers. Des hommes en noir circulaient dans les allées.
La mise en scène, gérée par les caméras élyséennes, offrait quelques plans sur l'assistance majoritairement blanche et âgée.  Les fanions et banderoles des militants avaient été bloquées à l'entrée. L'Elysée ne voulait pas trop prêter le flanc aux accusations de meeting électoral. Pourtant, c'en était bien un.
Quand il arriva, vers 18h36, la salle se leva d'un bond, les applaudissements étaient ultra-nourris. Ces militants lui laissèrent vingt minutes de monologue tranquille, avant de reprendre, par salves, leurs applaudissements. Le candidat attaqua « la retraite à 60 ans et les 35 heures », qui « ont été des fautes graves dont nous payons aujourd’hui lourdement les conséquences et qu’il nous a fallu réparer »; fustigea ceux qui voudraient nous faire « renoncer à notre place de membre permanent du conseil de Sécurité et à notre droit de véto ne serait ni plus ni moins qu’une faute », ou qui contestent notre avenir nucléaire. Il détesta la VIème République car « l’époque des marchandages entre partis » serait révolue.
A la fin de l'intervention, 52 minutes plus tard, Sarkozy se leva pour chanter une Marseillaise incomplète avec un Zenith debout. Image troublante d'un candidat en campagne qui voulait faire croire qu'il n'était que président au travail.
Candidat, d'accord, mais avec quel programme ?
2. Réécrire Toulon 2008
Ce fut le premier leit-motiv de cette petite heure de discours électoral. Sarkozy commença d'abord par jouer au pédagogue besogneux. Avant de raconter une nouvelle histoire, il fallait d'abord réécrire l'ancienne.
« Il y a trois ans, le 25 septembre 2008, au pire moment de la tourmente financière qui allait plonger l’économie mondiale dans la plus grande crise depuis la deuxième guerre mondiale, c’est dans cette même salle que je me suis adressé aux Français.» Le ton était posé, Sarkozy avait le visage sombre, les yeux rivés sur le discours d'Henri Guaino.
« Je n’ai pas écouté ceux qui me conseillaient de ne rien dire de peur qu’en disant la vérité, on créât la panique ». La formule était osée. En septembre 2008, Nicolas Sarkozy tarda à réagir plus qu'ailleurs, incapable de comprendre ce qui se déroulait devant lui.
Dire la vérité ? Il prononça douze fois l'expression dans la suite de son discours. « Cette vérité, les Français étaient prêts à l’entendre. Leur dire la vérité, c’était leur dire que la France ne pouvait pas rester à l’abri d’une crise planétaire. C’était leur dire que cette crise était grave, qu’elle allait durer, qu’elle aurait des conséquences sur la croissance, sur le chômage, sur le pouvoir d’achat. »
En disant « sa vérité », Nicolas Sarkozy mentit beaucoup, au détour d'un argument: « Dire la vérité aux Français, c’était leur dire que l’État ne pouvait pas indéfiniment financer ses dépenses courantes et ses dépenses de solidarité par l’emprunt, parce qu’un jour, il faut payer ses dettes ». A Toulon, en septembre 2008, Sarkozy se défendait au contraire de toute rigueur. Depuis, nous eûmes 2 plans de rigueur et un troisième se prépare. Son paquet fiscal - une dizaine de milliards d'euros d'allègements annuels - venait d'entrer en vigueur depuis un an à peine. On avait juste oublié son autre promesses de candidat, celle de réduire de 68 milliards d'euros en 5 ans les prélèvements obligatoires.
3. Rabâcher
Il répéta aussi qu'en aidant les banquiers et leurs actionnaires, « Ce sont les économies des Français qui ont été sauvées », et par ricochet l'économie et l'emploi. Quelques minutes avant que Sarkozy ne parle, on apprenait des Echos que les banques françaises avaient perdu quelque 100 milliards d'euros de dépôts sur le seul mois de septembre. 
