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"Jésus" de Jean-Christian Petitfils

Publié le 28 décembre 2011 par Francisrichard @francisrichard

Jean-Christian Petitfils vient de publier un Jésus chez Fayard ici. Il s'est agi pour lui, à partir surtout des évangiles, qui sont les sources historiques principales de la vie du Christ, de nous restituer le Jésus de l'histoire, c'est-à-dire de faire oeuvre d'historien, en se gardant bien de mélanger théologie et histoire.

Ce livre dont la couverture représente Le visage du Christ de Rembrandt est un fort volume de 682 pages. Il comporte en dehors du récit de la vie de Jésus, un fort appareil de notes, de nombreuses indications bibliographiques, un index des noms de personnes et des annexes.

Ces annexes, qui occupent une centaine de pages, traitent des sources extérieures, des évangiles synoptiques, de Jean l'évangéliste, de l'historicité des évangiles, des manuscrits de la mer Morte, des reliques de la Passion. La dernière de ces annexes est une chronologie fort utile. Bref ce sont des compléments indispensables à la connaissance de la personne historique du Christ.

L'intérêt principal de ce livre est de nous resituer la personne du Christ dans le contexte de son époque, qui explique bien des passages des évangiles. Ainsi certains historiens, dans le but de démythifier la personne de la mère du Christ, ont tenté de démontrer, par méconnaissance du contexte, que Jésus n'était pas son fils unique et qu'elle lui avait donné des frères. 

Langue araméenne à l'appui l'auteur nous montre qu'il faut entendre l'expression ""frères de Jésus" comme des cousins à la mode orientale" et que l'expression "premier-né" ne signifie nullement qu'elle a eu d'autres enfants. Tout porte à croire, au contraire, qu'elle n'a eu qu'un fils.

Quand Jésus, sur la croix, dit à sa mère, à propos de Jean, "Femme voici ton fils" et au disciple bien-aimé "Voici ta mère", il confirme qu'il est bien fils unique de Marie :

"Par ce geste de tendresse et d'amour filial Jésus administre indirectement la preuve que sa mère n'avait pas d'autres fils car la loi d'Israël fait obligation aux enfants de prendre en charge leurs vieux parents. C'est un devoir sacré. Si Jésus avait eu des frères ou des demi-frères, comme le prétendent certains commentateurs il aurait chargé Jean ou les autres femmes d'un message à leur égard. Il ne l'a pas fait. C'est bien parce que Jacques le Juste pas plus que Joseph, Siméon ou Jude, pourtant tous présents à Jérusalem lors de cette ultime Pâque, n'avaient aucune obligation morale à son égard. Ce ne sont que ses cousins." 

L'historien se doit aussi de distinguer ce qui relève de l'allégorie. Ainsi Petitfils, au sujet de la retraite de quarante jours du Christ dans le désert, écrit-il :

"Ce n'est pas céder à la manie de la "démythologisation" que de considérer que nous sommes ici en présence d'un genre littéraire particulier, qu'il convient de lire dans le contexte culturel de l'époque : un récit fictif illustrant une idée théologique, accomplissant une "vérité propre" à l'histoire du salut. Il y en a peu dans les évangiles. C'en est un."

Autre exemple. Un historien doit lire dans son contexte la prière du "Notre Père", "construit selon l'art poétique de l'époque". Pour ce faire Petitfils s'est appuyé sur la traduction du père Carmignac, lequel l'a élaborée "après en avoir étudié le substrat sémitique".  Quand il en vient à la difficile sixième requête - "Garde-nous de consentir à la tentation" selon le père Carmignac - Petitfils remarque :

"Jésus n'a certainement jamais voulu dire : "Ne nous induis pas en tentation" ou "Ne nous soumets pas à la tentation" (formule douteuse adoptée en 1922 par un auteur protestant anonyme et reprise, avec beaucoup de légèreté par une commission oecuménique dans la traduction actuelle du Notre Père)."

Pourquoi ? Parce que le texte original en araméen avait été traduit en grec et en latin, qui ne disposent pas de conjugaisons équivalentes au causatif de l'hébreu et de l'araméen, et qui ne pouvaient donc que trahir ce texte en le traduisant par des formules inadéquates.

