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Comment Standard & Poor's a gâché la semaine numérique de Sarkozy

Publié le 08 décembre 2011 par Letombe
Comment Standard & Poor's a gâché la semaine numérique de Sarkozy

« J'aime les Etats-Unis. J'aime les Américains. J'aime surtout l'idée que l'échec n'est pas définitif. » Cette déclaration avait une portée psychologique évidente. Nicolas Sarkozy visitait l'agence française de la plus grande multinationale du monde de l'internet, Google.
Il poursuivait une semaine de rencontres qu'il avait placée sous le signe du numérique. Une semaine très rapidement gâchée par l'annonce fracassante, lundi après-midi, que l'agence Standard and Poor's envisageait de dégrader les notes de crédit de l'ensemble de la zone euro.
Gaga devant Google
Nicolas Sarkozy est moderne. M-O-D-E-R-N-E.  Il a déjà 487 000 fans sur Facebook, y compris votre serviteur. Pour poster vos réclamations sur sa page « sociale » alimentée par quelque stagiaire de l'Elysée, il faut être « fan ». Après l'Open-Data lundi, voici Google puis leWeb'11. Fichtre ! Pour un peu, notre Monarque ouvrirait un blog !
On sait pourquoi il est allé visiter Google France. Avec quelques aides publiques, la multinationale vient d'inaugurer des bureaux à Paris, le Googleplex, sur 10.000 m², avec 350 commerciaux et administratifs, et un centre de R & D. La multinationale fait encore peur. « Google est une entreprise monde qui ne doit pas donner l'impression qu'elle étouffe.» a expliqué Sarkozy. Certains aimeraient qu'elle contribue un peu à la création artistique qu'elle diffuse.
En visitant Google, Nicolas Sarkozy voulait se montrer moderne et décontracté. Il s'est livré à un échange de questions/réponses avec les (jeunes) salariés de Google et quelques entrepreneurs du Web depuis des Webcams, le tout bien évidemment filmé.
Sur le fond, la cinquantaine de minutes d'intervention présidentielle fut sans grande annonce. Les propos étaient conviviaux, optimistes, quasiment promotionnels. La vie était rose, la vie était belle. « Ce qui est intéressant avec Google ou d'autres, c'est qu'on a le concept que l'échec n'est pas définitif. » Ou encore : « Le système qui peut marcher, c'est un système win-win, où chacun gagne. »
Nicolas Sarkozy est pourtant connu pour son ignorance crasse, voire sa réticence historique vis-à-vis du monde numérique. Au printemps 2008, Nicolas Sarkozy avait embauché un jeune diplômé d'HEC, Nicolas Princen, pour gérer la veille du Net. Certes, il a fait quelques efforts après son élection. Il créa un secrétariat à l'Economie Numérique dès mai 2007, occupé par Eric Besson puis Nathalie Kosciusko-Morizet. Ensuite, le site de l'Elysée a été rapidement modernisé.
Mais la présence sarkozyenne sur le Web est finalement restée sans intérêt: un curieux mélange de sur-information multi-média et d'absence totale d'échanges. La page Facebook du Monarque alterne déclarations officielles et confessions intimes maladroites (sur ses lectures du soir, par exemple) rédigées par quelques collaborateurs. Sarkozy utilise Twitter comme un simple canal de diffusion officielle. Pire, le Web est devenu un lieu de résistance. La blogosphère politique a été envahie par des blogs critiques, de gauche ou d'extrême droite.
Politiquement, les incursions sarkozyennes sur le terrain numérique ont été surtout répressives. En sus d'Hadopi, Nicolas Sarkozy a fait adopter sa fameuse loi Loppsi II qui renforce les moyens de cybersurveillance du pays à un niveau inégalé.
Au printemps dernier, la reconquête a commencé. Sarkozy annonça la création d'un Conseil National du Numérique. Il déjeuna avec des pontes de l'Internet gentil. Il avait même invité un blogueur célèbre mais anonyme à l'Elysée lors de l'un de ces pinces-fesses officiels. Il reconnut avoir été « maladroit » et commis quelques « erreurs » avec le milieu internaute.
Maintenant, il visite Google et s'achète  un iPad 2. Loïc Le Meur, l'un de ses fans et ancienne star de la blogosphère française émigrée depuis 2007 aux Etats-Unis, organisait un salon, LeWeb'11, un peu plus loin à Paris. Le clou du spectacle numérique était la réception, mercredi à 18 heures, à l'Elysée, de quelques 300 participants au LeWeb'11. Les communicants de l'Elysée avaient bien fait les choses.
Triple A, triple fuite
