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Que fait la police ? du "Chaos" à la révolution

Publié le 06 janvier 2008 par Gonzo

Est-ce parce que les gens ont plus de temps ? parce qu’ils recherchent la fraîcheur des salles conditionnées ? En tout cas, en Egypte, l’été est la saison de la meilleure fréquentation des cinémas. C’est donc celle que retiennent de préférence les deux principales sociétés de distribution pour les films susceptibles de faire de bonnes salles.
Toutefois, comme la production égyptienne a sérieusement augmenté après un certain passage à vide, les vacances d’hiver (qui coïncidaient cette année avec l’adha, la fête du sacrifice) voient également bon nombre de sorties, en général moins fracassantes.
Recalé l’été dernier, parce qu’il était jugé incapable d’attirer le grand public, Le Chaos (هي فوضى), le dernier film de Youssef Chahine, a donc été présenté au public cet hiver. Avec au final une excellente surprise puisque le résultat des entrées dépasse toutes les espérances : plus de 10 millions de livres égyptiennes de recettes, un peu plus d’1,2 million d’euros, un résultat très honorable même si les blockbusters de l’été peuvent faire plus du double.
De quoi redonner le goût de la vie au cinéaste égyptien, âgé (bientôt 81 ans), malade, et sérieusement ébranlé par l’accueil très réservé fait à son film par la critique. Des mauvaises langues avaient même été jusqu’à insinuer que c’était parce qu’il avait lui-même conscience des faiblesses de son œuvre qu’il avait choisi de se dédouaner par avance en faisant figurer sur l’affiche, à côté de son nom, celui de Khaled Youssef, son disciple. (Depuis 1992, ce dernier est son assistant et coscénariste : Le Destin, L’Autre, Alexandrie… New York.)
D’après les témoignages (article en arabe d'Al-Quds, du 4 janvier), les spectateurs, jeunes, s’enthousiasment pour cette "histoire d’amour contrarié dans un climat de violence sociale et de répression policière" selon le synopsis du film sur le site du distributeur français. Ils n’hésitent pas à applaudir les scènes où le méchant, un épouvantable flic véreux qui fait régner sa loi sur le quartier, reçoit pour finir le juste châtiment de ses innombrables forfaits.
Avec ou sans Khaled Youssef, Chahine reste donc fidèle à son style et propose un cinéma de dénonciation politique. Sur un mode suffisamment direct d’ailleurs pour avoir affirmé, au début de l’année dernière, qu’il s’attendait à ce que son film soit interdit.
Mais cette fois-ci, le censeur égyptien a joué en finesse. Ali Abou Shadi, le responsable de la censure cinématographique – un poste qu’occupa Naguib Mahfouz dans les années 1960, mais la comparaison s’arrête là ! – a ainsi multiplié les déclarations triomphales dans la presse (article en arabe dans Al-Akhbar du 11 décembre). Ainsi, les coupes exigées, minimes, avaient pour seul but d’« alléger des scènes et des dialogues composés d’une litanie d’insultes » (التخفيف من مشاهد وجمل هي عبارة عن شتائم). Il a paru également nécessaire de supprimer une brève séquence où le policier véreux humiliait le courageux substitut du procureur, tout cela pour ne pas susciter de discorde entre les représentants des pouvoirs exécutif et judiciaire !
Quelles que soient ses qualités et ses défauts, le film de Youssef Chahine montre bien que la corruption et la violence policières, vigoureusement dénoncées par l'opposition, notamment sur les blogs (voir ce précédent billet), sont des thèmes qui suscitent un réel écho auprès de la population égyptienne.
Une réalité soulignée dans cet article (en arabe, Al-Akhbar, 24 décembre) qui souligne que, dans la production hivernale, trois autres films mettaient directement en cause les pratiques des forces de l’ordre locales : Al-Jazîra dans lequel un trafiquant de drogue se moque ouvertement de l’efficacité de la police, Khârij al-qânûn, dans lequel un représentant de la loi décide de mettre celle-ci à son propre service, et enfin, Hina maysira(حين ميسرة, "Juste un moment de bien-être"), réalisé par Khaled Youssef, « l’assistant » de Chahine, qui dénonce les collusions de la police avec les militants de l’islam radical dans les "zones d’habitat spontané" (عشوائياتdu Caire).
Mais, dans ce dernier cas, l'attrait du film, et la rumeur de scandale, ne sont pas seulement politiques. En effet, et on peut y voir un signe que les choses évoluent, une scène fait clairement allusion à des pratiques homosexuelles féminines, ce qui a provoqué d'ailleurs, une plainte de l'inévitable 'Abd al-Sabbour Chahine (عبد الصبور شاهين : déjà rencontré dans ce billet à propos de Taha Hussein). Ce religieux, qui s'est fait une spécialisté de la chasse aux intellectuels progressistes, n'hésite pas à voir dans le film de Khaled Youssef un éloge de la perversion sexuelle où il reconnaît "les doigts - je traduis mot-à-mot ! - de l'Amérique et du sionisme" !!! (cf. cet article en arabe sur Al-Arabiyya).
Entre la dénonciation, assez attendue, des pratiques policières et l'évocation à l'écran, plus inédite, de certaines pratiques sexuelles, quelle est la vraie "révolution" ?

Et si vous en avez envie d'en voir plus !
- cinq extraits, sous-titrés en français, et la bande annonce du film en suivant ce lien
- la bande-annonce de la dernière réalisation de Khaled Yussef (en solo), Hîna maysira
- le site officiel de Youssef chahine (tout en anglais !)
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