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Le palmarès des râleurs

Publié le 07 janvier 2012 par Oz

Pourquoi s’installer devant ce programme, ce soir-là ? On devine pourtant à l’avance de quoi il peut s’agir en réalité. Entre Noël et Nouvel An, on sait d’ailleurs qu’il sera difficile d’y couper, sauf à laisser le téléviseur éteint toute une semaine. Par chance, on a pu échapper aux meilleurs fous rires, aux meilleures chutes en direct, aux meilleurs lapsus de l’année. On en passe et des meilleures, bien sûr, vous voyez de quoi on veut parler.
Et puis cette émission, donc, qu’on imaginait par avance sûrement pas beaucoup plus relevée que les autres, mais dont le titre avait du moins le mérite d’aiguiser notre curiosité. Sans le moindre échauffement, on s’apprêtait à assister au « Championnat de France des râleurs », lundi 26 décembre au soir, sur Direct 8.
Avant même d’appuyer sur le bouton, on tentait d’imaginer ce que pouvait bien être le palmarès 2011 de cette singulière compétition, inédite à notre connaissance. Qui donc pour emporter le pompon de la grogne cette année ? Au vrai, les idées ne se bousculaient pas, bien que, à notre avis, les raisons de râler, elles, n’avaient jamais été aussi nombreuses. Alors qui ? Chômeur ? Précaire ? Mal-logé ? Exclu ? Victime ? Etudiant ? Enseignant ?… Le challenge promettait en tout cas d’être particulièrement relevé, le cru exceptionnel. Autre question préliminaire : pouvait-on rire de cette spécialité réputée nationale, sans justement provoquer la gronde et du coup peser sur le résultat ? C’est ce qu’on allait voir.
Et l’on ne fut pas déçu : il n’y avait bien que le titre qui pouvait en effet justifier que l’on restât ce soir-là devant son téléviseur. Et encore : le millésime lui-même était frelaté ! L’émission n’était en fait qu’une succession mal ficelée d’images anciennes, vues mille fois dans tous les bêtisiers et programmes du même genre. Klaus Kinski quittant le plateau d’Yves Mourousi, Christophe Hondelatte celui de Laurent Ruquier, ou d’un autre, Hondelatte quitte souvent. Francis Lalanne qui s’énerve, des journalistes qui pètent les plombs, des politiques qui s’invectivent, ou, plus réjouissant, Gainsbourg, Coluche, Choron, Desproges, qui font voler en éclats les vieilles conventions de la télé de leur temps. Rien de bien nouveau en somme.
Mais le pire était à venir : il fallut se pincer pour croire que, dans la deuxième partie de l’émission, 5 000 euros étaient promis au plus grand râleur amateur, venu mimer une grogne fictive à l’occasion d’un grand casting national. Avec en prime, devinez quoi ? Bingo : un grand bêtisier des auditions, cocktail affligeant de fausses colères plaquées sur du ridicule authentique.
On aurait dû s’y attendre. L’espace n’était certainement pas prévu pour cela. Il n’empêche, impossible de ne pas y songer : et si la moquerie ne servait qu’à couvrir le bourdonnement de la vraie grogne ? Certains soirs, devant sa télé, il y a de quoi râler.

 (paru dans le Monde daté du 28 décembre 2012)

Olivier Zilbertin


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