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En état de poésie 7 : Malévitch et l'unitotalité

Publié le 18 décembre 2011 par Tudry
En état de poésie 7 : Malévitch et l'unitotalité

" [...] toute preuve est la simple apparence de ce qui n'est pas prouvable.

L'homme appelle toute apparence objet; ainsi l'objet n'existe pas dans le prouvable et l'improuvable. " (Malévitch)

Par ses six fiat Dieu, penseur parfait parce que Vivant parfait, a construit le monde " sans employer une seule minute de travail " nous dit Malévitch dans son petit opuscule essentiel Dieu n'est pas détrôné. L'Art, l'Église, la Fabrique (L'Age d'Homme, Petite bibliothèque slave 20, Paris, 2002).

" Pas une seule ", " pas une seule minute de travail ".

Le travail est pour l'homme déchu.

Souffrance

Dieu a créé et il n'y aura plus de création car l'homme a déserté le non-lieu de Dieu.

" Pas une seule minute de travail (à l'exception du modelage de l'homme dans de l'argile). "

L'homme-matière ne fut pas créé de " rien ". Il y avait " quelque chose ". L'homme sort de Dieu et du monde-créé, il est élevé depuis l'unitotalité.

Extrait et écarté, extrait et purifié par le Souffle.

Auto-créateur en communion dans la pensée divine il n'aura su supporter le poids de la création. Il ne saurait plus rien créer. Il travaille.

Il peine, il fabrique, il usine à partir de la matière chutée. Il travaille.

Travaille la matière et se torture à chercher dans la peine, la sueur, la souffrance, la douleur le chemin de la perfection. Il fabrique des objets, il fabrique de l'objectivité, de la représentation pour se mirer dedans.

Soupirent après le monde-sans-objet...

La pureté du sujet sans représentation. La vision face-à-face.

La " grande paix ". Sans les mots qui sont comme des outils pour forger des objets nouveaux.

Bien qu'il n'y ait et ne puisse y avoir de nouveauté.

Juste peine, douleur, sueur, faire, travail, torture...

L'homme-matière-chuté ne connaît nul repos. Il connaît, tout juste, une illusion de repos quand, en Dieu, tout est repos - katapausisme...

L'exténuation du travail. Le travail qui inlassablement le travaille, conjointement au langage. L'homme ne connaît nul repos. Nul pause.

En veut-il d'ailleurs. Vers quoi dirige-t-il cette énergie qui le dévore. Par le travail trouver la fin du travail. A découvert c'est l'exténuation qu'il recherche. Nulle création.

Et puis l'ennui. L'inactivité est une autre torture. Cessation de l'excitation qui pour Malévitch est fondement du monde. Le chemin vers l'exténuation est bouché.

Alors il y a l'art.

L'artifice pour combler, pour faire faussement de l'excitation.

L'art nait comme camouflage douloureux du faux-repos spirituel de l'inactivité.

Devant une toile de maître, ou y songeant, Unamuno écrira " le crime est aussi un art ".

L'art est aussi un crime. Mais un crime grimé.

L'art est d'origine caïnite. Mais il n'est rien qui ne puisse être retourné.

" L'aspiration de l'homme à l'unité est une aspiration obscure à voir de façon supposée, dans l'unité une direction de Dieu; c'est l'unité dans la Trinité en tant qu'elle dirige l'Univers, en l'homme comme direction de sa vie pan-humaine. " (Kazimir Malévitch, op.cit, p. 48)

Dernière brochure paru du vivant de Malévitch Dieu n'est pas détrôné est un texte ramassé. Une condensation de la pensée. A partir de son expérience intérieure Kazimir Malévitch expose une vision textuelle presque picturale, raréfié, pénétrante, tendue entre interrogation monumentale et affirmative révélatrice. Fulgurance.

Nous savons néanmoins que le traité de Gerschenzon Troïstviennyi obraz soverchenstva fut comme la source du texte de Malévitch. Il fut comme le détonateur de la charge philosophique qui s'échauffait déjà en l'artiste.

Pour traduire sans trahir il faudrait ne pas hésiter. Pour une même phrase offrir différentes variantes et variations.

Obraz c'est l'image, c'est également l'icône, ce peut être le visage, la " face ".

L'image triadique de la perfection

Le visage ternaire de la perfection

De la perfection l'image trine

Le visage trinitaire de la perfection

De la perfection l'icône trinitaire...

La voie trinitaire de la perfection, l'art, l'église, la fabrique, est ce qui ne peut être dit, ni contredit, donc. Voie, dans la division, camouflée dans la division, vers l'unité au-delà de l'un, le sans-objet.

" Dieu n'a pas travaillé, il a seulement créé... " (Malévitch, op. cit., p. 81)

Pour Malévitch Dieu est entré ensuite dans le total repos non-pensant car Il a construit le monde dans sa perfection. " Rien n'a plus besoin de Dieu, comme Dieu n'a plus besoin de lui. Il ne dirige plus son royaume technique. Et ainsi tout aspire au repos ou Dieu en tant qu'état non-pensant. " Ceci c'est le bout du chemin.

Entre les deux il faut la division pour réunir.

Une grande ascèse contre la culture et la civilisation. Un épurement plus exactement.

Mais il faudra aussi, et ce serait une grande avancée aussi pour l'herméneutique de ce texte de Malévitch, revenir une bonne fois sur cette idée de la création. La " création " est un acte unique !

Le texte de la Génèse dit " faire ". Dieu a fait le monde... c'est assez différent. Et il le fit par Sa Parole. Il a donc parlé le monde... Le monde s'est fait parce que Dieu a parlé. L'homme-chuté fabrique laborieusement. Et dans ce qu'il modèle de ses mains il y a toujours un peu de sang.


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