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La bombe Karachi menace le candidat Sarkozy.

Publié le 03 janvier 2012 par Juan
Dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, on pense qu'il s'agit d'une course contre la montre. D'ici l'élection présidentielle, les juges Marc Trévidic, d'une part, et Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire d'autre part, se dépêcheraient de terminer leurs instructions des deux volets, criminel et financier, de l'affaire dite de Karachi avant le premier tour de l'élection présidentielle.
Dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, on est sûr qu'il s'agit d'une instrumentalisation politique, que ces révélations à répétition (jusqu'à cette dernière de Libération, lundi 2 janvier 2012), ne sont que l'oeuvre de journalistes engagés et anti-sarkozystes. Pourtant, la manoeuvre politique était ailleurs, du côté des pouvoirs publics depuis 2002. Depuis l'attentat de mai 2002 à Karachi, l'enquête a fait fausse route, orientée (volontairement ?) vers une piste terroriste. Ce n'est que récemment, en 2009, à l'occasion d'un changement de juge, qu'elle a enfin progressé.
Depuis l'été dernier, les révélations de Mediapart et de deux anciennes épouses de deux proches du clan Sarkozy ont ajouté de nouvelles frayeurs à l'aréopage sarkozyen. Ces derniers jours, l'AFP, Mediapart puis Libération ont porté de nouvelles pièces de l'affaire à la connaissance du grand public.
Les aveux...
Pendant la prétendue trêve de Noël, quelques informations supplémentaires sont venues troubler le repos de l'équipe élyséenne.
1. Le 31 décembre, l'AFP a publié des extraits de PV d'audition de Renaud Donnedieu de Vabres (RDDV) mi-décembre. En des termes très clairs, RDDV a admis les 13 et 14 décembre dernier aux enquêteurs de la Division nationale d'investigations financières (DNIF) avoir imposé Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir comme informateurs dans la vente des sous-marins français Agosta au Pakistan en 1994. Mais il a récusé le terme d'intermédiaire, il préféra l'expression « personne utile par leurs informations ». L'AFP a livré quelques extraits du PV d'audition vendredi dernier. Ziad Takieddine nie d'ailleurs toujours avoir perçu 26 millions d'euros de commission sur ce contrat.
En revanche, RDDV ne sait pas comment ces informateurs-clés ont été rémunérés: « Je me doutais qu'un certain nombre de personnes allaient toucher des commissions, dont M. Takieddine. Par contre je ne savais pas par quel biais ni le montant qu'il allait percevoir ».
2. Dans un article du 29 décembre dernier, Mediapart a révélé que Ziad Takieddine reconnaissait avoir versé des fonds à Thierry Gaubert, l'ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy. Le site a même trouvé trace d'un virement de 100.000 dollars de Takieddine à Gaubert en octobre 2010.
À la question du juge Van Ruymbeke «lui avez-vous remis de l'argent ?», M. Takieddine a répondu : «Oui, sur différentes périodes, par des virements, sur sa demande. Il avait besoin d'argent, il voulait que je lui prête de l'argent. Il ne m'a remboursé que très partiellement.»
3. Thierry Gaubert a bel et bien transféré des espèces de Suisse en France au moment des faits. Son ex-femme l'accuse. Le 29 décembre dernier, Mediapart complète: « Les policiers en ont retrouvé la trace. » Et précise que Thierry Gaubert, interrogé le 16 décembre dernier par la police, « n'a pas pu justifier l'origine des fonds déposés en 1995 − un million de francs suisses −, ni même les dépôts suivants. »
4. Brice Hortefeux, l'un des plus fidèles de Nicolas Sarkozy, est soupçonné d'avoir reçu des enveloppes d'espèces de la part de Ziad Takieddine. Le soupçon vient d'une accusation de l'ex-femme de l'homme d'affaires, citée par Mediapart dans le même billet. Le 19 décembre dernier, Brice Hortefeux a reconnu devant le juge Roger Le Loire qu'il avait « pu mesurer à l'occasion de la négociation d'un contrat important pour notre pays, le contrat Miksa la qualité de ses relations avec les autorités saoudiennes». Cette négociation portait sur la sécurisation des frontières saoudiennes.
... qui ciblent François Léotard...
La prochaine cible des instructions devrait être François Léotard. En 1995, il était ministre de la Défense d'Edouard Balladur quand ces contrats Agosta et Sawari II ont été conclus. Renaud Donnedieu de Vabres était son proche conseiller spécial.
La plupart des protagonistes français de cette vente ont été mis en examen depuis septembre dernier: Ziad Takieddine, l'intermédiaire qui nie avoir été intermédiaire dans la vente Agosta mais reconnaît son rôle dans Sawari II; Thierry Gaubert, ancien directeur de cabinet de Sarkozy à la mairie de Neuilly-sur-Seine, propulsé à l'organisation des meetings de campagne d'Edouard Balladur en 1995 (avec ... Brice Hortefeux); Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet de Balladur à Matignon en 1993-1995 et témoin du mariage Nicolas/Carla en février 2008; et, plus récemment, l'ancien PDG de la DCNI, la branche internationale de la Direction des constructions navales qui a vendu les sous-marins Agosta: Dominique Castellan.
Ce dernier a été mis en examen juste avant Noël, le 21 décembre 2011, pour abus de bien sociaux de 1994 à 1997 par le juge Renaud van Ruymbeke. Il est soupçonné d'avoir conclu « un contrat d'assistance fictif contraire à l'intérêt de la DCN » en 1994, qui prévoyait le versement de 33 millions d'euros de commission à une société de Ziad Takieddine. Or, d'après les juges,  M. Castellan aurait agi « afin de conserver son poste » et « sur instruction du ministre de la Défense de l'époque, François Léotard ».
