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SALLE 5 - VITRINE 4 ² : LES PEINTURES DU MASTABA DE METCHETCHI - 12. DE LA PERCEPTION DE LA MORT EN TANT QU'HYMNE À LA VIE (Première partie)

Publié le 10 janvier 2012 par Rl1948

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;
On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.
Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.

François de MALHERBE

Stances,

Consolation à Monsieur Du Périer,

Gentilhomme d'Aix en Provence, sur la mort de sa fille

dans  Kanters R. et Nadeau M., Anthologie de la poésie française,

Le XVIIème siècle, Tome 1,

Lausanne, Ed. Rencontre,

p. 83 de mon édition de 1967.

   Si, d'emblée, j'ai choisi ce court extrait, pour lequel, petit cadeau supplémentaire, je vous propose le lien vers la lecture qu'en donna jadis un immense acteur, c'est non seulement pour le plaisir de vous remettre en mémoire un des plus célèbres poèmes de la langue française que beaucoup d'entre vous ont probablement étudié lors de leurs études secondaires ; c'est aussi pour me faire plaisir dans la mesure où, personnellement, il compta énormément dans mon parcours au Conservatoire puisque notamment grâce à lui, j'emportai l'adhésion du jury et décrochai le Premier Prix d'Art dramatique et de déclamation française à partir duquel, naïf jeune homme de province, "je m'voyais déjà", nouveau Gérard Philipe, le récitant sur la scène du Grand-Théâtre de ma ville, "sous les ovations et les projecteurs ..." ; c'est enfin, beaucoup plus simplement, parce que deux termes convoqués par Malherbe dans les quelques vers ci-avant rencontrent parfaitement nos préoccupations actuelles.   

   En effet, du Louvre et, en priorité, de son Département des Antiquités égyptiennes dans la salle 5 duquel nous nous retrouvons ce matin vous et moi, amis lecteurs, ainsi que de la mort mais avec un éclairage tout à fait particulier comme l'indique clairement le titre que j'ai donné à la présente intervention, il sera à nouveau question pour notre premier rendez-vous de 2012 en ces murs prestigieux. 

   Certes, nous n'avons pas bénéficié du privilège - comme c'était le cas pour certains grands du royaume au XVIIème siècle encore - d'avoir l'honneur du Louvre, entendez par là de pouvoir pénétrer en carrosse dans la cour intérieure du palais de Henri IV et de Marie de Médicis. Mais vous conviendrez avec moi qu'il n'est nul besoin de ce peu discret moyen de locomotion pour nous y acheminer et être transportés d'admiration devant la vitrine 4 ² où sont exposés les fragments peints du mastaba de Metchetchi.

   O roi, ce n'est pas mort que tu t'en es allé, c'est vivant que tu t'en es allé ...

peut-on lire dès l'apparition des premiers textes funéraires royaux, à la fin de la Vème dynastie, à l'Ancien Empire donc, dans la pyramide d'Ounas, puis celles de ses successeurs immédiats, à la dynastie suivante ; Ounas dont, je le rappelle au passage, Metchetchi était un fonctionnaire plus qu'apprécié.  

Pyramide-d-Ounas---Chambre-du-sarcophage--Photo-Kohn-Bodswo.jpg

   Cet incipit (§134) qui, sur la paroi sud de la chambre funéraire, d'une pyramide à l'autre, entame toujours les textes tournés vers le roi défunt qui, d'ouest en est, était censé les lire en quittant son sarcophage et en se dirigeant vers la sortie ; cette formule que feu l'égyptologue français Jean Leclant estimait décisive et qu'il proposait d'ailleurs de nommer "le grand départ" ; cette assertion qui pourrait, à nos esprits cartésiens, sembler éminemment paradoxale, je voudrais aujourd'hui, en guise de conclusion à nos réflexions concernant les liens entre père et fils engagées lors de nos entretiens des 10 et 13 décembre, la commenter, la développer aux fins de tordre le cou à certaines idées reçues répétées ad nauseam, et cela, en affirmant devant vous, haut et fort : 

   Non, les Egyptiens n'étaient pas morbides ! Ni macabres ! Ni par la mort obnubilés leur vie entière ; ni par elle tourmentés, obsédés, hantés !

   Mais à la différence de notre époque où, niant même la plupart du temps jusqu'à sa présence, nous voulons tout faire pour l'ignorer - alors que, sur un plan purement philosophique, notre finitude constitue véritablement sur cette terre la seule certitude dont nous puissions être assurés -, les habitants des rives du Nil antique ne s'en souciaient que pour mieux l'apprivoiser, pour mieux se préparer à cette seconde vie à laquelle ils croyaient, arguant du fait que leur présence ici-bas n'était que provisoire alors que l'autre, là-bas, dans ces champs d'Ialou tellement prometteurs, était éternelle.

     Certes, un peu comme nous qui, d'euphémismes en circonlocutions, nous ingénions à éviter un vocable trop lourd de sens à nos yeux, les Egyptiens, plutôt que "mourir", préférèrent utiliser des verbes comme "s'éloigner", "quitter", "s'en aller" ou, le plus souvent, "aborder" qu'il nous faut à la fois comprendre, au sens propre, d'accéder au bord de la rive ouest après avoir traversé le Nil et, au sens figuré, de trépasser, passer de l'autre côté.

     En outre, usant d'une métalepse, ils appelaient les défunts les "vivants", considérant ainsi la mort comme une non-existence et distinguant ceux qui vivaient sur terre de ceux qui évoluaient là-bas, dans le Bel Occident.

   Pratiquement, dans l'écriture hiéroglyphique, c'est par l'adjonction d'un déterminatif, d'un "classificateur sémantique", selon la terminologie employée par l'égyptologue belge, Professeur à l'Université de Liège, Jean Winand, qui ne se prononce pas mais qui permet de comprendre de quelle catégorie lexicologique le terme fait partie, que s'indiqua la distinction : ainsi, le "vivant" qui est sur terre était identifié grâce au signe de l'homme accroupi (

A3
= A 3 dans la liste de Gardiner), tandis que le "vivant" qui était décédé se distinguait soit par le signe d'une momie couchée (
A54
  = A 54 de la même liste), soit par celui de l'homme assis sur un siège (
A50
  = A 50), tenant éventuellement le flagellum (
A51
  = A 51), ces deux derniers personnages étant bien sûr momiformes.

   Les différentes esquives lexicographiques que nous pourrions d'ailleurs considérer comme une volonté d'occulter une réalité plus que désagréable, traduisaient en réalité un concept ontologique essentiel : aux yeux des Egyptiens, l'être était foncièrement vivant mais évoluait dans deux espaces différents, l'ici-bas et l'au-delà.

Et entre les deux, la mort, qu'il faut comprendre comme une sorte de moment de transition.

   L'on rencontre, quand on feuillette le Livre pour sortir au jour  - (Livre des Morts, selon une appellation commune mais sémantiquement incorrecte) -, des titres de chapitres tels que : Formule pour ne pas mourir une seconde fois dans le domaine des morts ou Formule pour ne pas périr, pour demeurer vivant dans le domaine des morts.

   Mourir deux fois ? Vivre parmi les morts ? Comment devons-nous appréhender semblables formulations pour le moins sybillines ?

  

   C'est ce que j'envisage de vous expliquer, amis lecteurs, de manière à clore notre discussion sur le sujet, lors de notre toute prochaine rencontre, le 14 janvier.

     A samedi ... 

(Barguet : 1967, 86-7 ; Guilhou : 1998, 25-37 ; Laboury : 1999, 53-9 ; Leclant : 1982, II, 34 ; Winand : 2005, 103)


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