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babylone sous les bombes

Publié le 09 janvier 2012 par Pjjp44
babylone sous les bombes
[L’avant-guerre]

   "J'ai étudié longtemps, très longtemps, brillamment, très brillamment, si brillamment qu’au bout du compte, cela m’a enseigné une vérité absolue : je n’étais pas fait pour le métier auquel je m’étais destiné, n’en avais aucune envie. Alors, j’en ai exercé d’autres, ici, ailleurs, quantité, et comme bien sûr, je n’étais pas davantage fait pour eux qu’ils étaient faits pour moi, cela m’a conduit au sommet de la pyramide des institutions publiques. Cela a fait de moi un être privilégié, d’ailleurs c’est bien simple, même si je les partage avec beaucoup, j’hésite à vous avouer les avantages qui sont miens.   J’en éprouve même un peu de honte   J’œuvre pour un consortium gigantesque, un consortium qui jamais ne délocalisera, qui jamais pour des questions de coût, n’ira chercher main-d’œuvre ailleurs, et qui, par-dessus le marché, me laisse du temps libre, plein.   Je suis de l’élite commune.   De temps à autre, je signale au consortium que je suis toujours en son sein, au moyen de mon choix, je pointe présent : courriel, courrier, téléphone… Tout est bon, le consortium n’est pas très regardant.   J’ai la belle vie.   Celle d’un chômeur.   Évidemment, ça n’a pas non plus que des avantages, dire que je suis bien payé serait un mensonge, sans parler que l’ancienneté n’est pas prise en compte, ce serait même plutôt l’inverse, et puis, comme tous ceux du consortium, je suis chassé par la concurrence « rue ». Faut que je fasse gaffe, la rue sans cesse recrute, sans cesse embauche, peut un de ces quatre me refourguer un chien, un litron de rouge et un bout de son trottoir, le tout joliment emballé dans un contrat à durée indéterminé.   J’ai la belle vie dangereuse   Et du temps libre, donc.   Pour pallier la générosité déclinante du consortium, pour contrer les propositions de la rue et pour quelques billets, je débarde trois jours par semaine chez un grossiste du coin. Jusqu’aux premières lueurs de l’aube, je vide les camions de leurs denrées fruitières en cageots, cagettes et autres caisses. Je joue du chariot comme personne : j’ai le diable au corps moi.   Le diable au corps.   Elle est bien bonne !   Et pendant mon temps libre, je joue des mots."

Extrait de "Babylone sous les bombes" un roman de Stéphane Mariesté- Editions Intervista
 

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