Toute la journée de mardi, Nicolas Sarkozy fit semblant d'ignorer la nouvelle du moment. Standard and Poor's avait menacé la veille de dégrader l'ensemble de la zone euro, et plus sévèrement la France. Un porte-parole de l'agence expliqua, mardi matin, que les perspectives de croissance française assurant un éventuel retour à l'équilibre budgétaire (2% par an de 2013 à 2016) leur paraissait compromis. En coulisses, les conseillers élyséens tentaient de déminer les inquiétudes franco-françaises en relativisant la nouvelle: « On était au courant avant. Le président a été alerté lundi matin, avant de recevoir Angela Merkel. Et le communiqué avait été rédigé par Standard & Poor’s le 29 novembre, soit avant le sommet franco-allemand de lundi ». Si S&P avait préparé son alerte avant le sommet, visiblement, ce dernier n'a pas servi à grand chose.
Le soir, Sarkozy laissait donc François Fillon défendre la cause de son gouvernement et réagir à la dernière attaque de Standards and Poors.  Fillon, donc, se défendit avec l'énergie d'un condamné. Pas question d'un troisième plan de rigueur, répéta-t-il. La menace de S&P ? « C’est un avertissement collectif ».
Au traditionnel petit-déjeuner UMPiste à l'Elysée, Nicolas Sarkozy avait donné les éléments de langage aux ténors de son camp : « Au fond, c’est plus un message pour la BCE que pour le gouvernement. Il ne faut pas bouger de ligne. L’accord franco-allemand, c’est déjà une réponse. Cet accord est un succès, il y a tout dedans ». Mais le lendemain, il changeait complètement de position. Sarkozy est instable, il cède facilement à la pression. Ainsi, mercredi, devant quelques centaines de députés UMP (rien que ça), il déclara: «le risque d'explosion est prégnant tant que les décisions prises avec Angela Merkel ne sont pas effectives ».
L'Allemagne avait fait part de ses doutes, à la veille du sommet européen de ce jeudi. Et quand Angela parle, Nicolas répète. « Nous tablons sur des discussions très exigeantes et par moments difficiles » avait prévenu le ministre allemand des Finances. Du coup, Sarkozy a stressé toute la journée. Les Bourses européennes avaient à nouveau flanché. Et Angela Merkel fit savoir qu'elle avait tout son temps pour parvenir à un accord. Le weekend prochain promettait d'être pourri par des prolongations bruxelloises.
En début d'après-midi, le Monarque et François Baroin reçurent Timothy Geithner, le secrétaire américain au Trésor en visite à Paris. Ce dernier fut explicite, les Etats-Unis sont inquiets de la récession qui menace l'Europe et aggrave la crise financière. « Les yeux du monde sont tournés vers l'Europe. (...) Je suis là pour souligner combien il est important aux yeux des États-Unis et du reste du monde que la France et l'Allemagne arrivent à entraîner derrière elles les autres pays membres. »
François Fillon, lui, était à Marseille, pour une improbable réunion du congrès du Parti populaire européen (PPE, droite). On avait oublié que le PPE était la première force politique du Parlement européen. Fillon accusa ses partenaires européens d'attentisme coupable face à la crise européenne. « Si la France et l'Allemagne, aujourd'hui, proposent des solutions, ce n'est pas seulement parce que sont les deux premières économies de la zone euro. C'est aussi (...) parce qu'il n'y a pas eu beaucoup d'autres propositions de faites pour sortir de la crise. Nous, nous sommes prêts à écouter toutes les propositions qui viendront, de tous les horizons. Mais qu'il y en ait ! ».
Le stress était contagieux.
Mercredi après-midi, Nicolas Sarkozy a tenté de remotiver ses troupes. Il recevait à l'Elysée quelques centaines de députés UMP dépités. Aux frais du contribuable, évidemment. Ce mercredi, le Monarque enquilla les slogans mobilisateurs faciles.
Il était Napoléon, avant Waterloo. Il multiplia les déclarations combattives maladroites; ça sonnait le bunker assiégé:   « C'est une partie de nos élites qui est fautive. Ce ne sont pas les Français qui ont voulu les 35 heures ». Cela fait bien 10 ans qu'il est au pouvoir. « Je ne partage pas l'idée d'une France bloquée et réfractaire ».  Ou encore :  « Vous êtes la première majorité de la Ve République à voter la diminution de 150 000 fonctionnaires alors qu'il y en avait eu un million de plus entre 1990 et 1997 » « Nous avons fait la carte judiciaire, militaire, hospitalière. Comment peut-on dire que l'Etat n'a pas fait un effort suffisant ?»
Comment peut-on dire que Sarkozy n'a pas fait un effort suffisant ?
Standard & Poor's le peut.
Et l'a fait.

Sarkofrance


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