Sur un autre point controversé Petitfils relève que la foule qui réclame la libération de Bar Abba et le crucifiement de Jésus est composée "d'obligés, de clients, de gens stipendiés, gardes, hommes de main, serviteurs de tous rangs" des grands prêtres et de leurs complices, et qu'elle n'a rien à voir avec celle, composée d'humbles Galiléens ou de pèlerins, qui a acclamé Jésus à son entrée dans Jérusalem peu auparavant. 

Il faut donc là encore replacer dans son contexte la formule selon laquelle cette foule de Juifs assume le sang du Christ qu'elle veut voir verser sur elle :

"Elle va nourrir, hélas, chez les chrétiens un antijudaïsme, une haine des juifs comme peuple déicide, que rien, absolument rien ne justifie. Elle va servir de prétexte à des siècles de meurtres, de pogroms et d'incompréhension." 

Si Petitfils s'est servi abondamment des évangiles synoptiques, ceux de Mathieu, Marc et Luc, pour reconstituer la vie de Jésus - "leurs données sont en général fiables, à condition de ne pas verser dans des interprétations par trop fidéistes" - il s'est appuyé davantage encore sur celui de Jean :

"Les historiens reconnaissent aujourd'hui qu'à côté de ses éblouissantes perspectives théologiques son évangile est le plus historique."

C'est ainsi que la chronologie de la Passion selon Jean est historiquement plus vraisemblable que celle des synoptiques:

"Dans une optique liturgique, les synoptiques font coïncider l'institution de l'eucharistie avec le repas pascal, allant jusqu'à décaler d'un jour le déroulement du drame final : le 15 du mois de Nisan, jour de la Pâque juive, Jésus aurait comparu devant Pilate avant d'être crucifié. Historiquement, une telle présentation est difficile à soutenir : comment envisager un procès et une exécution de Jésus un jour de si grande fête ? Jean paraît plus exact : Jésus aurait réuni ses disciples pour un repas d'adieu le 13 de Nisan et aurait été crucifié le lendemain, 14, veille de la Pâque juive."  

Qumrân et les manuscrits de la mer Morte ont été d'un grand secours à l'auteur pour replanter "dans le terreau palestinien certains textes du Nouveau Testament, que l'on pensait inspirés par la pensée grecque, comme l'évangile de Jean."

Les reliques de la Passion, le linceul de Turin, le suaire d'Oviedo, la tunique d'Argenteuil, grâce à tous les travaux scientifiques opérés sur elles, permettent à l'auteur de reconstituer toutes les souffrances du Christ au cours des dernières heures avant sa mort et le récit qu'il en fait à partir d'eux est proprement édifiant, que l'on soit croyant ou non. Leur authenticité ne fait aujourd'hui plus guère de doute en dépit des polémiques passées :

"Les faisceaux de présomptions en faveur de l'authenticité atteignent des seuils jamais connus dans le domaine historique et archéologique. Ce verdict de la science, ignoré du grand public, est évidemment essentiel dans l'approche du Jésus historique."

A plusieurs reprises Petitfils signale au lecteur la frontière qui sépare le Jésus historique de celui de la foi. Ce qui est d'une grande honnêteté intellectuelle. Au crible de la méthode historique, quelles que soient les conclusions que chacun peut tirer en matière de foi ou non, Jésus tel qu'il ressort des évangiles apparaît comme "un exemple et un sujet de méditation" :

"Si on le débarrasse de l'imagerie sulpicienne, qui l'enserre dans une vision désincarnée et stéréotypée, Jésus y apparaît comme un personnage unique, insolite, un prophète déconcertant, un orateur qui bouscule les habitudes, menace, irrite, exaspère les gens, particulièrement les riches, les notables religieux et les puissants du sacerdoce de Jérusalem, enfermés dans leurs certitudes. Il fréquente les marginaux, dénonce les pratiques religieuses de pure forme."

Il ne faut pas se tromper :

"Ce n'est ni un révolutionnaire politique ni un professeur de morale. S'il appelle à une subversion, c'est à celle de l'amour divin, qu'il manifeste à travers sa personne. Il le fait dans un langage apocalyptique d'une radicalité absolue et d'une âpreté décapante."

Le Jésus de Petitfils est donc un livre à lire par qui veut mieux connaître l'homme dont se réclament aujourd'hui deux milliards de personnes et dont nous venons de fêter la Nativité. Quant aux croyants ils en sortiront réconfortés après avoir constaté que le Jésus de l'histoire ne contredit pas celui de leur foi et peut même l'enrichir.

Francis Richard  


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