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Ah, Ma Rilyn…

Publié le 07 janvier 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! C’est curieux, tout de même : hier, notre président de la Ripoublique a célébré le 600ème anniversaire de Jeanne d’Arc, mais c’est à Marilyn Monroe que j’ai envie de rendre hommage cette année ; comment ça se fait, à votre avis ?

Vous trouverez peut-être que mon choix avait de quoi être vite fait : d’un côté, une va-t-en-guerre cul-bénit et cul-terreux dont le seule titre de gloire aura été d’assurer la victoire d’une des deux familles rivales qui se disputaient le trône de France ben t oui, le roi « d’Angleterre » était français et s’appelait Plantagenêt !) et dont l’UMP et le FN se disputent aujourd’hui l’héritage ; de l’autre, une superbe créature sensible et intelligente qui a fait rêver et continue à faire rêver des millions de cinéphiles.

Les épithètes « sensible et intelligente » sont d’ailleurs loin d’être abusifs, comme le grand public a eu l’occasion de le constater il n’y a pas si longtemps encore en découvrant ses écrits posthumes ; j’ai tiré de ce recueil les quelques citations que voici :

«  Ô silence ton calme me fait mal à la tête et transperce mes oreilles. » Cette formule paradoxale, qui avance que le silence affecte davantage le système nerveux que le bruit, résume admirablement le malaise de la solitude ; on a tous ressenti ça au moins une fois dans sa vie. La faculté de mettre des mots sur une expérience courante et cependant inexprimée dans le langage quotidien est la première marque du talent littéraire.

« L’enfance de chacun se rejoue tout le temps. Pas étonnant que personne ne connaisse l’autre ni ne puisse le comprendre entièrement. » Le terme « chacun » a été retrouvé souligné dans les manuscrits de Marilyn, signe que l’actrice voyait dans cette idée une règle qui ne souffre pas d’exception ; de fait, même si un enfant ne ressemble jamais complètement à l’adulte qu’il va devenir, il est bien évident que l’ensemble des faits marquants de l’enfance construisent la personnalité de l’individu, même et surtout lorsque ces faits relèvent de la sphère la plus intime ; cette réalité a pour cause l’irréductible singularité de chaque individu humain et pour conséquence l’opacité de chacun à autrui : cette misère de l’être humain a été saisie par Marilyn d’une façon saisissante et exprimée avec une clarté vraiment étonnante.

« C’est plutôt par détermination qu’on ne se laisse pas engloutir. » Cette phrase, qui trahit probablement l’aspect volontaire de la personnalité de Marilyn, peut également apparaître comme une reformulation de la citation de l’humoriste Mordillo, « L’homme croit toujours à son avenir. Envers et contre tout. »

« La vérité peut seulement être retrouvée, jamais inventée. » De fait, bien souvent, la recherche prend l’apparence d’un mouvement rétrospectif : un philosophe tire rarement ses idées du néant, elles sont plutôt à considérer comme des vérités retrouvées après avoir été longtemps occultées. Quel que soit le domaine dans lequel il travaille, le chercheur « creuse » (au sens propre ou au sens figuré) le donné brut pour retrouver la vérité qu’il dissimule et qui préexiste donc toujours à l’activité de recherche. Marilyn donne ici, consciemment ou inconsciemment, une petite leçon de modestie à beaucoup de chercheurs…

« Je pense qu’ils (les médecins) devraient apprendre quelque chose, mais il ne sont intéressés que par les choses qu’ils ont apprises dans les livres. (…) Peut-être pourraient-ils apprendre davantage en écoutant le mal de vivre d’un être humain. J’ai le sentiment qu’ils se préoccupent plus de discipline et qu’ils laissent tomber leurs patients après les avoir fait ʺplierʺ. » Marilyn a beaucoup écrit à l’hôpital, souffrant terriblement de l’ambiance aliénante qui y régnait. La critique qu’elle fait ici de l’attitude des médecins hospitaliers (sic.) reste d’actualité et rejoint le propos d’un album des Bidochon où les patients sont réduits à leur maladie par les médecins ; il est même possible d’accorder une plus large portée à ce jugement et d’y voir une opposition, qui reste pertinente aujourd’hui, entre le savoir livresque, déconnecté de la réalité et fonctionnant à vide, et l’expérience que l’on accumule au contact de la vie quotidienne ; la critique de Marilyn pourrait s’adresser également aux bureaucrates qui prétendent traiter la misère humaine sans jamais mettre leurs mains dans le cambouis de la misère humaine.

« Les hommes veulent atteindre la lune mais personne ne semble s’intéresser au cœur humain qui bat. » La même opposition se trouve exprimée ici, mais d’une manière beaucoup plus condensée d’un point de vue du fond et d’une manière beaucoup plus radicale d’un point de vue de la forme dans la mesure où Marilyn y remet en cause la légitimité de cette réalisation du plus vieux rêve de l’Homme que constitue la conquête spatiale : le scandale, de son point de vue, est dans le fait que l’on veuille connaître les astres les plus lointains, qui ne demandent jamais rien, sans même prendre la peine de connaître les êtres les plus proches de nous, qui ne cessent d’implorer notre solidarité. Elle plaide ici pour une reconsidération plus saine de notre hiérarchie des priorités.

« Je ne me ferais pas volontairement des marques sur le corps, je suis trop vaniteuse pour cela. » En tant que mannequin et en tant qu’actrice, Marilyn savait que son corps était son outil de travail, mais cette phrase va bien plus loin que ça : elle recoupe le propos exprimé dans « C’est plutôt par détermination qu’on ne se laisse pas engloutir. », suivant lequel il est, en fin de compte, extrêmement rare que l’homme désespère suffisamment pour aller jusqu’à se mutiler ou se suicider. Cette vanité dont elle s’accuse est celle de l’homme lui-même, qui persiste à avoir peur de la mort sans pour autant aimer réellement la vie. Ce paradoxe a également été repéré par le dessinateur Charlie Schlingo qui eut l’occasion de dire, de son vivant « Je veux me suicider mais j’ai pas l’temps ». Marilyn, elle, a trouvé le temps…

Conclusion : Les écrits posthumes de Marilyn ne sont pas ceux d’une grande poétesse ou d’une grande philosophe, mais ils laissent entrevoir une lucidité étonnante, à cent lieues de l’image de blonde vaporeuse et superficielle dans laquelle ses rôles l’enfermaient, doublée d’un potentiel qui ne demandait qu’à se développer. Peut-être son charme incendiaire et son destin tragique nous conduisent-ils à une certaine indulgence à son égard, d’autant qu’on ne peut jamais vraiment savoir si une personne morte jeune aurait tenu toutes les promesses qu’elle semblait faire à la vie, mais il est de toute évidence réducteur de la réduire à un sourire sur un joli corps. De toute façon, au Graoully, on est bien placé que toutes les jolies filles ne sont pas forcément connes : regardez Maude Jonvaux… Allez, salut les poteaux !

Ah, Ma Rilyn…


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