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Étriqué par Pierre Moscovici

Publié le 03 décembre 2011 par Letombe

moscovici pierre11Impossible, aujourd’hui, d’échapper au « discours de Toulon » de Nicolas Sarkozy, qui a saturé l’espace médiatique, squatté les écrans, envahi les commentaires de la presse. Il s’agissait d’une gigantesque opération de communication, cela n’a échappé à personne, mais aussi d’une profession de foi du candidat Sarkozy, non dénuée de sens. Je veux y répondre.

Je le redis ici – ce n’est pas anecdotique, mais sérieux et même grave – il est inacceptable que le premier responsable français fasse ainsi campagne, aux frais du contribuable, au mépris des lois sur le financement de la vie politique

Une évidence, d’abord, ce fut un discours de campagne, autant et plus qu’une intervention de chef de l’Etat. Nicolas Sarkozy est certes encore Président de la République pour cinq mois, il fait désormais à peine semblant d’incarner l’intérêt général et de respecter la discipline qu’impose sa fonction. Je le redis ici – ce n’est pas anecdotique, mais sérieux et même grave – il est inacceptable que le premier responsable français fasse ainsi campagne, aux frais du contribuable, au mépris des lois sur le financement de la vie politique – fort peu appliquées il est vrai s’agissant de l’élection présidentielle, comme l’a confessé hier un ancien membre du Conseil constitutionnel à propos de la validation des comptes de campagne d’Edouard Balladur en 1995. C’est à la fois une indécence, une injustice et une illégalité. Les Français, j’en suis sûr, n’en sont pas dupes, et ne l’apprécient pas. Pour ma part, j’ai été mal à l’aise de voir cette salle peuplée uniquement de militants UMP, au garde à vous, écouter un candidat critique, caricaturer la gauche sur les deniers publics. Ce n’est pas l’image que je me fais de la France et de notre République.

Toulon 2 montre l’ampleur des échecs, des approximations, des mensonges du candidat-Président.

Nous avons aussi assisté à un discours d’aveu, ou de reniement. Quelle drôle d’idée, au fond, d’être revenu à Toulon, où Nicolas Sarkozy avait prononcé, en 2008, un discours « de vérité » face à la crise, qui s’est avéré être une supercherie ! Toulon 2 montre l’ampleur des échecs, des approximations, des mensonges du candidat-Président. Celui-ci avait alors annoncé la sortie de crise et le retour de l’Etat : nous entrons en récession, et le marché triomphe, le capitalisme sans règles domine. Il avait promis la moralisation du capitalisme financier, celui-ce ne connait aucune limite : les bonus sont toujours là, les traders fous prospèrent, les agences de notation sanctionnent toujours sans contrôle. Il avait annoncé une fiscalité écologique : il y a renoncé. Il avait promis de refuser l’austérité et de partager justement les efforts : la rigueur extrême est là, et la justice sociale et fiscale n’est pas. En vérité Nicolas Sarkozy a eu tort de revenir sur les lieux du crime : il a ainsi signé sa faute.

 

Nicolas Sarkozy était, hier soir, loin, très loin des Français et de leurs préoccupations. Lequel d’entre eux pouvait trouver un écho à ses inquiétudes, une perspective pour ses enfants, une solution à ses problèmes – le chômage qui frappe, le pouvoir d’achat qui stagne, l’industrie qui décline, la protection sociale qui s’érode – dans ce discours abstrait, glacé, promettant seulement l’austérité ?

Fut-ce un discours historique ? J’en doute, je ne le crois vraiment pas en fait. Le candidat sortant a voulu se montrer présidentiel, sa posture était calme, son débit plus lent qu’à l’accoutumée, il s’est gardé d’effets oratoires – on sentait au moins autant la patte du sage secrétaire général de l’Elysée, ancien du Trésor, Xavier Musca, que du « serial writter » aux accents séguinistes, Henri Guaino. Posant en majesté au dessus du drapeau français, et pour faire bonne mesure du drapeau allemand, il a cherché à donner une image de force, de sérénité. Bref, la communication régnait en maître dans cette opération. Pourtant, un je-ne-sais-quoi m’a gêné, j’y ai réfléchi et je l’ai défini : Nicolas Sarkozy était, hier soir, loin, très loin des Français et de leurs préoccupations. Lequel d’entre eux pouvait trouver un écho à ses inquiétudes, une perspective pour ses enfants, une solution à ses problèmes – le chômage qui frappe, le pouvoir d’achat qui stagne, l’industrie qui décline, la protection sociale qui s’érode – dans ce discours abstrait, glacé, promettant seulement l’austérité ? Poser la question, c’est y répondre : Nicolas Sarkozy se parlait en fait à lui-même, et de lui-même.

il s’agit désormais de « travailler plus pour ne pas gagner moins », autrement dit de l’obsession de défaire les 35 heures sans augmenter les salaires.

Sur quoi, en effet, débouche la péroraison sarkozyste ? On n’en retiendra, au fond, que trois choses. D’abord, que les promesses de 2007 sont définitivement enterrées – à dire vrai, on s’en doutait – et que le nouveau monde, la nouvelle étape offerts par le candidat UMP n’ouvrent pas d’autre espoir que l’austérité pour l’éternité. En 2007, l’ancien ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac mettait en avant la « valeur travail » – c’était le fameux « travailler plus pour gagner plus ». Aujourd’hui, il parle toujours du travail, mais son ambition est dégradée – il s’agit désormais de « travailler plus pour ne pas gagner moins », autrement dit de l’obsession de défaire les 35 heures sans augmenter les salaires. Nicolas Sarkozy a aussi proposé la réunion d’un « sommet social » en janvier. Je ne vois pas, en vérité l’intérêt autre qu’électoral de ce rendez-vous, consenti par un Président en fin de course, privé de toute crédibilité, sans grain à moudre. Les organisations syndicales décideront de l’attitude qu’elles doivent tenir. En toute hypothèse, ce ne peut être qu’un sommet sans perspectives, sans vraie légitimité, en bref un sommet de dupes.

