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L'analyse sociale des marchés : le marketing du XXIème siècle ?

Publié le 04 décembre 2011 par _

 

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L'étude de marché classique est morte. L'approche statistique d'un marché en termes de volume et de valeur n'est plus suffisante à la mise en place d'une stratégie marketing efficace, en particulier pour les marchés où se trouvent la croissance d'aujourd'hui : les marchés émergents. Les entreprises qui désirent réellement profiter de la croissance mondiale en proposant leurs produits sur les marchés émergents n'échapperont pas à l'impératif d'une analyse sociale des marchés.

Oubliez les matrices, les statistiques, les données « brutes » (et mortes) ou les équations différentielles. C'est d'humain et de culture qu'il s'agit. Il va falloir être plus fin et plus qualitatif pour appréhender la demande sur ces marchés. De la mathématique, il va falloir convertir l'analyse économique en sociologie, anthropologie ou histoire. Mais pas de panique, de nombreux auteurs ont déjà travaillé sur ces questions, même s'ils ont été un peu oublié par les économistes d'aujourd'hui : Thorstein Veblen1, Maurice Halbwachs2, André Nicolaï3, et plus largement les travaux de sociologie économique qui ont été réalisés sur la consommation4.

Que nous apprennent ces travaux ? D'abord que la demande ne répond pas à des impératifs rationnels de besoins ou même d'utilité mais qu'elle est construite socialement et culturellement. C'est donc la manière d'utiliser tel ou tel produit qui va être importante pour un consommateur plutôt que le produit lui-même et ce qu'il va permettre de faire. L'équation hyper-simpliste qui fait correspondre une demande à une offre ne fournit donc pas la bonne vision pour appréhender un marché.

Ces travaux montrent également en quoi les techniques de marketing peuvent orienter ou même créer socialement un marché pourtant jusqu'ici irrecevable culturellement dans une société. Il y aurait ainsi une « intermédiation marchande » dans laquelle l'offre serait façonnée à partir de représentations de la demande, laquelle équiperait à son tour les consommateurs de grilles de lectures possibles de l'offre (via la marque, le packaging, le logo, les labels, etc.).

Quels apports pour le marketing du XXIème siècle ? Bien sûr une nouvelle manière de penser le marché. Mais concrètement, je citerais la méthode d'analyse des trajectoires d'achat des consommateurs que propose Madame Sophie Dubuisson-Queller5 . À partir d'une analyse précise des actions des consommateurs, Mme Dubuisson-Queller a ainsi construit une grille d'analyse établissant une typologie des formes d'arbitrage dans les choix des consommateurs : Routine, Délibération et Sélection.

Dans la forme « routine », le consommateur obéit à des automatismes à partir d'une seule information sur le produit (pouvoir de la marque en général). Mme Dubuisson-Queller précise : « Ces pratiques routinières d'achat constituent à la fois une force et une fragilité pour les fabricants qui en sont bénéficiaires, elles garantissent des actes d'achat très automatisés, mais peuvent aussi se défaire brutalement car la déception est en général fatale à une routine ».

Dans la forme « délibération », le consommateur hésite longtemps et ouvre l'espace de mise en concurrence. Ici, il est attentif à toutes les informations disponibles sur les produits et se réserve même le droit d'acheter plus tard. Il est attentif aux arguments des marques.

Enfin, la forme « sélection » illustre une situation où le consommateur sait ce qu'il va acheter mais opère un petit calcul pour le choix du produit suivant notamment le prix, la date de péremption, le parfum, etc.

Cette grille d'analyse montre bien que les situations de consommation sont diverses et ouvre en regard des pratiques marketing différentes en fonction de chacune d'elle.

Concernant les marchés émergents je suis convaincu qu'une telle approche sociale des marchés constitue le meilleur moyen d'y préparer l'implantation de ses produits. C'est pourquoi l'analyse sociale des marchés pose certainement les bases du marketing du XXIème siècle, un marketing globalisé, dé-occidentalisé, ouvert aux différences culturelles et attentif au rapport social qui lie un consommateur et un produit.

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1Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir (1899)

2Maurice Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie (1913)

3André Nicolaï, Comportement économique et structures sociales (1960)

4Voir : Sophie Dubuisson-Quellier, « La consommation comme pratique sociale » in Phillipe Steiner, François Vatin (sous la dir.), Traité de sociologie économique (PUF)

5Ibidem.


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