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"You talkin' to me ?": Martin Scorsese

Publié le 09 décembre 2011 par Olivier Walmacq

Si un réalisateur traîne derrière lui une batterie complète de cuisine bourrée de clichés, c'est bien Marty!
Demandez à quiconque de définir Scorsese en trois mots : il y'a de fortes chances pour que les mots "New York", "Mafia", "De Niro" ou "drogue" surgissent spontanement. 
Pauvre Marty...
Comme si tout le monde se foutait éperdument de son amour pour la Nouvelle Vague, pour le rock... Ben non, c'est toujours "You talkin' to me" qui revient (la caricature de De Niro par José Garcia a beaucoup aidé...)!

Mais commençons par le commencement : Martin Scorsese voit le jour à Flushing, NYC, le 17 novembre 1942. Ce gosse d'origine sicilienne (et donc issu d'un environnement catho prolo) va faire partie d'une génération qui va prendre un double-électrochoc crucial sur le coin de la tronche : le rock et la société plus permissive qui va en découler !
De plus, comme il est plutôt de constitution frèle et asthmatique, le sport lui est interdit. En compensation, il a droit à double-ration de cinoche dès qu'il a un peu de temps libre!  Toutes les conditions étaient réunies pour faire de Marty un obsédé compulsif sur tout ce qui concerne le cinéma!

Un autre coup du sort va influencer sa vie future : destiné à devenir prêtre, il se fait sacquer du séminaire au bout d'un an!
Comme si Dieu lui avait tapé sur l'épaule et lui aurait dit : "Tu seras cinéaste, mon fils!" Il boucle une maîtrise de cinéma à l'Université de New York en 1966, et y devient enseignant de 68 à 70.
Mais parallèlement, il lui prend comme une envie pressante de mettre en application ce qu'il a appris, tel le jeune qui aurait trop lu de revues cochonnes.

Il se fait donc la main sur des courts-métrages doublement influencés par la Nouvelle Vague de Truffaut et le ciné de John Cassavetes (bon, il aurait pu trouver pires modèles...  Vous imaginez le gazier en train de déclarer : "Serge Penard et Michael Bay ont bouleversé mon horizon artistique à jamais!"?).
L'heure de passer aux choses sérieuses arrive en 1969 avec son premier long-metrage "Who's That Knocking at my Door" qu'il aura mis cinq ans à tourner.

Et dèja un pan entier de l'oeuvre scorcesienne à venir se met en place : le film se déroule dans le Little Italy de son enfance où un magouilleur (ben tiens...) interprété par Harvey Keitel (re-ben tiens...) repousse la femme dont il est amoureux quand il apprend qu'elle a été violée...
L'affrontement entre valeurs religieuses et actes répréhensibles que l'on retrouvera souvent au fil de ses films apparait dès le premier essai!

Le film est un succès d'estime mais une révolution d'ordre majeur est sur le point de renverser l'ordre établi du cinéma américain.
A la suite des réalisateurs comme John Cassavetes qui ont rompu volontairement avec Hollywood, une nouvelle génération de cinéastes, scénaristes va faire encore mieux en refusant le diktat des grands studios, tout en restant à l'intérieur du système. 
Le "Nouvel Hollywood" des Coppola, Bogdanovitch, Hopper, Lucas, Friedkin, Altman et autres est sur le point de prendre le pouvoir.
Des films comme "Easy Rider", "M.A.S.H" appartiennt en plein à la contre-culture ambiante. Et Scorsese n'a aucunement envie de louper le train en marche...

Mais en attendant Scorsese fait le monteur chez Warner Bros Pictures pour l'alimentaire. Cela lui permet toutefois de bosser sur "Woodstock" et de faire la rencontre de Roger Corman, le pape de la bonne grosse série B fauchée ! Ce dernier lui permet de réaliser son premier film hollywoodien en 1972 "Boxcar Bertha" avec David Carradine.  Mais pour être honnête, le film passera plus ou moins inaperçu malgré son thème interessant sur l'Amerique de la Grande Depression.

