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Pierre Bayle, inventeur de la laïcité

Publié le 22 janvier 2008 par Frontere

Pierre Bayle, inventeur de la laïcitéLe 8 janvier, à l'université des Lettres Paul Valéry dans le cadre du séminaire de "Lettres modernes" : " La dissidence au XVIIè siècle en France et en Angleterre " de MM. Christian Belin et Luc Borot, je faisais un exposé consacré au philosophe Pierre Bayle à partir de la biographie de monsieur le Professeur Hubert Bost (1).

Dont acte.

Considéré généralement comme un précurseur des Encyclopédistes et du mouvement des Lumières, ce qui explique que les indémodables " Lagarde-Michard " l'ont classé au XVIIIè siècle et non pas au XVIIè, Pierre Bayle (1647-1706) représente aussi la figure de ce que l'on nommera plus tard un intellectuel engagé. Son Dictionnaire historique et critique, paru en 1696 à Rotterdam, a connu un très vif succès au XVIIIè siècle : quatre éditions du Dictionnaire paraîtront entre 1730 et 1740 (2).

I. Pierre Bayle, un enfant de la Réforme

I.1 Le milieu et la formation

Pierre Bayle naît le 18 novembre 1647 à Carla-le-Comte (Ariège, pays de Foix) où sa famille s'est installée depuis 1637. Son père est un pasteur réformé (calviniste), originaire de Montauban. Il existe d'ailleurs une tradition pastorale dans la famille, on est pasteur par atavisme familial. Le nom Bayle vient de "bailli" : administrateur et officier de justice subalterne.

Bayle n'est pas un ambitieux, il lui aurait suffi d'être bibliothécaire. S'il annonce les débats littéraires du XVIIIè siècle c'est davantage par le versant "Raison" que par le versant "Sensibilité" : contrairement à Rousseau, il n'a pas de goût très marqué pour la nature.

Dans la bibliothèque familiale Pierre Bayle peut lire la Bible, Plutarque ou Montaigne dont il connaît parfaitement Les Essais. A propos de sa formation il écrira dans sa correspondance (cf. lettre à son frère cadet du 7 février 1675), je cite Hubert Bost, p. 32 :

" Je regrette même le temps que j'ai employé à étudier six ou sept heures de suite, parce que je n'observais aucun ordre, que j'allais partout où mon caprice me portait, que personne n'appliquait mon esprit à ce qu'il fallait à cet âge-là ..."

Dans sa formation intellectuelle il subit l'influence des philosophes Malebranche (qu'il soutiendra contre Arnauld), Spinoza et surtout Descartes.

Pour préciser le contexte il est utile de rappeler qu'en 1562, Jeanne d'Albret (la mère d'Henri IV), reine de Navarre, mais aussi comtesse de Foix, a décidé d'instaurer la religion réformée dans ses Etats, en 1571 elle y interdira même le culte catholique. Auparavant, en 1566, les Carlanais auront brûlé l'église catholique.

I.2 L'aller-retour du protestantisme au catholicisme : uncertum quo fata ferant (sans savoir où me portera le destin) dixit Virgile

Le premier fait marquant dans son parcours c'est son arrivée à Toulouse le 19 février 1669 où il vient poursuivre ses études, mais où surtout il va se convertir au catholicisme dès le 19 mars : soit à peine un mois après son arrivée, ce qui conduira son père à lui couper les vivres.

Contextualisation : cette époque est marquée par un débat autour de la double prédestination (cf. Calvin) et par une vive controverse autour de la notion de la vraie église :

>>> pour les porte-paroles catholiques, les protestants se donnent en appartenant à une confession hérétique et schismatique des doctrines nouvelles, donc fausses, cette confession s'est en effet séparée de l'institution établie depuis les débuts du christianisme ; protestantisme = R.P.R. (religion prétendue réformée),

>>> pour les porte-paroles protestants, les catholiques sont coupables de rester dans le "papisme", qui a trahi les idéaux évangéliques depuis le IVè siècle, et dont la Providence a voulu corriger les erreurs en suscitant des Réformateurs.