Pour autant, s’il est nécessaire et même indispensable, le tandem franco-allemand n’est pas suffisant, il ne saurait être exclusif : là est l’erreur de Nicolas Sarkozy. L’Europe a une ambition, une visée plus vaste, celle d’unifier les peuples à l’échelle du continent, d’y promouvoir un modèle économique, culturel, social, environnemental, original.

Reste la grande affaire : le « grand dessein européen » de Nicolas Sarkozy. Pour moi, il se définit d’un mot : étriqué. L’Europe du candidat sortant, pour résumer, c’est une union franco-allemande cimentée par un traité d’austérité. Cette vision est, pour moi, erronée sur bien des points. Un mot, d’abord, sur le couple franco-allemand. J’y suis attaché, et je demande qu’à gauche on se défie de la moindre expression qui réveille un sentiment anti-allemand que l’histoire a banni, dont elle a montré la nocivité. Hors de la bonne entente entre la France et l’Allemagne, il n’est point de salut en Europe : le binôme que nous formons est aujourd’hui comme hier, aujourd’hui plus qu’hier peut-être, le moteur, le ciment de l’Europe. François Hollande le sait, il en est convaincu, il en parlera d’ailleurs dès dimanche à Berlin, au Congrès du SPD, dont il est l’invité. Pour autant, s’il est nécessaire et même indispensable, le tandem franco-allemand n’est pas suffisant, il ne saurait être exclusif : là est l’erreur de Nicolas Sarkozy. L’Europe a une ambition, une visée plus vaste, celle d’unifier les peuples à l’échelle du continent, d’y promouvoir un modèle économique, culturel, social, environnemental, original. Elle ne peut se confiner à un tête à tête de puissances « AAA » – au demeurant inégales – enfermées dans un dialogue intergouvernemental. Ce serait une formidable régression : je ne l’accepte pas.

Le nouveau traité européen proposé par Nicolas Sarkozy à Angela Merkel est-il enfin, la pierre philosophale ? Non, je ne le crois pas, je pense même tout le contraire. D’abord parce que ce traité sera, s’il voit le jour, exagérément restreint. Il s’agit en fait d’une idée allemande, ou plutôt pour être précis d’une idée des conservateurs allemands, de la CDU/CSU d’Angela Merkel, destinée à satisfaire l’obsession de la stabilité chère à son électorat. Le projet de la Chancelière est clair, elle l’a explicité ce matin lors d’un discours au Bundestag : elle souhaite une « union budgétaire », une « union de la stabilité » dont l’élément central sera un plafond d’endettement. Nicolas Sarkozy fait sienne cette conception, parce qu’il est faible et parce qu’il a affaibli la France : il suit, Madame Merkel décide. Cette relation déséquilibrée n’est pas porteuse de sens et d’avenir.

C’est pourquoi je crains que cette initiative, loin de rassurer, ne nous fasse perdre du temps et qu’elle ne soit rejetée : la judiciarisation de l’Europe, le contrôle par la Cour de justice de nos politiques budgétaires n’est pas acceptable pour la France, ni j’en suis sûr par beaucoup de nos partenaires.

Je ne crois pas, ensuite, à la nécessité d’un tel traité. Pour avoir été ministre des Affaires européennes à l’époque du traité de Nice, membre de la Convention européenne, puis vice-Président du Parlement européen à l’occasion du débat sur le TCE, je sais d’expérience, que la ratification d’un traité est un processus long, complexe, qui divise. C’est d’autant plus vrai dans la situation présente, où personne ne sait s’il s’agit d’un traité de l’Union à 27 – ce qui est la conception de nos voisins extérieurs à l’euro – à 17 – c’est l’idée d’Angela Merkel – ou à quelques uns – ce que semble vouloir Nicolas Sarkozy. Cela ne répond pas, en vérité, à l’urgence du moment : la sortie de la crise économique et financière par le haut, qui suppose une Europe volontaire et pas une Union punitive. C’est pourquoi je crains que cette initiative, loin de rassurer, ne nous fasse perdre du temps et qu’elle ne soit rejetée : la judiciarisation de l’Europe, le contrôle par la Cour de justice de nos politiques budgétaires n’est pas acceptable pour la France, ni j’en suis sûr par beaucoup de nos partenaires.

Au final, je trouve donc le discours de Toulon à la fois étriqué et anxiogène, pour tout dire à côté de la plaque. La solution réside davantage dans le pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance proposé par François Hollande à Bruxelles, qui suppose entre autre l’octroi à la BCE d’un rôle de prêteur en dernier ressort – qu’elle s’apprête d’ailleurs à exercer – la mise en place d’euro-obligations et une initiative de croissance européenne. C’est cette thèse qu’il va développer à nouveau à Berlin, avec le projet d’une relation franco-allemande à la fois forte et équilibrée. C’est cette vision dont les Français ont besoin. Il ne faut pas, vraiment, qu’il y ait un Toulon 3. Pour cela, l’alternance en 2012 est un impératif catégorique.

Pierre Moscovici

Directeur de campagne de François Hollande

http://www.pierremoscovici.fr/pierremoscovici/


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