A l'heure où tous ses congénéres ont dèja connu le succès, Scorsese commence à trouver le temps long... Mais il ne baisse pas les bras, encouragé par Cassavetes lui-même à perséverer.  Le film suivant (et premier chef-d'oeuvre) sera déterminant : "Mean Streets" est l'occasion pour Scorsese de faire la rencontre avec son acteur fétiche, Robert De Niro. Keitel est aussi de la partie.
Le film se déroule dans...bien vu ! Little Italy ! où Charlie Cappa (Keitel) joue un personnage marqué par la religion qui tente d'intégrer la mafia.Il est flanqué se son ami Johnny Boy (De Niro) qui sombre à force de provocations et de dettes impayées. Toujours cette idée de rédemption, de salut (Charlie qui tente de sauver Johnny Boy)...

Et une autre des constantes des films de Scorsese apparait : les bandes-son chiadées et réglées dans leurs moindres détails!
Celle de "Mean Streets" est particulièrement jouissive: quand Johnny Boy apparait pour la première fois dans un bar et que "Jumpin' Jack Flash" des Stones blaste dans les enceintes... on a rarement fait mieux!
Alors si en plus, on a "Be My Baby" des Ronettes, des romances doo-wop et "Tell Me" des mêmes Rolling Silex...

Mais si "Mean Streets" gagne le respect de la critique, le succès public n'est pas encore au rendez-vous. Celui-ci intervient l'année suivante avec "Alice n'est plus ici" avec Ellen Burstyn ("Requiem For A dream"), Keitel (et ça continue, encore et encore...) et Kris Kristofferson (aussi bon acteur que chanteur!). Grâce au forcing de Coppola, Scorsese tourne désormais pour la Warner.
Et la consécration arrive en 1976avec l'inaltérable "Taxi Driver" qui remporte la Palme d'Or à Cannes. De Niro et Keitel sont toujours de la partie, et le film révèle la toute jeune Jodie Foster.

Ce film punk avant l'heure et nihiliste au dernier degré est l'occasion pour De Niro d'interprêter un de ses rôles les plus marquants, celui de Travis Bickle, ancien marine démobilisé à la personnalité refoulée et insomniaque.
Ce chauffeur de taxi accro au porno voit de la décadence morale où qu'il aille. Alors pour lutter à sa manière, il décide de s'en prendre au sénateur de New York qu'il tente d'assassiner puis au proxenète de la jeune Iris (Jodie Foster). Encore une fois, Scorsese joue sur la thématique de la rédemption (voir la fin du film...), caractéristique de beaucoup de ses héros.
Ce film est dédié à la mémoire de Bernard Hermann, l'immense compositeur d'Alfred Hitchcock, dont ce fut la dernière bande originale.

Après ce succès enfin acquis, Scorsese se lance dans "New York, New York", hommage au jazz, avec De Niro et Liza Minnelli.
Mais le flop du film plonge Scorsese la tête la première dans une consommation préoccupante de cocaïne, peu aidé il est vrai par son colocataire de l'époque, Robbie Robertson, le guitariste de feu The Band...

Cette rencontre sur le tournage du concert d'adieu du Band, "The Last Waltz", sera importante puisque Robertson travaillera desormais en tant que conseiller musical pour Scorsese.

J'ai dèja dit tout le bien que je pensais de cette référence du film musical dans un précédent article.
Cette réunion d'étoiles au service du Band et de la musique populaire américaine est tout bonnement magique (malgré certaines objections quant aux choix de Scorsese sur le plan de la réalisation) !

Quiconque aime le rock, le folk ou le blues se doit de possèder le DVD de ce film, ainsi que le double CD du concert (voire mieux, le magnifique coffret 4 CD Rhino paru en 2002 !).

Malgré le succès du film paru en 1978, Scorsese ne s'est pas refait la cerise. Son addiction commence à lui jouer des tours (saignements nasaux intempestifs, crises de tachycardie...).
Pour son prochain projet, il est donc dans un état de délabrement intense... Et c'est pourtant un chantier d'importance qui l'attend : la vie du champion de boxe Jack La Motta transposée à l'écran...
Le film qui en résulte, "Raging Bull" sera décrété "meilleur film des années 80" par un aéropage de critiques en 1990.

Dès la vision de l'affiche, tout est dit. L'intensité, la hargne, la folie qui suinte de ce film colle au mur, le couteau sous la gorge!
La performance hallucinante de De Niro en boxeur animal mérite tous les superlatifs. L'audace de Scorsese qui tourne ce film en noir et blanc est peut-être indirectement la raison pour laquelle ce film est un semi-échec en salles.