Richelieu participe de ce débat, il écrira en 1651 un traité intitulé : Traité qui contient la méthode la plus facile et la plus assurée pour convertir ceux qui se sont séparés de l'Eglise, il connaîtra plusieurs rééditions.

A propos de la conversion de Bayle au catholicisme, Hubert Bost explique que dans la controverse relative à la vraie église, Bayle n'a pas été convaincu par la Réponse à la Méthode de monsieur le cardinal de Richelieu, livre d'André Martel, d'autant que sa foi a été ébranlée par les arguments des porte-paroles catholiques qui présentent une totale nouveauté pour lui.

Sa conversion est d'ordre rationnel.

A titre personnel, je serais enclin à penser que cette conversion peut aussi résulter du constat fait par Bayle que l'enseignement dispensé par le collège jésuite de Toulouse est supérieur en qualité à celui offert par l'Académie de théologie de Puylaurens dont il est issu ...

Le paradoxe de sa conversion est souligné par Hubert Bost, je cite, p. 42 :

" [...] la réflexion qui va mener Bayle à se convertir au catholicisme est typiquement protestante. Sa démarche consiste à recourir à la voie d'examen, que les controversistes protestants opposent à la voie d'autorité catholique. Le croyant n'est pas censé recevoir passivement des vérités à croire, mais à y adhérer personnellement. Or, paradoxalement, cet examen porte sur la légitimité de l'examen lui-même, puisqu'il s'agit de savoir si l'Eglise n'est pas malgré tout fondée à s'imposer comme une instance qui arbitre les débats confessionnels, un "juge des controverses", comme on dit alors. "

Pour l'anecdote, c'est un jésuite, Pierre Rome [sic!] qui a reçu l'abjuration de Bayle.

Mais dès le mois d'août 1670, soit dix-huit mois plus tard, Bayle revient au protestantisme, je cite, p. 52 :

" Le culte excessif qu'il voyait rendre aux créatures lui ayant paru très suspect, et la philosophie lui ayant fait mieux connaître l'impossibilité de la transsubstantiation, il conclut qu'il y avait du sophisme dans les objections auxquelles il avait succombé ... "

Cette conversion est d'ordre existentiel.

Elle va l'obliger à fuir la France où depuis 1665 une déclaration royale interdit aux sujets de la religion prétendue réformée qui auraient abjuré pour professer la religion catholique de retourner à leur confession sous peine de bannissement : ils seraient devenus des relaps (3).

Avant l'exil définitif, et après un premier semi-exil à Genève (dont la devise est étrangement post tenebras lux), Genève, dis-je, où à cette époque le protestantisme est quasiment la religion officielle, Pierre Bayle donnera des cours au fils du seigneur de Coppet, au bord du lac Léman, puis de retour en France, après avoir changé son patronyme de Ba_y_le en Bê_le, il sera successivement précepteur d'un jeune Rouennais, et enfin des enfants de monsieur de Béringhen, secrétaire du roi, qui habite à Paris, place Royale (aujourd'hui place des Vosges).

S'il a abandonné ses études de théologie pour pouvoir gagner sa vie, Pierre Bayle n'a pas d'enthousiasme particulier pour son nouvel état. A Coppet, il lui arrivera même de jeter des livres à la figure des fils du comte de Doha!

Dans sa correspondance il écrira, le 3 avril 1675, Hubert Bost, p. 97 :

" Le caractère de précepteur est devenu si vil presque partout qu'il n'est point de mérite personnel qui puisse sauver un homme de cette mésestime générale. C'est pourquoi je ne me rejette dans ce bourbier qu'à mon corps défendant. "

Avant de commencer une deuxième vie à Rotterdam, il est nommé après réussite au concours professeur de philosophie à l'Académie de Sedan au mois d'août 1675, mais un arrêt de suppression du collège et de l'Académie de Sedan en juillet 1681 le conduit à un exil définitif.

