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Vidéodrome

Par Ledinobleu

Affiche américaine originale du film VidéodromeMax Renn, directeur d’une chaîne privée racoleuse, ne vit que pour la télévision et passe des heures à visionner des programmes en quête d’idées d’émissions. Jusqu’à ce qu’un de ses employés lui fasse découvrir Vidéodrome, une chaîne pirate spécialisée dans les sévices sexuels et où il n’y a que violence, torture et meurtres… Subjugué par le réalisme de ce programme, Max veut en savoir plus mais alors qu’il touche au but, des hallucinations l’assaillent soudain, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus distinguer la réalité des phantasmes.

Ce qui caractérise Vidéodrome dans la filmographie de David Cronenberg, c’est le passage au niveau supérieur de la déformation du corps quand celle-ci se voit assujettie à celle de l’esprit. Se situant dans la continuité du film Chromosome 3 (1979), étape précédente et fondamentale de son œuvre qui montrait les altérations de la psyché comme celle de la chair, donc les troubles intérieurs comme les extérieurs, Vidéodrome présente un protagoniste principal qui subit à travers son épreuve une forme de psychanalyse par laquelle il découvre peu à peu les recoins les plus obscurs de son propre esprit – ceux dont il ne soupçonnait même pas l’existence et que ses hallucinations lui révéleront dans une tourmente où se mêlent délices et culpabilité…

La symbolique, dans ce cas précis, se montre assez évidente. En mettant ainsi en scène un professionnel de l’audiovisuel et de la télévision pris à son propre jeu, Cronenberg dresse surtout un portrait corrosif de l’influence des médias en général sur notre perception du réel, soit sur notre esprit, bref sur nous-mêmes – notre identité. La manipulation se trouve donc ici au cœur du récit, et se base sur les pulsions les plus basiques et les plus coupables telles que sexe, violence, domination, etc. Toute ressemblance avec les contenus des programmes de la télé-réalité n’a absolument rien d’une coïncidence, bien au contraire – l’écran de télévision, après tout, sert de rétine à l’œil de l’esprit, au point d’ailleurs de devenir la seule véritable réalité…

C’est en quelque sorte la complainte de « l’homme programmé » : de même que Max Renn se fait conditionner par l’insertion d’une cassette vidéo dans son abdomen par les concepteurs de Vidéodrome, le spectateur des chaînes de télévision racoleuses se voit lui aussi endoctriné, faute d’un meilleur terme, par la morale douteuse de ces émissions bas de gamme. On peut d’ailleurs voir dans de tels choix de programmes télévisés une des raisons de la résurgence des conservatismes et des extrémismes dans les opinions publiques : miroir d’une réalité fabriquée de toutes pièces et où l’homme n’est plus qu’un loup pour l’homme, la télévision devient ainsi le prétexte pour des gens pourtant bien sous tous rapport de se laisser à leurs pulsions les plus extrêmes.

Sous bien des aspects, en fait, Vidéodrome devance de nombreuses préoccupations actuelles sur la place de cet hypermédia qu’est internet et autour duquel gravitent des portions toujours plus importantes de notre vie, tant en quantité qu’en portée. Là aussi nous utilisons des identités factices, que nous espérons conçues sur mesure mais qui finissent toujours par nous échapper tant notre définition de nous-mêmes dépend toujours de la perception des autres. D’ailleurs, cette « hyper-identité » flirte sans honte aucune avec la notion de transhumanisme : l’« homo média » de Vidéodrome se confond ainsi avec l’être virtuel des forums, des chats et des blogs – doué d’ubiquité, il tend à se noyer dans cette multiplication de lui-même.

Mais comme il se doit, cette avancée technologique ne sert que de base pour une évolution de la société dont les véritables tenants et aboutissants – positifs ou nocifs – restent encore à déterminer. Quant à Vidéodrome, il demeure encore à ce jour une des productions les plus abouties sur le rôle de la technologie des médias dans notre quotidien.

Récompenses :

- Meilleur film de science-fiction au Festival international du film fantastique de Bruxelles en 1984
- Best Cinematography in a Theatrical Feature aux CSC (Canadian Society of Cinematographers) Awards pour Mark Irwin
- quatrième au classement du documentaire en deux parties 30 Even Scarier Movie Moments de la chaîne Bravo en 2007
- sélectionné pour figurer parmi les 23 Weirdest Films of All Time par Total Film
- nommé le 89e film le plus essentiel de l’histoire du cinéma au Festival international du film de Toronto

Notes :

Alors enfant, Cronenberg regardait souvent des chaînes pirates américaines une fois que les programmes canadiens étaient terminés, et il s’inquiétait parfois d’y trouver des choses dérangeantes. Cette expérience personnelle forma la base du synopsis de Vidéodrome.

Le philosophe, sociologue, théoricien de la communication et professeur de littérature anglaise Marshall McLuhan (1911-1980), dont Cronenberg suivit les cours à l’université, influença nombre des idées présentes dans ce film.

Vidéodrome expérimenta la technologie d’élimination des clignotements pour la prise de vue d’images d’écrans de télévision ; auparavant, les images étaient surimposées sur des écrans de TV éteints.

En raison de leur taille, des cassettes vidéo Betamax furent utilisées au lieu des VHS qui ne pouvaient entrer dans l’ouverture abdominale de Max.

La vidéo pornographique Samurai Dreams, dont de courtes séquences sont visibles dans le film, fut réalisée exprès pour Vidéodrome.

Universal annonça en 2009 un projet de remake, scénarisé par Ehren Kruger, dont on reste sans nouvelles depuis…

Vidéodrome est aussi connu sous les titres de Network of Blood et de Zonekiller.

Vidéodrome, David Cronenberg, 1983
MEP vidéo, 2009
84 minutes, env. 10 €

- l’analyse sur Cinétudes (archive partielle)
- d’autres avis : ÉcranLarge, Les Ingoruptibles, Film de Culte, DevilDead
- sur la blogosphère : Les Lectures de Cachou


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