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L'art au quotidien, le quotidien de l'art (1).

Publié le 11 février 2008 par Victorclaass
Ici commence une série d'études sur les intrusions de l'art et surtout des images de l'art dans le quotidien le plus concret. Détournements, appropriations, références: tout ce qui touche de près ou de loin à l'art est réemployé autour de nous à des fins diverses, publicitaires ou narratives, de manière fortuite ou délibérée. On peut se réjouir ou non de trouver un chef-d'œuvre au coin de sa rue: sa présence reste dans tous les cas symptomatique du monde auquel nous appartenons.
C'est sans aucun but que je vais rassembler sur ce blog (en plus des diverses contributions que j'y apporterai) toutes les manifestations du concept "art" que je croise au fil de mes déambulations urbaines. Ces manifestations sont souvent intéressantes, mais échappent malgré tout aux grands discours. Grandes sont cependant les œuvres qu'elles mettent en jeu. La perception que nous avons de celles-ci en est alors bouleversée.
Ce travail se limite tout d'abord à un recensement, des descriptions, puis peut-être une sorte de typologie, et enfin, à long terme, quelque chose de plus interprétatif. Je compte bien sûr également sur les contributions d'éventuels lecteurs intéressés.
Il est difficile d'analyser chaque stylo-bille sur lequel serait figuré une dame au sourire trop connu, ou chaque Pollock de trottoir. J'espère cependant trouver au fur et à mesure des "cas" chargés de sens, ou simplement étonnants.
Cézanne dans le métro, et les héros de la peinture
Penthouse d'un immeuble New Yorkais. Isaac Mendez peint. Pris de convulsions, il s'élance dans l'arène de sa toile, comme dirait l'autre. Un gladiateur. Fendant l'air d'immenses gesticulations, il jette les pots à travers l'atelier, enchaîne les toiles d'une rapidité déconcertante et livre une peinture gestuelle et torturée, quoique figurative. Sur la table, aussi sale que le sont ses guenilles reposent un garrot, une seringue et une cuillère tordue. On le devine drogué, ou tout du moins fou, pour être à ce point l'esclave de son inspiration.
Nous ne sommes pas ici dans le New York des expressionnistes abstraits, mais dans une série américaine actuelle intitulée Heroes (Tim Kring, depuis 2006). Nombreux sont ses amateurs. Isaac y est le sacrifié, grâce à l'inventivité des scénaristes - qui a dit "actuellement en grève"? - celui qui met son art au service du bien des autres malgré l'obligation de devoir supporter le (très) douloureux procédé de la création.
Admirez son joli minois et les coups de pinceaux savamment placés sur ses vêtements qui alimentent une nouvelle fois la vision romantique de l'artiste intérieur, hors de contrôle et sujet à des hallucinations. Aux Etats-Unis, on pratique l'art en costard-cravate depuis plus de cinquante ans. C'est pour cela, je pense, qu'Isaac a parfois la décence de travailler à l'aide d'une palette. Et les œuvres ? Figuratives, parfois disproportionnellement léchées par rapport à la véhémence des gestes. Pour les besoins de la narration, je le concède. Les mythes sont trop précieux pour ne pas être entretenus.
Pendant ce temps, il se tient à la Potsdamer Platz (Berlin), galerie de la station de U-Bahn, une étrange exposition (1). Des deux côtés, sur toute la longueur, les touristes comme les autochtones impatients peuvent admirer une des plus belle collection de tous les temps. Sur les espaces normalement réservés à la publicité sont reproduits une vingtaine de chefs-d'œuvre de l'art occidental: Millet jouxte une grisaille d'Ingres (une Odalisque), Manet fait face à son homonyme approximatif. Un Matisse, aussi.

Malheureusement, la BVG (RATP berlinoise) n'avait pas pensé, en créant des espaces publicitaires identiques, aux caprices de nos artistes en ce qui concerne la taille des tableaux. Les grandes toiles se mettent les mains dans les poches et rougissent. Une nature morte de Cézanne , par contre, s'émancipe et adopte une stature magistrale. Le peintre des innombrables refus aux Salons s'étale, et à côté du pompier Cabanel. Ici tout le monde le voit - même sans en avoir l'envie, entre la Gemälde Galerie et le siège financier de Mercedes, dans cette exposition gratuite ou les œuvres d'art se soumettent à une stricte standardisation (impressionnant duo cartouche kitsch/cadre doré). J'espère de tout mon cœur être présent au moment du décrochage, pour voir, avec curiosité et le sourire aux lèvres, la galerie fictive réduite en boulettes de papiers. Les cimaises de ce musée éphémère reprendront alors leur valeur marchande.
Ne pas conclure pour l'instant. Ou peut-être quelque chose de purement gratuit. Juste rappeler que dans la série télévisée, ce qui fait d'Isaac Mendez un "héro" est sa faculté de peindre sur ses toiles les événements futurs. Mais qui parmi Isaac, peintre de fiction, et Cézanne, plus que jamais concret, a réellement été visionnaire?
(1) A l'origine de cet ensemble, une banque sponsorisant une exposition récente de la Neue Nationale Galerie de Berlin.

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