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Bertrand Russell, La conquête du bonheur

Publié le 07 décembre 2011 par Edgar @edgarpoe

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Petit livre très intéressant, profond même s'il ne paie pas de mine.

Bertrand Russell l'a publié à près de 60 ans.

A première lecture, rien de complexe, ni de brillant. On découvre une suite de considérations morales, qui peuvent paraître anodines.

Russell semble même en appeler au renoncement, invite à "écarter comme essentiellement inaccessibles certains objets de désir".

Pas très marrant vu que depuis on a inventé le "il est interdit d'interdire !"

En fait, Russell est plus subtil. S'il invite à ne pas poursuivre des rêves chimériques, ce n'est pas pour le plaisir du renoncement et pour satisfaire des penchants puritains.

Ainsi de cette invitation à vivre au quotidien : "L'habitude de vivre dans le futur et de croire que toute la signification du présent réside dans ce qu'il engendrera est une attitude qui porte malheur. Il ne peut y avoir de valeur dans le tout à moins qu'il n'y ait de valeur dans les parties." A l'heure où l'on nous invite chaque jour à sacrifier toujours plus à l'édifice européen, le lecteur appréciera ce rejet de l'historicisme.

Cette pensée un peu générale se décline au niveau individuel, pour rejeter notamment l'esprit de compétition économique à outrance : "le succès ne peut être qu'un simple élément du bonheur et il ne vaut pas le prix qu'on a payé pour lui si tous les autres éléments ont été sacrifiés pour l'obtenir".

Une fois chassées les obsessions inatteignables, Russell invite à une vie équilibrée, faite de réflexion et d'action, loin de la fatigue nerveuse - tout un chapitre est consacré à la fatigue. Une vie réussie est diversifiée : "une personnalité harmonieuse est centrifuge."

Un bon passage : "si j'étais médecin, je prescrirais des vacances à tout malade qui considère son travail comme important". A juste titre, je pense que Russell aurait applaudi aux 35 heures.

Russell est moderne au sens où, écrivant en 1930, il intègre ses réflexions sur les théories freudiennes. Il ne les rejette pas, mais les accommode à sa sauce. Il mélange Freud et la méthode Coué, pour obtenir cet équilibre original : "Je suis convaincu qu'une pensée consciente peut être implantée dans l'inconscient si l'on y met suffisamment de vigueur et d'intensité."

Plusieurs recettes découlent de cette conviction, dont celle-ci : "si vous vous sentez enclins à nourrir des idées sombres sur toutes choses, le meilleur procédé est d'y penser encore plus que vous ne le feriez naturellement, jusqu'à ce que la fascination morbide en soit épuisée. [...] C'est ce procédé qu'appliquent les psychanalystes mais je pense que dans bien des cas, le malade peut accomplir lui-même le travail qui, dans des situations extrêmes, peut nécessiter l'aide d'un expert."

En sens inverse, il est important de ne pas inculquer l'habitude aux enfants d'intégrer dans leur subconscient des pensées néfastes : "jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge de la puberté, ne lui enseignez aucune morale sexuelle et évitez avec soin de lui enseigner qu'il y a quelque chose de répugnant dans les fonctions naturelles du corps".

Russell est un rationaliste généreux. La raison doit conduire à chasser les "convictions irrationnelles et contradictoires, ni leur permettre d'acquérir un empire sur soi". Nombreux sont que le rationalisme inquiète. Russell rassure : "il n'y a rien que la raison désirerait diminuer dans l'amour passionné, l'affection des parents, l'amitié, la bienveillance, la dévotion à la science ou à l'art".

Sur ces principes, Russell donne des conseils précis. Par exemple, une maxime anti-paranoïa : "ne vous imaginez pas que la plupart des gens pensent suffisamment à vous pour avoir un désir spécial de vous persécuter".

Autre conseil, aux jeunes : faites ce que vous voulez sans vous soucier des préventions des adultes ("il n'est pas souhaitable que les jeunes traitent avec respect les désirs de leurs aînés.") De longs développements intéressants sur ce sujet.

Sortir de soi : "l'esprit est une machine étrange qui peut effectuer les combinaisons les plus extraordinaires avec les matériaux qui lui sont offerts mais qui, sans matériaux venus du monde extérieur, est impuissant."

Russell est progressiste et souhaite que la femme travaille - en 1930 - qu'elle s'éloigne surtout de ses enfants dès qu'ils sont en âge d'aller à l'école. Cela pour qu'elle puisse s'épanouir et que la société ne s'effondre sur elle-même : une société trop dure pour que l'on ait envie d'y faire des enfants est vouée au déperissement.

Sur le rôle de la biologie et des instincts, Russell se tient entre deux extrêmes : d'un coté il estime que le besoin de prendre soin de ses enfants est une donnée biologique - il reproche explicitement à Freud de négliger ce point. Mais dans le même temps il rejette l'idée d'un instinct maternel qui guiderait les mères comme par magie.

Le travail est utile au bonheur : "des desseins cohérents ne suffisent pas à rendre une vie heureuse mais ils constituent une condition presque indispensable à une vie heureuse. Et un but cohérent se réalise surtout dans le travail".

La livre se termine sur un chapitre presque lyrique et partiellement métaphysique, où Spinoza est cité. Russell invite à la connaissance comme moyen de détachement : "celui dont l'esprit reflète le monde devient en un sens aussi grand que le monde".

Une dernière citation, pêchée au milieu dui livre mais qui, à mon sens, l'illustre bien.

Le secret du bonheur : "élargissez le plus possible vos intérêts et tâchez de rendre vos réactions envers les personnes et les choses qui vous intéressent aussi amicales et aussi peu hostiles que possible."

  Y'a plus qu'à !


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