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« Hara Kiri Jusqu’à l’os ! »

Publié le 16 décembre 2011 par Savatier

« Hara Kiri Jusqu’à l’os ! »Au moment où l’on incendie les locaux d’un hebdomadaire qui dérange les intégristes et où d'autres intégristes manifestent contre des pièces de théâtre, il est presque surprenant de trouver dans les rayons des librairies Jusqu’à l’os ! (Hoëbeke, 192 pages, 37 €), le quatrième tome des archives du journal Hara Kiri.

Dans sa courte préface (opportunément intitulée : Scato, porno et autres monstres), François Cavanna, l’un des survivants historiques de la joyeuse équipe du professeur Choron, n’oublie pas d’avertir le lecteur : « Ce qui t’attend de l’autre côté de cette page, c’est du bête, du méchant, parfois même carrément con. » Suit un beau florilège de montages photographiques, de parodies publicitaires et de couvertures qui firent la (mauvaise) réputation du célèbre mensuel hautement corrosif, où l’on reconnaitra notamment, parmi les figurants, Coluche, Serge Gainsbourg et Bernadette Lafont. Mais attention ! Ames bien-pensantes, esprits délicats et tartuffes de profession s’abstenir, car ces pages revendiquent haut et fort un droit au mauvais goût qui témoigne surtout d’une liberté de ton aujourd’hui disparue.

Un monde, en effet, sépare l’humour au vitriol de Hara Kiri de celui du journal qui, peu ou prou, s’inscrit dans sa lignée, Charlie Hebdo. Là où la provocation était jadis élevée au rang d’art, tant elle s’exprimait dans une outrance joyeuse et une irrévérence grinçante, ne subsiste plus guère de nos jours qu’un humour consensuel et finalement assez sage. Le fait que, pour son numéro spécial plutôt potache baptisé Charia Hebdo, le journal ait été victime d’un attentat en dit long sur la manière dont la liberté d’expression est reçue dans ce premier quart de XXIe siècle.

« Hara Kiri Jusqu’à l’os ! »
Depuis cette « parenthèse enchantée » des années 1970-1990, se sont, il est vrai, opérées plusieurs mutations significatives : dictature du politiquement correct, montée en puissance des mouvements religieux plus ou moins intégristes, multiplication des groupes de pression identitaires, culte du risque zéro, du principe de précaution et de l’hygiénisme forcené. Ces phénomènes sociétaux se révèlent d’autant plus prédateurs de libertés qu’ils ne suscitent aucune protestation, ne rencontrent pratiquement aucune résistance. L’heure est au citoyen responsable et docile. Bref, là où, pour en dénoncer les dérives et les abus, l’irrespect le plus total des conventions sociales, des institutions, des « valeurs » faisait simplement grincer les dents, s’impose désormais une société aseptisée, judiciarisée, dans laquelle l’initiative des poursuites a été privatisée au profit du premier syndicat d’intérêts venu par un Etat qui ne voulait plus endosser les oripeaux du censeur. Voilà pourquoi les hilarantes satires de Hara Kiri ne pourraient plus être publiées aujourd’hui sans que des « associations » et autres groupuscules ne conduisent les auteurs dans les prétoires.

Jusqu’à l’os ! se présente donc comme un document historique, presque archéologique, à savourer pleinement. Pour ce quatrième opus, l’éditeur a opéré un classement thématique. Les rubriques se nomment ainsi : « Vie pratique », « Les Malheureux », « Les Valeurs », « Les Salopes », « L’Amour », « Les Bas morceaux », etc. On y raille au second, voire au troisième degré, la société de consommation, la politique, les handicapés, la famille, la religion, l’enfant-roi, les femmes, la pédophilie, en d’autres termes tout ce dont il n’est plus guère recommandé de se moquer par les (tristes) temps qui courent. « Du chaud, du cru, du dru, du fauve, de la merde ! », comme disaient dans leur Journal Edmond et Jules de Goncourt à propos d’un texte érotico-scatologique de Théophile Gautier. Avec, à chaque page, de grands éclats de rire.

« Hara Kiri Jusqu’à l’os ! »
En prime, dans chaque exemplaire, est incluse une montre « collector », copie de celle qui fut offerte avec un numéro de 1984 et qui n’avait, jusqu’à présent, jamais été rééditée. Sans doute n’est-ce pas la Rolex dont on sait, depuis l’ineffable Séguéla, que si l’on ne la possède pas à 50 ans, on a raté sa vie, mais porter cette montre-là, où les heures sont remplacées par les étapes inévitables du quotidien (bouffe, café, sieste, bière, boulot, etc.) fera à coup sûr froncer les sourcils des grincheux, ce qui contribuera au moins à réussir sa journée.

Illustrations : issues de l'album Jusqu'à l'os!.


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