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Exposé sur Pierre Bayle : suite et fin

Publié le 17 février 2008 par Frontere

Exposé sur Pierre Bayle : suite et finII.2 Deux débats extraits du Commentaire philosophique

A/Pierre Bayle publie en 1686 : Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : « Contrains-les d’entrer ». Il veut prouver que saint-Augustin a mal interprété la parole du Christ dans la parabole des invités du festin (Evangile de Saint-Luc, XIV,23) où un père de famille ayant encore de la place à son festin ordonne à son serviteur :

« Va dans les chemins et contrains les gens d’entrer (compelle intrare) afin que ma maison soit remplie ».

La contrainte évoquée est une invitation amicale pressante et non une incitation à l’usage de la force. Or elle a servi jusqu’ici de caution aux contraintes religieuses imposées aux protestants. Bayle estime qu’il n’est pas possible de juger légitimes les contraintes exercées au nom de la vraie foi et injustes celles œuvrant à répandre une doctrine erronée. En effet, toute erreur se croit dans le vrai. Chaque croyance se jugera donc légitimée à s’imposer par la force ce qui conduira à une violence sans fin.

Pour que des confessions multiples puissent coexister sans se déchirer, il faut que la religion soit radicalement séparée du pouvoir d’Etat, et que chaque groupe renonce à contraindre qui que ce soit. Dans une perspective historique, il est permis de dire que cette réflexion aboutira à la définition de la laïcité à la française et à la loi du 9 décembre 1905 de séparation des églises et de l’Etat.

B/ Les droits de la consciente errante

Pierre Bayle pense que si l’on veut maintenir la paix civile et le respect mutuel entre les hommes, il faut reconnaître à la conscience de chacun des droits quelles que soient ses convictions. Il faut admettre que la conscience qui se trompe, qui erre, a les mêmes droits que celle qui est dans le vrai. Car la consciente errante est convaincue d’être dans le vrai :

« Je conclus que l’ignorance de bonne foi disculpe dans les cas les plus criminels, de sorte qu’un hérétique de bonne foi, un infidèle même de bonne foi, ne sera puni de Dieu qu’à cause des mauvaises actions qu’il aura faites croyant qu’elles étaient mauvaises. Pour celles qu’il aura faites en conscience, je dis par une conscience qu’il n’aura pas lui-même aveuglée malicieusement, je ne saurais me persuader qu’elles soient un crime. »

(Commentaire philosophique, IIè partie, chapitre 10)

C’est un appel à la tolérance et au respect des croyances, qui récuse toute approche dogmatique. Apparaît de même dans l’œuvre de Bayle l’idée que l’athéisme n’est pas à son époque un plus grand mal que l’idolâtrie. Il paiera tout cela très cher puisqu’il perdra sa chaire de philosophe en 1693.

Conclusion : un message d’actualité

Philosophe plus que théologien, croyant, mais sans doute à la recherche de ce que j’appellerai, par recours à un quasi-oxymore, une foi rationalisée, adepte des controverses - avec Pierre Jurieu entre autres (1) - et des joutes intellectuelles, Pierre Bayle aura eu le souci toute sa vie de combattre les dogmatismes et les superstitions (cf. « Pensées diverses sur la comète ») qu’il publie anonymement en 1683. Héritier de Descartes, sa défense de la tolérance annonce Voltaire et son Traité comme son Dictionnaire historique et critique annonce Diderot, d’Alembert et les Encyclopédistes.

L’œuvre de Bayle constitue un trait d’union entre le protestantisme et les Lumières. Grâce à lui la notion de tolérance a gagné du terrain à la fin du XVIIIe.

Sa pensée me paraît aujourd’hui des plus actuelles alors que des régimes théocratiques, notamment au Proche-Orient, oppriment les “infidèles”, que les candidats à l’élection présidentielle dans la première puissance mondiale sont pressés de se situer par rapport à leur foi religieuse, ou, à un degré moindre, que le président de la République déclare (cf. éditorial du quotidien Le Monde, édition du 22 décembre 2007), je cite :

« L’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent », en souhaitant que celle-ci [la République] s’enrichisse, je cite encore : « d’une réflexion morale inspirée de convictions religieuses » ayant des « liens avec la transcendance ».

Déclarations pour le moins sujettes à controverses (2).

Notes

(1) Jurieu lui reprochera de trahir les protestants parce qu’il avait refusé de s’engager avec la maison d’Orange contre la France. En 1688, Guillaume d’Orange avait détrôné son beau-père, Jacques II (catholique) et Bayle avait alors déconseillé aux réfugiés de se rallier à la cause Orangiste

(2) j’aurais pu citer également cette phrase d’anthologie: « dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé et le pasteur »


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