Mais aussitôt le bouche à oreille en fait un film-culte. On y trouve aussi un schèma cher à Marty, le "Rise and fall" (ascension-chute) qu'il utilisera aussi pour "Les Affranchis" ou "Casino".
Le réalisme de ce film (ces scènes de combat inouïes...) laisse toujours pantois trente ans plus tard.

Ce film sauve Scorsese qui prend conscience de ses gros problèmes de drogue (en même temps, sa compagne de l'époque, Isabella Rossellini n'était pas la dernière pouir s'emplâtrer le tarbouif...).
Desormais unanimement reconnu comme un cinéaste majeur, Scorsese tourne "La Valse des Pantins" en 1983.
Ce film malheureusement méconnu (et de plus autre échec commercial...) est l'occasion pour De Niro de se livrer à une autre performance géniale en comique raté et légèrement psychopathe prêt à tout pour arriver à ses fins. Jerry Lewis est également très bon dans un registre dramatique inhabituel pour lui.

Malgré cet échec, les critiques sont unanimes pour affirmer que c'est une nouvelle réussite. A Noter l'apparition amusante des Clash lors d'une scène de dispute entre Pupkin (De Niro) et sa femme dans une rue!

"After Hours" qui suit en 1985 est une parenthèse plaisante mais sans relief dans une filmographie aussi intense. L'année suivante, Scorsese se frotte à un autre monument sacré du cinoche amerloque, mister Paul Newman, pour une suite de "L'Arnaqueur" intitulée "La Couleur de l'Argent".
Ce film réunit une distribution sans faille (Turturro, Whitaker, et un Tom Cruise qui avait pourtant tourné cette ....de "Top Gun" cette même année!), et vaut à Newman un oscar bien mérité pour son rôle de vieux mentor du billard qui se retrouve à rivaliser avec son jeune poulain.

Au moment où l'on se dit que Scorsese se range des voitures et gère sa carrière à la "pépére", une de ses principales obsessions refait surface. En bon Sicilien qu'il est, il est naturellement obsédé par le Christ.
Ainsi, se fait jour le projet d'un film qui va défrayer la chronique, "La Dernière Tentation du Christ".

Dire que ce film a fait des vagues serait peu dire! Au même moment, Salman Rushdie s'attirait les foudres et les fatwas des intégristes musulmans pour "Les Versets Sataniques".  Scorsese devra lui affronter la colère démesurée des intégristes catholiques qui ne lui pardonnent pas de faire de Jesus un homme "commun". Un homme qui a le kiki qui le démange, vu que cette gourgandine de Marie-Madeleine ne cesse de le torturer...
Bien que finalement la morale chrétienne fut sauve (il constate que tel n'était pas son destin, et accepte de mourir pour nos pêchés, thank you man!!!), les abrutis cathos de tout poil se déchainent et déclenchent des actions inadmissibles : incendies de salles qui provoqueront la mort d'un spectateur...
Rien que pour avoir bien fait chier ces andouilles un peu trop chatouilleuses, merci monsieur Scorsese ! Le rock est également présent par le biais de la musique de Peter Gabriel (bon...très peu rock la zizique, je vous l'accorde!!!), et la présence de David Bowie en...Ponce Pilate! (je ne pex m'empêcher à penser aux Inconnus dès que j'entends ce nom... "Pilate, Ponce Pilate! Fils de...", "Fils de pute!")

Après avoir eu sa dose de sensations fortes, Marty renoue avec un registre qu'il maîtrise mieux : les mafieux !!! Et c'est une réussite totale que ces "Affranchis" qui voient le jour en 1990.
Encore ces histoires de petites frappes qui font dans le commerce-trafic de stupéfiants et qui grimpent l'échelle du vice!
Ray Liotta montre qu'il est un acteur qui vaut beaucoup mieux que certaines merdasses qu'il a pu jouer, De Niro est impayable en tueur au calme quasi-olympien (quasi, hein ? Parce qu'il s'enerve parfois!), et Joe Pesci crève l'écran avec son personnage de Tommy De Vito qui est,comment dirais-je ???, "sanguin" et absolument irresponsable !

Comme toujours avec les films de cette trempe, Marty amorce la pompe à doo-wop/Stones pour la bande-son (ah..."Monkey Man"!!!). Et cette fresque de deux heures et demie grimpe allègrement dans le top 5 de son auteur!