Pêle-mêle, le candidat rabâcha également qu'il disait déjà qu'il faudrait « travailler davantage et non pas moins » (un million de chômeurs supplémentaires plus tard, la formule fait pleurer), et « accélérer le rythme des réformes » (il a lui-même détricoté son propre paquet fiscal de 2007).
Bien sûr, avec son ton grave, son visage sombre, Nicolas Sarkozy voulait être protecteur, compréhensif. Il avait sauvé tous les « centimes » de nos dépôts. Il savait que «beaucoup de Français ont souffert et continuent de souffrir », que « chacun a dû faire des efforts, chacun a dû faire des sacrifices ». Même les plus riches, d'ailleurs. Contraint par la crise, il a a dû leur imposer une contribution exceptionnelle et temporaire de 3% de leurs revenus tant que notre budget serait déséquilibré...
4. Réécrire Sarkozy
Le candidat Sarkozy avait fait le tri. Il mentait par omission. Il oublia de mentionner l'absence de régulation des marchés financiers et des banques - fer de lance de son précédent discours de Toulon; rien ne fut dit sur l'incroyable injustice et inefficacité de notre système fiscal, de ses cadeaux à la rente et au capital (les 2 milliards d'allègement de l'ISF pour « compenser » la suppression du bouclier fiscal.
Mais il voulait surtout qu'on le comprenne lui. Il a fait des efforts. « En 2008, j’ai dit que le capitalisme devait être refondé. J’ai dit qu’il fallait moraliser la finance. Le G20 que la France avait voulu, contribua à sauver la confiance qui se trouvait partout ébranlée.»
Tout n'a pas été accompli, et d'ailleurs, il est le premier à s'en énerver. « Depuis le début de la crise de la dette, reconnaissons-le, l’Europe a déçu. Pas assez vite, pas assez loin, pas assez fort. J’entends ces critiques. Parfois, j’ai partagé l’impatience des observateurs. » dira-t-il à la fin de son discours.
Mais ce n'était pas de sa faute: « Depuis le début de la crise de la dette, reconnaissons-le, l’Europe a déçu.» Sur la fin, il se défausse : « Le Traité de Maastricht s’est révélé imparfait. Il prévoyait des mécanismes de préventions, mais bien lacunaires, des sanctions, peu appliquées et aucun instrument d’urgence.» Il se cherche des excuses : « Nous avons dû tout réinventer, tout reconstruire, et nous avons redécouvert que parfois nos conceptions de la politique économique ou de l’union monétaire étaient demeurées différentes, en dépit de 10 ans de vie commune
Tout réinventer ? Mais qu'a-t-il réinventé ?
5. Rater l'Histoire
Pour expliquer la crise, l'argument sarkozyen fut pauvre. La crise financière serait la seule grande cause de nos tourments. On sait pourtant que le retournement de cycle économique en Europe débuta dès avril 2008. En France, le chômage reprit sa hausse à cette date, plus de six mois avant l'éclatement de la bulle de la dette.
Et d'où venait cette crise de la dette ? Ce jeudi, le professeur Sarkozy allait nous donner l'explication suprême, celle que nous attendions tous, impatients de comprendre pourquoi donc le monde nous faisait ainsi souffrir. « Il faut chercher les causes communes qui ont conduit le monde dans la situation où il se trouve aujourd’hui. » Il l'avait, lui, l'explication. Il l'a cherché, et il l'a trouvé. Simpliste à souhait, il n'en avait qu'une:  « C’est dans l’instauration, à partir de la fin des années 70, d’une mondialisation sans règle autre que celles qui garantissaient la liberté du commerce que se trouve l’origine des difficultés actuelles.»
