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Thanatos Palace Hotel

Publié le 12 février 2008 par Apeulcouine
Ce soir, la lecture du journal m'a laissčŒ… un go沥t d'angoisse ... cette vieille dame, je la croisais, lui souriais parfois ... sans savoir : ďż˝ http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0,50-1009937,0.html La vieille dame qui voulait mourir LE MONDE | 11.02.08 | 15h45  •  Mis à jour le 11.02.08 | 15h45
lle s'est éteinte doucement, en s'endormant, exactement comme elle le souhaitait. Les 15 grammes de Penthotal qu'elle venait d'absorber, un puissant hypnotique utilisé en anesthésie, ont eu un effet quasi immédiat. Sa tête est retombée lourdement sur sa poitrine, emportée par un sommeil sans rêve. Ses amis proches l'ont allongée sur le lit de la chambre d'hôtel : quelques instants après, son coeur s'est arrêté. Un magistrat du parquet, un greffier, trois policiers et un médecin légiste ont alors pénétré dans la pièce pour constater le décès.

Marguerite Messein a eu une mort paisible, sereine, celle qu'elle a toujours revendiquée. Son suicide médicalement assisté, survenu le 20 novembre 2007 dans un hôtel anonyme des environs de Zurich, en Suisse, a été un acte mûrement réfléchi, l'aboutissement d'une démarche de plusieurs années. A 82 ans, Marguerite Messein a eu recours aux services de Dignitas, seule association suisse à offrir aux étrangers souffrant de maladie incurable la possibilité de mourir à leur convenance. Après le décès de la comédienne Maïa Simon, dans les mêmes circonstances, le 19 septembre 2007, la mort de Marguerite Messein porterait à dix-huit le nombre de Français qui ont décidé de s'exiler pour mourir.

C'était un choix irrévocable. A l'image de cette maîtresse femme, à la beauté imposante et à la classe folle, qui a toujours pris son destin en main. Elevée chez les religieuses, en rupture de ban avec sa famille au sortir de la guerre, elle a été successivement mannequin, vendeuse, ouvreuse et esthéticienne, avant d'ouvrir une école d'esthétique qu'elle a dirigée jusque dans les années 1980. Dans le quartier Gambetta, à Paris, où elle a vécu toute sa vie, elle était surnommée la "dame du Père-Lachaise". Tous les jours, elle se promenait dans le cimetière voisin, dont elle connaissait les moindres recoins.

En 1982, une première récidive d'un cancer de l'utérus la convainc d'adhérer à l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). A l'époque, elle a déjà dans l'idée de pouvoir "partir à son heure". En 2000, son état de santé s'aggrave, elle est soignée pour un cancer du colon. Mais c'est le décès de son mari, d'une complication d'un cancer des os, en janvier 2003, qui forge sa détermination. "Ça m'a traumatisée, racontait-elle, ça a été quelque chose d'épouvantable. Mon mari n'avait pas mes idées, il ne voulait pas mourir. Il était aux soins palliatifs de l'hôpital des Diaconesses, un service formidable. Je l'ai vu descendre, descendre, avec la morphine. A la fin, il était très maigre, il n'avait plus rien de lui. C'était absolument l'horreur."

Marguerite se jure qu'elle ne connaîtra pas cette déchéance physique. Son mari décédé, elle se retrouve seule, sans famille proche. Il y a quelques années, elle a coupé les ponts avec son fils unique. En 2006, un accident cardio-vasculaire l'affole et la plonge dans "la terreur d'être diminuée" en cas de nouvelle attaque. Elle pense alors au suicide, mais répugne à attenter à sa vie de façon violente. Et puis elle revendique le droit de mourir en toute tranquillité : "J'ai milité pour la bataille de l'avortement dans les années 1970, je milite désormais pour l'euthanasie, disait-elle. On a permis aux femmes de maîtriser la vie, et on empêcherait les personnes de maîtriser leur mort ? C'est un non-sens, je ne comprends pas que la France me dénie ce droit."

Courant 2006, elle contacte Dignitas. L'association enregistre son adhésion mais lui fait part de ses difficultés à répondre aux sollicitations qu'elle reçoit. "Certaines autorités du canton de Zurich essaient de nous entraver dans l'accomplissement de notre tâche, lui écrit l'association, le 28 mars 2007. Nous avons de plus de plus de difficultés à trouver des médecins prêts à examiner les membres de Dignitas et à rédiger l'ordonnance nécessaire." Marguerite est inquiète, elle craint de ne pouvoir aller jusqu'au bout de sa démarche. Mais sa volonté reste intacte : tous les quatre mois, conformément aux statuts de l'association, elle remplit un nouveau dossier de demande, lettre de motivation à l'appui.

Quelques jours avant le suicide assisté de Maïa Simon, Dignitas contacte Marguerite, pour qu'elle rencontre un médecin suisse. Le 11 septembre 2007, elle fait le voyage pour Zurich, accompagnée de Claude Hury, une militante et amie de l'ADMD, qui l'accompagnera jusqu'à la fin. La vieille dame est nerveuse, craint de louper l'heure du rendez-vous. "Cela s'est passé merveilleusement bien, mais c'est bigrement sérieux, nous racontera-t-elle quelques jours après. J'ai été reçue par un médecin très barbu aux yeux bleus, très pénétrants, une sorte de Père Noël. Il m'a tenu la main pendant tout l'entretien. Il voulait vérifier si j'avais bien toute ma tête, si je n'étais ni dépressive ni sous influence."