Suit un remake des "Nerfs à Vif" avec ... De Niro et Nolte, en même temps qu'il est célébré par la Cinémathèque américaine pour l'ensemble de son oeuvre.
"Le temps de l'innocence" qui voit le jour en 1993 est...un film à costumes! Scorsese semble prendre plaisir à diriger une horde d'acteurs chevronnés (Day-Lewis, Pfeiffer, Pryce, Woddward, Ryder...) dans le monde de l'aristocratie, mais ça reste très mineur malgré ses qualités indéniables.

En même temps, un paquet de films auraienl'air fadasse comparésà la dégelée qui se profile... "Casino" est le troisième volet de sa trilogie mafieuse commencée avec "Mean Streets" et poursuivie avec "Les Affranchis".
Scorsese atteint ici un sommet dans la virtuosité "classique" : scénario béton, acteurs au sommet de leur art (mention spéciale à Joe Pesci, flippant en Nicky Santoro ; et à Sharon Stone qui gagne le meilleur rôle de sa carrière), le film est un long "Rise and Fall" qui monte lentement en intensité avant de littéralement exploser dans sa seconde partie.

Malgré une durée avoisinant les trois heures, jamais l'ennui ne guette... Un véritable miracle qui est aussi dù à cette bande-son conçue comme une immense partouze musicale jouissive où se mèlent Muddy Waters, Jeff Beck Group, Louis Prima, Fleetwood Mac, Devo, Roxy Music, une énorme quantité de Stones...
Ce film est également la dernière collaboration Scorsese-De Niro à ce jour (mais quelle fin s'ils ne devaient jamais retourner ensemble...).

Après un documentaire consacré à l'histoire du cinoche US, Scorsese revient en 1997 pour un film que je qualifie d'"accident industriel". "Kundun", puisqu'il se nomme ainsi, est un film retraçant l'enfance de l'actuel dalaï-lama. I
ntention louable (en tout cas, nullement répréhensible), mais résultat affligeant! Scorsese lui-même est à deux doigts de renier ce film...

Malgré la valeur "historique" et éducative du film, on roupille sec à cause de l'interprétation qui manque d'un Joe Pesci (c'est une blague, ok!!!).
"A tombeau ouvert" qui suit en 1999 est un léger retour en forme grâce à une thématique interessante (les paumés et les marginaux new-yorkais vus à travers un ambulancier de nuit limite dépressif qui cherche à se faire virer) et un Nicholas Cage impliqué (et les Clash dans la bande-son!!!
Et ce chef-d'oeuvre de "You can't put your arms around a memory"... hommage d'une légende new-yorkaise célèbre (Scorsese) à une autre méconnue (Johnny Thunders))

Les années 2000 voient le début d'un nouveau cycle puisqu'à la suite de De Niro, Scorsese s'entiche d'un nouvel acteur fétiche pour se faire de l'artiche.
Léo Di Caprio est donc la vedette de "Gangs Of New York" aux côtés de cameron Diaz et du génial Daniel Day-Lewis.
Le film, pour épique qu'il soit, est cependant un peu longuet...

Légèrement à court d'idées, Scorsese retape dans le biopic en s'attaquant à la vie du mystérieux Howard Hughes dans "Aviator" en 2005.
Du moins à une partie de sa vie car vous en conviendrez, on s'en tape de voir un gus coincé dans sa chambre d'hotel pendant plusieurs décennies, n'est-ce pas ?
Malgré une photographie sublime et une distribution adhoc (Blanchett, Beckinsale, Law...), on se trouve plus dans l'exercice de style un peu vain...
Après le biopic, le remake!!! "Les Infiltrés", version US du premier volet de la trilogie hongkongaise "Infernal Affairs", est un triomphe bien mérité et qui, qui plus est, propose une fin différente de celles dont Scorsese nous avait habitués.
En effet, la "taupe" meurt comme tout le monde, et sans redemption préalable!!! L'héritage catho aurait-il baiisé avec le temps chez Marty ?
En tout cas, ce film est le premier qui rapporte à Scorsese  l'oscar du meilleur film! (enfin...)

Scorsese a réalisé un rêve de gosse en filmant les Stones pour son film "Shine A Light" sorti en 2008. Si les passages scéniques sont dans leur grande majorité excellents, les images d'archives sentent méchamment le dèja-vu et le convenu...
Gageons qu'il ne s'agissait que d'une parenthèse dans la carrière inégale mais ô combien passionnante d'un des derniers dinosaures du "Nouvel Hollywood" en activité (certains sont morts, d'autres en semi-retraite comme Coppola...).

Leslie Barsonsec


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