(1) Hubert Bost, Pierre Bayle, Fayard, Paris, 2006 - voir aussi Pierre Joxe, L'Edit de Nantes : réflexions pour un pluralisme religieux, Hachette Littératures, Paris, 2004

(2) L'Encyclopédie paraîtra, elle, de 1751 à 1772

(3) terme de droit canon. Du latin relapsus, retombé. Se dit de quelqu'un qui retombe dans l'hérésie après en avoir fait l'abjuration publique

Pierre Bayle, inventeur de la laïcité

À propos de mfrontere

Vous en une ligneNé près des rives de la Méditerranée, je me sens des affinités particulières avec les gens qui vivent le long de l'ancienne Via Domitia romaine, quelque part entre Rome et BarceloneBiographieNé à Béziers (Hérault) dans une famille ouvrière de quatre enfants, père : maçon, mère au foyer, dont je suis le 3ème, je vis dans le sud de la France Cadre en relation avec la vie des collectivités locales, je suis titulaire des diplômes suivants : - jusqu'au baccalauréat : certificat d'études primaires élémentaires (1968) ; brevet d'études du premier cycle du second degré (B.E.P.C., 1971) ; baccalauréat de l'enseignement du second degré, série philosophie-lettres, diplôme obtenu avec mention du jury (1975) - universitaires : * Diplôme de l'Institut d'études politiques (I.E.P.) de Grenoble-II (Université Pierre Mendès France), section politique et sociale (octobre 1982) * Diplôme d'études supérieures spécialisées (D.E.S.S.) en administration économique et sociale, option administration locale, de l'Université Paris-XII, diplôme obtenu avec mention du jury (novembre 1986) * Licence de lettres, option "lettres modernes", de Montpellier-III (Université Paul Valéry, mai 2006) Je prépare actuellement le master (anciennement maîtrise) de "Littératures française et comparée" Réussite examens et concours : - concours de l'Ecole normale d'instituteurs de Montpellier, 1971 (j'ai démissionné de l'Education Nationale pour reprendre mes études à l'Université) - examen professionnel d'attaché principal territorial, reçu avec mention du jury (1991) - rapports et études : "Le contrat insertion - revenu minimum d'activité : étude de mise en oeuvre dans le Gard et perspectives" (2004) ; "Un mécanisme précurseur de la décentralisation : le fonds départemental d'équipement des communes (F.D.E.C.) dans la Nièvre" (1986) Pour soutenir le journal, je suis actionnaire de la Société des Lecteurs du "Monde" et de son groupe de presse "LMPA" (Le Monde Partenaires Associés) Avertissement : 1/ Le blog "fragments.fr" © est hébergé sur le site du quotidien "Le Monde" 80 boulevard Auguste-Blanqui 75707 Paris Cedex 13 ; les articles, opinions et points de vue exprimés sur ce blog ne sauraient en aucun cas engager la rédaction du journal ni la responsabilité du "Monde" 2/ Les photos et extraits d'oeuvres publiés sur ce site, qui ne sont pas de mon fait, sont réputés avoir acquis un caractère public. Si vous êtes un ayant-droit d'une de ces photos - ou de l'une de ces oeuvres - et que vous ne souhaitez pas qu'elle apparaisse sur mon blog, merci de me l'indiquer par e-mail. Je la retirerai à réception de votre message ; ce site entend en effet se conformer aux dispositions du Code de la propriété intellectuelle, notamment les articles L.111-1 et L.122-4 Le même principe vaut pour les sites auxquels renvoient les liens hypertextes 3/ Conformément à l'article 6.IV 1er alinéa de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, les personnes qui s'estimeraient mises en cause sur ce blog bénéficient d'un droit de réponse que je leur propose d'exercer selon des modalités à définir en commun 4/ Certains liens hypertextes sont susceptibles de ne plus fonctionner correctement après un certain temps Centres d'intérêtJ'aime la littérature (Walter Benjamin, Balzac, Valéry Larbaud, Patrick Modiano, Alberto Moravia), et surtout la poésie ; j'aime aussi les Chinoises ; Emmanuelle Béart ; Alain Bashung que j'ai vu trois fois en concert en 2004 (Théâtre de Nîmes, Printemps de Bourges et Paris, salle de l'Elysée-Montmartre) ; William Sheller ; les traités de ponctuation


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