La révélation devait si énorme que Nicolas Sarkozy s'accrocha à son texte et son pupitre pour ne pas raté sa démonstration. Cet exercice de story-telling historique fut impressionnant d'abnégation simplificatrice: « A la fin des années 70, par une sorte de retour du balancier, l’idéologie du laisser-faire a triomphé au point de faire oublier au monde toutes les leçons qui avaient été tirées de la Grande Dépression des années 30. La globalisation financière s’est installée pour compenser artificiellement les ravages que la mondialisation sans règle provoquait dans les économies des pays développés.»
Fichtre ! Sarko le gaucho serait-il encore parmi nous, au moins dans les discours ?
6. Libéral honteux
Rassurez-vous. Sarkozy, sur ce point, n'a pas changé. La dette a vérolé nos économies parce qu'avant Lui, personne n'était rigoureux. Sarkozy dénonça notre « modèle social qui croulait sous les déficits », et la « baisse inacceptable du niveau de vie des ménages  » compensée par l'endettement.
« Ainsi les pays développés ont-ils cherché leur salut dans la seule voie qui leur restait : la fuite en avant dans l’endettement.» Heureusement, Sarkozy était notre Guide. Il savait d'où nous sortions, et où nous allions. Dans son exercice d'auto-défense, Sarkozy se voulut à nouveau prophète. Nous entrons, promet-il, dans un nouveau cycle économique.

« Ce nouveau cycle économique qui s'annonce sera très différent: ce sera un grand cycle de désendettement

7. Zéro politique
Qu'on se le dise. Sarkozy ne faisait plus de politique, car il n'y a plus de politique. L'essentiel de cet exercice toulonnais était de marteler qu'il n'y avait plus aucun choix que de le suivre lui. Pour ce, le Monarque n'évita aucune caricature, aucune simplification:
« Il y a trois façons de répondre à la crise. La première, c’est de la nier. Expliquer que ce n’est pas grave, que la crise n’est qu’un prétexte. » Qui le prétend ? L'ensemble des forces politiques du pays ne cessent de rappeler combien la crise est grave.  « La seconde, c’est de faire le choix exclusif de l’austérité, de la rigueur, de la déflation. Ce serait le choix de la baisse des salaires et des retraites. » et, enfin, « il y a un autre choix possible.» On tendit l'oreille, impatient de découvrir cette alternative qui n'en était pas une. Ce choix proposé par Sarkozy n'était que « de répondre à la crise par le travail, par l’effort et par la maîtrise de nos dépenses
Et voici notre candidat empiler les évidences : 

« Entre la baisse des retraites et travailler plus longtemps, je choisis la deuxième solution. Entre gagner moins et travailler davantage, je suis convaincu que la deuxième solution est préférable à la première, qu’elle est plus juste et qu’elle nous permettra de sortir de la crise au lieu de l’aggraver.»

De qui se moque-t-il ? Quelques 6 millions de chômeurs, inscrits ou non à Pôle Emploi, gagnent moins et travaillent moins.
8. Zéro propositions
Depuis plus d'un an, Nicolas Sarkozy ne promet plus d'agir, il promet de parler.
Pendant ses 52 minutes de discours, il fut avare en propositions. A défaut, il partagea sa « vision »: « Pour rendre aux Français la maîtrise de leur avenir, il faut rendre à la France la maîtrise de son destin. Et pour cela elle doit entrer de plain-pied dans le nouveau cycle économique. Elle doit s’y préparer.»
La solution est connue: il faut réduire la dette. Encore une fois, une évidence de premier degré. Jamais le Monarque, dans ses explications vaseuses n'évoque-t-il pas l'absence de régulation sérieuse imposée aux banques françaises depuis leur sauvetage en 2008. Jamais n'évoque-t-il la défiscalisation massive des revenus du capital aux détriments du travail depuis trois décennies, ni l'interdiction faite aux banques centrales, voici 30 ans également, de prêter aux Etats.
« En réduisant nos déficits, nous diminuons l’emprise que les marchés exercent sur nous, nous préservons la maîtrise de notre destin.» Un surendetté libre libre de rembourser ses prêteurs, quel avenir !
