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Minority Report : la République de la science-fiction

Publié le 03 mars 2008 par Lgb

Suite à une activité barnumesque et anticonstitutionnelle absolument frénétique, N. Sarkozy a été contraint de repousser le match qui devait l'opposer à Caligula. La rencontre aura donc lieu vendredi 29 février et sera retransmise par Le Grand Barnum dimanche 2 mars, à partir de 19 heures 30.Minority Report : la République de la science-fiction

N. Sarkozy aime le bon gros cinoche, les scènes qui font boum et Tom Cruise. Et comme l'un des principes du Barnum est de mélanger réalité et fiction, notre Président a conçu l'idée -somme toute normale pour un esprit médiatico-postmoderne comme le sien- d'utiliser sa fonction pour tourner, à l'échelle d'une nation entière, le grand remake d'un film où Tommy avait brillé il y a quelques années : Minority report.

1. Le movie

Minority report, réalisé par Spielberg à partir d'une extraordinaire nouvelle de Philip K. Dick, est un - plutôt bon - film de science-fiction qui se déroule en 2054, à une époque où le crime a disparu grâce à une incroyable trouvaille : arrêter les criminels avant la perpétration du crime.

Mais comment la chose est-elle possible ? Grâce à trois jeunes gens dont le patrimoine génétique a été modifié à cause de leur pov' maman qui, issue des bas-fonds, tentait d'oublier sa misère en gobant des drogues synthétiques : cette mère indigne leur avait donc bousillé la cervelle quand ils étaient encore des foetus... Comme les fleurs poussent sur le fumier, la brave dame, privée de stock-options et incapable d'être trader, avait néanmoins rendu service à l'humanité en mettant au monde des triplés attardés, mais dotés de pouvoir extralucides : les charmants bambins étaient en effet capables de voir les crimes en gros 1/2 heure avant qu'ils soient véritablement perpétrés. On nomma donc ces petits génies les " Pre-cogs ".

Minority Report : la République de la science-fiction

Un exemple de Pre-Cog en transe

Un gros ordinateur très-compliqué lit les visions de nos devins directement dans leurs cervelles ramollies (ils roupillent en permanence dans du liquide amniotique) et prévient Tom Cruise, le flic en chef de la Pre-Crime Division, l'équipe policière chargée de combattre les crimes qui n'ont pas encore eu lieu.

Minority Report : la République de la science-fiction

À la tête de gros musclés équipés de fusées dorsales et d'armes démentielles (dont un machin appelé le Vomitrix, sorte de bâton qui fait abominablement gerber celui qui en est frappé et le met hors de combat : mieux encore que le Taser, parce que plus rigolo à utiliser sur les suspects, pourvu qu'on ait un bon pressing à portée de main), Tom file attraper le futur coupable. Là-dessus, le dit pré-coupable est enfermé sans jugement, à vie, dans une sorte d'énorme congélateur, avec tous ses copains les futurs-criminels, sans télé ni rien, vu que, de toute façon, ils sont congelés comme des colins panés.

Minority Report : la République de la science-fiction

Un suspect attendant le coup de Vomitrix qui lui filera une gastro-entérite immédiate, digne d'un boui-boui de Bénarès

Et puis... un bug. Alors que Tom, tranquillement installé dans les bureaux de la " Pre-Crime Division ", se gratte le nez faute de boulot (" Nobody is foolish enough to even think of commiting a crime ", on croirait du Hortefeux dans le texte), le grand bazar électronique se met à brailler, et Tommy découvre... qu'il va lui-même commettre un crime (un bel assassinat en l'occurrence). Stupeur, il est policier, et un policier, ça ne fait que du bien ! Que faire ? Endosser son statut de criminel en puissance, sans bien comprendre de quoi il retourne. Il prend donc la poudre d'escampette, se bat, éclate des mecs à grands coups de Vomitrix, couvre deux trois fois l'écran entier de résidus alimentaireset découvre, oh surprise!, que le système n'est pas parfait. Que parfois, les visions des pre-cogs sont contradictoires et que l'ordinateur conserve toujours la version la plus défavorable au suspect. Bref, que le système élimine les visions minoritaires : deux visions annonçant le crime, une annonçant qu'il n'aura pas lieu, le principe de précaution fait que l'on coffre le pauvre type concerné. C'est ce qu'on appelle " l'élimination du rapport minoritaire. " D'où des scènes pathétiques où Tommy court partout en beuglant " I want my minority report "...

