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Nerval en voyage

Publié le 16 décembre 2011 par Les Lettres Françaises

Nerval en voyage

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On est d’abord surpris par le titre : on ne connaît pas de Voyages en Europe parmi les opus répertoriés du canon nervalien. On se dit alors qu’il doit s’agir d’une « anthologie » de récits de voyage, et qu’après les trois volumes de l’édition complète et tatillonne de « la Pléiade » (1984-1993), publiée sous les auspices du regretté Claude Pichois, un choix de textes déjà connus n’est pas forcément indispensable.

Mais, comme ces Voyages en Europe sont publiés par les Éditions du Sandre, une jeune maison qui a jusqu’alors fait preuve de curiosité (des Pamphlets du cardinal de Retz aux Oeuvres complètes de Chamfort, en passant par les Écrits esthétiques de Delacroix) autant que de rigueur, et sans la moindre faute de goût, on ouvre ces Voyages en Europe avec curiosité et on se précipite sur la préface de Michel Brix, nervalien reconnu qui avait participé à l’édition de Claude Pichois, pour savoir de quoi il retourne.

Les Lettres Françaises, revue littéraire et culturelle

Nerval, Voyages en Europe, éditions du Sandre

Ces Voyages en Europe ne révèlent pas de textes inédits stricto sensu, mais donnent pourtant à lire un corpus nervalien nouveau, en permettant de découvrir dans leur continuité, et le jaillissement de l’écriture, des textes jusqu’alors dispersés parmi les articles repris dans « la Pléiade », ou qu’on pouvait reconstituer à partir des « variantes » de cette même « Pléiade ». Il s’agit, on s’en doutait, des textes écrits par Nerval au fil de ses voyages en Europe et donnés, au fur et à mesure, à divers journaux. Mais, avec Nerval, on le sait, rien n’est jamais simple : si certains de ses articles étaient restés inédits en volume (ce qui explique leur inclusion dans la section « articles » de « la Pléiade », où ils sont publiés chronologiquement, au milieu d’autres articles sans rapport thématique avec eux), d’autres avaient été réutilisés par l’écrivain dans des livres bien connus, essentiellement Lorely et le Voyage en Orient. Nerval, en les intégrant à un ensemble, les avait modifiés, redécoupés, raccourcis, réécrits. Ces passages coupés par Nerval lors de la mise en forme de Lorely ou de Voyage en Orient, et qu’on ne pouvait lire qu’en « variantes » – et en microcaractères dans « la Pléiade » –, étaient donc quasiment inconnus. C’est ainsi que ces Voyages en Europe, sous la forme donnée ici, sont bien un véritable « inédit » de Nerval.

On y retrouve Nerval voyageant en Belgique, en Allemagne, en Autriche et en Grèce, mais aussi, de façon plus surprenante, en Angleterre, et on se rend compte que, au même titre que ses amis Dumas ou Gautier, il a été l’un des grands voyageurs romantiques, un voyageur curieux, ouvert aux surprises de la route, au grain du quotidien. Le ton de ses récits, sous leur forme brute, évoque souvent celui de Dumas, et il est amusant de comparer les textes que chacun a laissés sur un voyage en Allemagne effectué en commun en 1838, et que l’auteur du Comte de Monte-Cristo racontera de son côté dans les Excursions sur les bords du Rhin. Alors que Dumas, construisant un volume à partir de ses articles de voyage, va privilégier la narration, le mouvement – on a pu dire que les premiers volumes de ses Impressions de voyage étaient comme un laboratoire du grand jaillissement romanesque qui devait suivre –, Nerval, lui, réécrivant partiellement ses articles pour les éditer, les compliquera, les obscurcira, accentuera leur dimension mythologique, et Lorely n’aura plus grand-chose à voir avec les Excursions sur les bords du Rhin : d’un côté, un savoureux récit de voyage, brillant, drôle, limpide ; de l’autre, un livre plus sombre, plus torturé, une quête de soi-même, un voyage initiatique.

Nerval est un auteur qui obsède, qui peut rendre fou, un auteur dont le moindre fragment semble la reproduction en miniature de l’ensemble de l’oeuvre, et porteur de tout son sens. C’est sans doute ce qui explique la difficulté que présente sa lecture et le fait que, pendant longtemps, il n’ait été considéré que comme un « petit maître », un romantique mineur – alors qu’il s’agit sans doute de l’écrivain français le plus authentiquement « romantique », le plus proche des grands romantiques allemands.

Au centre des mythes propres à Nerval, la perte de soi, la quête de soi et de la femme aimée, à la fois muse, mère, amante. Cette perte et cette double quête trouveront leur aboutissement dans Aurélia, qui marquera tant les surréalistes, dans les mystérieux sonnets des Chimères (dont chaque vers, dans sa perfection lumineuse et opaque, semble une condensation de l’ensemble du corpus nervalien) et dans Voyage en Orient, qui, loin des voyages anecdotiques de Gautier et de Dumas, est une recherche hallucinée de soi-même.

La publication des Voyages en Europe – en sus du plaisir qu’elle donne de découvrir la fraîcheur de l’écriture d’un Nerval encore proche de sa source – permet de mieux cerner le travail qui fut le sien lorsque, sertissant ces textes dans les ensembles complexes que sont Lorely et Voyage en Orient, il leur donna une résonance nouvelle, des profondeurs infinies.

Christophe Mercier


 
PS : Les livres des Éditions du Sandre sont vendus, notamment, à la librairie du même nom, rue du Marché-Ordener, dans le 18e arrondissement, une belle librairie d’anciens ouvrages, offrant un choix sûr et varié de livres à des prix très abordables.
 
Voyages en Europe, de Gérard de Nerval. Éditions du Sandre, 2011, 390 pages, 32 euros.



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