Sur l'Europe et l'euro, «une crise de crédibilité, une crise de confiance », il promet encore un sommet franco-allemand, dès lundi, avec Angela Merkel. Jusqu'à maintenant et depuis un an, il a échoué à convaincre la chancelière allemande. Avait-il une idée nouvelle à proposer ? Non, il rabâche: « tous les pays de la zone Euro seront solidaires les uns des autres ». Il disait cela en août dernier. « La BCE est indépendante », Angela Merkel lui a fait avaler cette contrainte, en public, la semaine dernière. Il voudrait une règle d'or « qui inscrira dans son ordre juridique l’objectif d’équilibre budgétaire », lui qui a aggravé notre endettement public de 400 milliards d'euros en 4 ans, dont seuls 200 sont imputables à la crise. Sarkozy veut la « convergence », qui « doit être le maître mot de la zone euro », alors qu'il rechigne encore à ajuster ses propres prévisions économiques sur les celles de ses voisins...
9. Zéro courage
Son unique annonce concrète fut l'organisation d'un sommet pour l'emploi en janvier. Sarkozy le présenta comme une épreuve de vérité et courage, une de plus, contre un ennemi imaginaire.
Depuis juin 2007, il avait tous les pouvoirs, législatifs et institutionnels. Il a multiplié les Grenelles en tous genres, les commissions de réflexions distrayantes, les groupes d'experts. Et pourtant, jamais n'eut-il le courage, le vrai, d'organiser un Grenelle pour l'emploi.
Sur le tard, le voici qu'il donne des leçons de courage aux autres. « Il faudra avoir le courage d’affronter les grandes questions et de lever les tabous sur les freins à la compétitivité française. »
10. Bouc-émissaires
En trois ans, Sarkozy avait aussi dû changer de boucs-émissaires. Le méchant trader et l'irresponsable banquier furent remisés au placard. Et Sarkozy ne croyait pas «  qu’il serait économiquement juste, ni moralement acceptable d’imputer aux Français les difficultés que nous vivons.» Non, chers Français, vous souffrez parce qu'on vous a menti et qu'il y a des fraudeurs. Sarkozy tenta une partition incommode et peu convaincante.
Ces Français « ne consomment pas plus qu’ils ne gagnent. Au contraire, ils épargnent.» Le Monarque loua les « atouts exceptionnels » du pays, pour mieux accentuer les « efforts » nécessaires à leur sauvetage.
Les ennemis sont ailleurs. Vous les connaissez, ce sont d'abord ces irresponsables prédécesseurs qui n'ont pas su équilibrer un seul budget depuis 1974; et surtout ceux qui ont instauré la retraite à 60 ans et les 35 heures. Sarkozy a pu défendre sa réforme des retraites, sans parler du fond, c'est-à-dire de la répartition des efforts.
Second bouc-émissaire, les « profiteurs du bas ». Selon le Président des Riches, «  il est apparu une nouvelle inégalité celle qui fait la vie plus difficile à ceux qui travaillent au bas de l’échelle par rapport à une minorité qui voudrait profiter du système sans assumer sa part des devoirs ». La salle applaudit bien fort, contre ces fraudeurs qui abusent du système quand les autres triment; ces fainéants qui cumulent les minimas sociaux.  
Et enfin, last but not least, les immigrés. Il fallait un couplet sur la souveraineté:  «nous refuserons d’effacer nos frontières ». Qui le demande ? Les Grecs ? « Ainsi, nous n’accepterons pas une immigration incontrôlée qui ruinerait notre protection sociale, qui déstabiliserait notre société, perturberait notre façon de vivre, bousculerait nos valeurs.»
La salle applaudit, évidemment fortement.
Un président en campagne ou un candidat qui se planque, des platitudes rabâchées ou des réécritures de l'histoire sans surprise, ce discours de Toulon fut à l'image de son auteur, décevant.

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