Minority Report : la République de la science-fiction

Tom veut vraiment son minority report

Ensuite, ça finit bien et on ferme la " Pre-crime division ", qui est désormais considérée par tout le monde comme une monstruosité. Comment a-t-on pu, nous dit le bon peuple, enfermer de pauvres gens qui n'avaient commis aucun crime ? Changement brutal, évidemment : pendant 15 ans, tout le monde avait trouvé le principe absolument épatant...

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B. Hortefeux défend le concept de Pre-Crime devant un parterre de journalistes aux ordres, en 2054

2. Le remake

Ce qui est bien, avec les remakes, c'est surtout qu'on peut changer la fin. En circulant sur le site internet de l'Elysée, le lecteur curieux finit par rencontrer le texte suivant, et doit se pincer pour y croire :

Publié le 22-02-08 à 19:18

Déclaration du Porte-parole suite à la validation par le Conseil Constitutionnel de l'introduction de la rétention de sûreté dans notre droit.

Le Président de la République se réjouit que le Conseil Constitutionnel ait validé l'introduction de la rétention de sûreté dans notre droit.
Cette mesure permettra d'empêcher la libération pure et simple d'un criminel à l'issue de sa peine, alors même qu'il a refusé d'être soigné pendant son incarcération et que tous ceux qui le suivent, surveillants, travailleurs sociaux, médecins, sont convaincus que l'intéressé est toujours dangereux et qu'il va récidiver.
La rétention de sûreté est la réponse à cette récidive annoncée.

La chose se trouve là:

http://www.elysee.fr/documents/index.php?lang=fr&mode=view&cat_id=5&press_id=1082

(pas de lien direct: pas envie de générer du trafic pour le site de l'Elysée)

Le remake aura donc lieu même si les producteurs (le Conseil constit en l'occurrence, rien que ça) ont refusé leur accord (beau tour de passe-passe sarkozyen, soit dit en passant). Des gens, dotés de pouvoirs visionnaires, pourront décider que des individus vont commettre immanquablement un crime. La Présidence de la République d'un pays démocratique et à peu près évolué peut affirmer que l'on va sévir contre des " récidives annoncées" . Que l'on va mettre dans un gros congélateur, sans jugement, à coups de Vomitrix, des individus, en se fondant la " conviction qu'il vont récidiver ". Que, de toute façon, on ne punira ainsi que ceux qui refusent de se soigner, alors même que nos prisons n'offrent aucun suivi thérapeutique digne de ce nom. Bref, on sévira contre des infractions prévisibles. La science-fiction est pour demain...

Génie du remake : quand P. K. Dick et Spielberg cherchent à composer des oeuvres qui dénoncent le danger d'un système de " prédiction " aboutissant à la punition de crimes qui n'ont pas été commis, Sarkozy reprend le canevas et en renverse la logique. À moins qu'il n'ait pas compris le film ?

Restent trois questions, de taille :

1. Si Hortefeux vire tous les sans-papiers et nous fabrique une belle société propre (parce que le crime et la drogue, c'est les sans papiers, non ?), où allons-nous trouver une pov' môman droguée pour mettre au monde des Pre-cogs ?

2. Dans le déni de justice généralisé que nous ont concocté Dati et ses butors amoureux de la tradition beccarienne, qui va se charger d'aller dénicher les minority reports ?

3. Dans le film de Spielberg, le spectateur est tout d'abord contraint d'adopter le point de vue des flics du futur. Puis, petit à petit, il glisse dans celui de l'individu traqué par cette machine démente... À quelle condition peut-on espérer le même glissement dans la société française ?

Minority Report : la République de la science-fiction

- un post sur ADICIE consacré au même sujet

- un " Rebond " dans Libé

- L'halluciante interview du Parisien...

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