Marguerite confie sa détermination d'en finir, coûte que coûte. "Je lui disais : si vous ne m'acceptez pas, de toute façon, je me jetterai sous un train ou sauterai d'un immeuble." Après deux heures d'entretien, le médecin accepte de rédiger l'ordonnance qui permettra aux membres de Dignitas de retirer en pharmacie le produit létal. Puis il lui demande de choisir la date. Marguerite veut faire vite : ce sera le 20 novembre.

De retour à Paris, elle dit se sentir "sereine", enfin dégagée de l'angoisse que sa démarche ne puisse aboutir. Ses dispositions testamentaires déjà réglées - une partie de ses biens est revenue à l'hôpital des Diaconesses -, elle s'occupe de ses obsèques, organise avec les pompes funèbres la réception de l'urne qui contiendra ses cendres. Elle choisit les faire-part d'annonce de la cérémonie au Père-Lachaise, établit la liste des personnes conviées.

Quelques jours avant sa mort, elle semblait plus vivante que jamais. Dans son grand appartement haussmannien, empreint de l'odeur capiteuse de son parfum, elle revisitait les souvenirs, compulsait ses albums photo, sans nostalgie. L'étrange compte à rebours ne semblait pas lui peser. "C'est assez curieux, je compte les jours, expliquait-elle simplement. Je ne suis pas encore partie, mais je ne suis plus tout à fait là. Je suis entre deux eaux. C'est comme quitter un rivage. Je n'ai qu'une peur, c'est de ne pas y arriver." Avait-elle des regrets, des doutes parfois ? "Aucun, je suis seule, je veux en finir. On ne peut pas vivre sans amour. Il faut cette chaleur, cette présence, sinon c'est impossible."

Place Gambetta, une indiscrétion a répandu la nouvelle. Un à un, proches et moins proches, voisins, commerçants, amis, sont venus lui faire leurs adieux. "C'est inattendu, je n'avais pas pensé à ça, cela me bouleverse un peu, disait-elle. Les gens me disent : "Mais c'est pas possible de faire une chose pareille, on est là, on vous aime..." Certains sont en larmes, c'est presque à moi de les réconforter." Son médecin traitant passe la voir à plusieurs reprises pour la conjurer de renoncer. Ces bonnes intentions l'exaspéraient. "Je ne suis pas une tête de linotte, je n'ai pas pris cette décision à la légère...", avait-elle coutume de répéter.

La démarche de Marguerite Messein dérange. Le vendredi 16 novembre, à l'avant-veille de son départ pour la Suisse, deux policiers sonnent à sa porte. Alertés par voie anonyme de son intention de se donner la mort, ils tentent de la dissuader de partir pour la Suisse. Marguerite plaide de son bon droit. Les policiers repartent, non sans lui avoir mystérieusement soufflé de "faire attention aux contrôles".

La vieille dame panique à l'idée qu'on puisse l'empêcher de quitter le territoire. Deux jours plus tard, elle part comme une voleuse de son domicile, avec Claude Hury qui l'accompagne en voiture. Elle ne retrouve la sérénité que sur les lieux de son enfance, à Thoissey, une petite commune de l'Ain où vivait sa grand-mère, et où les deux femmes ont fait une halte.

Le matin du 20 novembre, date programmée de son décès, elles sont à Zurich, dans un petit hôtel sans cachet. Coup de fil de Dignitas : le bureau fédéral du canton a reçu une lettre de France affirmant que Marguerite était manipulée depuis deux ans et qu'elle n'avait plus toute sa tête. "Elle était très contrariée, raconte aujourd'hui Claude Hury. Elle disait que jusqu'au bout, elle aurait été empêchée dans sa démarche, son désir d'en finir." A 11 heures, un policier et un médecin légiste suisses viennent l'interroger et s'enferment avec elle. Une nouvelle fois, sa conscience et sa détermination sont soupesées. Puis le médecin légiste sort et fait signe à Claude Hury que plus rien ne s'oppose désormais à sa volonté.

Dès lors, tout est allé très vite. Deux membres de Dignitas sont entrés dans sa chambre d'hôtel, ont préparé le lit en le revêtant d'une matière plastique. Assise dans un fauteuil, Marguerite échangeait une dernière fois avec Claude et un couple de voisins venus de Paris pour l'accompagner dans ses derniers instants. Elle les a embrassés. A la main, elle tenait une photo d'elle avec son mari. Puis elle a absorbé un antivomitif. Les Suisses lui ont dit qu'elle pouvait encore renoncer. Elle a secoué la tête et tendu la main vers le Penthotal. Quand elle a bu, les membres de Dignitas l'ont filmée. Comme preuve ultime que sa mort était bien volontaire et consentante.

C'est comme ce soir où, seule dans une chambre dans un pays inconnu où je ne parlais que quelques mots de la langue, j'avais trouvé un livre en français : Thanatos Palace hôtel, d'André MAUROIS.... Une sourde angoisse qui que j'avais eu tant de mal à décoller ...

Ecoutez Hoel California .... vous comprendrez ... peut être !


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