Il reste donc deux personnages clés, François Léotard et... Nicolas Sarkozy.
Depuis qu'il s'est retiré de la chose politique, le premier utilise son carnet d'adresses... en Afrique. En Tunisie, son nom a fait surface dans un rapport de la Commission nationale d'investigation sur la corruption et la malversation, publié en novembre, à propos de l'octroi d'un marché de traitement de déchets sous Ben Ali: « Il apparaît que le marché a été accordé d'une manière irrégulière [...] à la société française et son conseiller FL, qui occupait le poste de ministre dans le gouvernement français et que l'ancien président [Ben Ali, ndlr] considérait comme un ami de la Tunisie.»
... et Nicolas Sarkozy
L'autre protagoniste clé de cette affaire est Nicolas Sarkozy. Lundi 2 janvier 2012, le quotidien Libération faisait sa une sur cette affaire: « Sarkozy savait ». Depuis la relance de l'affaire en juin 2009, l'équipe élyséenne a toujours démenti une quelconque implication de Nicolas Sarkozy dans l'affaire: il n'était que porte-parole de la campagne d'Edouard Balladur; ministre du budget, il ne gérait aucune vente d'armes; et il ne savait rien.
En fait, Nicolas Sarkozy savait, et nous le savions depuis quelques temps. En novembre 2010, Libération rapportait que la police luxembourgeoise l'avait nommément cité dans l'un de ses rapports: en tant que ministre du Budget, il avait avalisé la création d'une société-écran en 1994 pour le versement des commissions occultes du contrat Agosta, baptisée HEINE. Des « courriers à en-tête de Heine échangés entre Nicolas Sarkozy (alors ministre de l’Intérieur) et les administrateurs de la société » avaient été saisis. Mediapart avait également révélé comment Nicolas Sarkozy avait chargé ses conseillers de « négocier avec l'ancien dirigeant d'une société écran de la Direction des constructions navales (DCN) » un protocole transactionnel signé en 2009.
Lundi 2 janvier 2012, Libération publiait des extraits de procès-verbaux d'audition de Gérard-Philippe Menayas, l'ancien directeur administratif et financier de la DCNI, devant le juge Renaud van Ruymbeke. Ce dernier confirma (1) que le cabinet du ministre du budget était au courant, et (2) qu'une validation officielle du versement de commissions occultes à Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir par le ministre Sarkozy était nécessaire.
M. Menayas : « Il est clair que le Ministère du Budget a nécessairement donné son accord pour la création de Heine . Vu l'importance du sujet, cette décision ne pouvait être prise qu'au niveau du cabinet du ministre.»
Le juge: « Si je comprends bien, la mise en place de la structure Heine n'a donc pu se faire qu'avec le double accord des deux cabinets du ministre du Budget et celui de la Défense. Est-ce exact ? »
M. Menayas: « Oui. J'ai une expérience en la matière, ayant travaillé 6 ans à la direction du trésor. Je n'imagine pas qu'une telle décision ait pu être prise sans l'aval du cabinet du ministre. (...) Si ces précautions n'avaient pas été prises, je n'aurais jamais obtenu (...) l'accord de la direction générale des impôts (...) pour payer des commissions via Heine.»
Notez que Menayas évoque le cabinet du ministre et non pas Nicolas Sarkozy. mais savez-vous de quels montants parlons-nous ? De près de 300 millions d'euros de commissions d'intermédiaires:  84 millions d'euros sur le contrat Agosta et 213 millions d'euros sur le contrat Sawari II. Comment imaginer que la validation de la déductibilité fiscale dans les comptes de la DCNI d'une telle charge en si peu de temps n'ait été portée à la connaissance du ministre Sarkozy.
Lundi 2 janvier, Fabrice Arfi et Karl Laske de Mediapart ajoutaient une autre pièce au dossier, relative au contrat Sawari II:  « un feu vert a bien été donné, en 1995, en pleine campagne présidentielle, par le ministre du budget d'alors afin d'apporter la garantie de l'Etat à l'office d'armement Sofresa dans la vente des frégates saoudiennes ».
Ce feu vert, les enquêteurs l'ont trouvé dans un courrier daté du 30 mars 1995, signé par François Lépine, directeur de cabinet de François Léotard, à l'office d'armement Sofresa. M. Lépine confirmait au patron de la Sofresa «la nécessité de mettre en place dans les plus brefs délais, un dispositif financier permettant aux autorités saoudiennes d'effectuer le premier paiement prévu au titre du contrat d'Etat à Etat Sawari II». Ce dispositif prévoyait une caution de l'Etat pour accélérer le paiement de l'Arabie Saoudite. Et pour conclure, Lépine précisait utilement: «Je vous confirme avoir obtenu l'accord de mon collègue du Budget sur cette solution intérimaire, et notamment sur le fait que la garantie de l'Etat vous serait accordée».
Résumons-nous:
1. Le cabinet du ministre Sarkozy a validé la déductibilité fiscale de près de 300 millions d'euros de commissions sur deux contrats d'armements (Agosta et Sawari II) dans les comptes de la DCNI.
2. Les juges en charge de l'enquête ont mis en examen le patron de la société vendeuse, l'un des intermédiaires ayant perçu une part de ces commissions, le directeur de cabinet du premier ministre de l'époque, l'ancien conseiller direct du ministre Sarkozy
3. Mais... Nicolas Sarkozy ne savait rien.
Pour qui nous prend-on ?
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