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The Word: Superdelegates (1)

Publié le 16 février 2008 par Scopes
Columbia Journalism Review

Une petite aristocratie démocrate pourrait-elle décider de l'identité du futur candidat de leur parti, et donc peut-être du futur Président des Etats-Unis? C'est la question qui hante les débats télévisés et brûle les lèvres des analystes depuis le Super-Tuesday. Gros plan sur les Superdélégués, en deux parties.
Depuis plus de 30 ans, les conventions de nomination des candidats à la présidentielle n'étaient que des formalités, une intronisation de celui qui avait dominé, voire écrasé ses adversaires, lors des primaires. Un leader qui avait émergé rapidement après les premières consultations, au cours du Super-Tuesday au plus tard. Rappelez-vous 2004 et la désignation par acclamation de John Kerry, le vétéran du Vietnam "prêt à servir" encore (on se souvient de son mémorable "I'm reporting for duty"). Mais pour la première fois depuis des années, cette convention pourrait bien être disputée. Que les médias (et nous!) prêtent attention au nombre de délégués collectés, dans chaque état et à chaque consultation, voilà déjà un grand changement. Et donc, l'identité du candidat d'un parti (ici, les démocrates) pourrait n'être décidé qu'à l'occasion de cette convention. Du coup, tout le monde commence à s'intéresser à cette petite catégorie jusque là oubliée qui aura un vote à cette grand-messe: les Superdelegates.

En effet, la convention démocrate réunira 4049 délégués cet été à Denver. De ceux-là, 3253 sont ceux issus des primaires et caucus qui se seront déroulés depuis l'Iowa en janvier dans tous les états et territoires du pays. Ils sont obligés de voter pour le candidat qu'ils représentent ("pledged delegates"). Les 796 autres sont ces fameux Superdélégués, ces membres de l'establishment du parti démocrate qui sont, de droit, présents à la convention, et qui sont libres de soutenir celui ou celle de leur choix. Il s'agit, pour chaque état, de la délégation au Congrès (i.e. les Représentants et Sénateurs), des gouverneurs, ainsi que des leaders locaux du parti et des membres ou anciens membres du parti démocrate national (DNC, Democratic National Council). Certains sont des grands donneurs, d'autres, des dirigeants syndicaux. (Le parti républicain n'a pas de superdélégués, mais des "délégués automatiques", qui sont au nombre de 3 par état et sont le président du parti républicain local et deux membres du parti national.)
Exemple: le plus démocrate des états, le Massachusetts. Dans cet état, 93 délégués ont été choisis lors de la primaire du Super-Tuesday. Mais en plus, l'état sera représenté à la convention par 26 superdélégués. Parmi eux, on compte les 10 Représentants de l'Etat (tous démocrates), les deux Sénateurs Ted Kennedy et John Kerry, le Gouverneur Deval Patrick, 3 dirigeants du parti démocrate du Massachusetts, et 10 membres du DNC, dont le petit-fils de Franklin Rossevelt (et PDG d'un grand groupe d'assurance maladie et donneur), des fundraisers et deux anciens présidents du DNC. Dans un autre état, la Virginie, le président de l'AFL-CIO locale (le plus grand syndicat du pays, et un soutien fort du parti démocrate) est l'un des superdélégués. (Pour une liste complète des superdélégués pour chaque état, allez sur cette page du Washington Post)
D'où viennent ces superdélégués? Ils ont été inscrits dans les statuts de la désignation du candidat à la présidentielle à la suite de l'élection désastreuse de 1972. Mais il nous faut d'abord faire un petit retour en arrière. 1968: à la suite d'une campagne chaotique (retrait du Président sortant Lydon Johnson, assassinat de Robert Kennedy, candidatures de Eugene McCarthy et George McGovern), le Vice-Président Hubert Humphrey est choisi pour porter les couleurs du parti alors qu'il n'a gagné aucune primaire. Il faut noter que seuls 13 états tenaient des primaires à l'époque; dans les autres états, l'attribution des délégués était décidée par les leaders locaux, et c'est auprès d'eux que Humphrey parvient à s'imposer. A la suite de sa défaite, un mouvement s'organise pour réclamer la généralisation des primaires (ou caucus) afin de donner une voix aux militants et sympathisants démocrates. Un système est donc mis en place sur ce principe, qui marginalise le rôle des leaders locaux et nationaux.
Mais évidemment, tout nouveau système a des failles, et 1972 se charge de les mettre en avant. En effet, à l'issue des primaires de 1972, le candidat démocrate désigné est le Sénateur George McGovern, un opposant détérminé à la guerre du Vietnam qui apparaît à beaucoup comme trop libéral (au sens américain), et qui mène une campagne générale très peu convaincante. Résultat: une défaite monumentale face à Richard Nixon, 61% contre 38. Nixon remporte la majorité dans 49 états, y compris celui du Sénateur McGovern, le Dakota du Sud; seul le Massachusetts vote pour lui. Nombre de dirigeants démocrates attribuent cette bérésina au nouveau système de désignation, qui favorise les candidats populistes plaisant aux activistes les plus libéraux. Un compromis est alors trouvé pour les élections à suivre (et c'est, grosso modo, le système qui existe encore aujourd'hui), et est mis en place après les élections de 1980: chaque état envoie un certain nombre de délégués à la convention, la grande majorité étant désignée sur la base du vote lors des caucus ou primaires, mais également un petit nombre étant des membres de l'establishment démocrate local. La logique est claire: ces superdélégués doivent faire office de sages, et empêcher la désignation de candidats extrêmes ou qui ne pourraient pas sérieusement concurrencer l'adversaire républicain.
La pertinence de ces superdélégués n'avait jamais été testée depuis lors, puisqu'à chaque cycle électoral un favori avait rapidement émergé à l'intérieur du parti. Mais la configuration de cette année les ressort de l'ombre. Certains de ces superdélégués ont déjà annoncé leur soutien à un candidat, d'autres refusent de le faire. Nous reviendrons mardi sur les différentes stratégies à ce sujet. Ce qui est sûr, c'est que pour la première fois ils devraient jouer un rôle majeur cette année.
Signé: Amerigo

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