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"Vreme" et moi

Publié le 21 février 2008 par Dlaufer
Dans cet hebdomadaire serbe de gauche et proeuropéen, on parle encore de moi. J’ai dû faire forte impression, pas forcément la bonne d’ailleurs. En plus, j’ai quitté la Serbie il y a quatre ans, alors il y a prescription, non ? Eh bien non. Car dans la catégorie de crimes dont on m’accuse là-bas, on n’accorde ni oubli, ni pardon. En effet, pour certains, je suis un espion. Un espion ! On ne parle même pas de meurtre ou de viol, pour ça, il y a les flics. Car en Serbie, l’espion, c’est le virus malfaisant et sournois de l’influence extérieure. Dans une chambre où traîne une puissante odeur de renfermé, on accuse facilement celui qui ouvre la fenêtre de vouloir vous tuer d’un mauvais rhume.

Le journaliste demande à un peintre connu – et très patriote – s’il pense que la Serbie est aujourd’hui une colonie. Il répond que oui, et que les agents de la colonisation sont partout. Puis il joue sur mon nom de famille qui signifie aussi le fou au jeu d’échec, et par conséquent la mouche du coche. Ainsi, dit-il, « dans tous nos ministères, on trouve des laufers. Même au Musée National où je crois qu’un véritable Laufer a travaillé pour voir comment la situation se développait ». A la décharge de « Vreme », la citation est reprise d’un mauvais tabloïd et l’hebdomadaire la reprend dans un but manifestement ironique.

Il se trouve que j’ai travaillé au Musée National de Belgrade en 2002 et 2003 et mis au point le projet de reconstruction actuellement en cours. Après quelques mois, j’ai réalisé que la plus belle partie des œuvres de maîtres français du musée, la collection Chlomovitch (voir livre), avait été obtenue illégalement par la Serbie au sortir de la deuxième guerre mondiale. Attirant l’attention de la direction sur la nécessité de remédier à cette situation très dangereuse, je ne me suis bien sûr attiré que fort peu de sympathie, et me suis bientôt vu d’autre solution que de quitter le Musée, accompagné de l’anathème absolu d’espionnage.

Même si les circonstances de mon histoire sont un peu exotiques, il serait faux d’en faire une affaire de Balkaniques obtus. En réalité, voilà une histoire à la morale bien banale, et bien universelle. Partout la société se referme sur elle-même, appelle de ses vœux les chefs providentiels, regarde l’avenir avec anxiété et le passé avec adoration. Et s’en prend avec passion aux étrangers, tous plus ou moins criminels, espions, sauvages. Les Serbes le font avec des gueulements édentés, des drapeaux à tête de mort et des poings levés. En Suisse nous pratiquons exactement le même art, mais avec de belles affiches dessinées en Allemagne, des parlementaires sagement assis et des haussements d’épaules désolés. La crainte du rhume justifie les vaccins les plus énergiques, et gare à celui qui fait des courants d'air.


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