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L’intégration de gènes par transfert horizontal prend des millions d’années

Publié le 05 mars 2008 par Timothée Poisot

Dans leur papier paru très récemment dans Mol Biol Evol, Lercher & Pal [1] se posent une question toute simple. Si, comme on le pense, les transferts horizontaux (échanges de gènes entre des bactéries) ont une valeur adaptative, et sont utiles dans un nouvel environnement, ces gènes transférés devraient être intégrés aux réseaux existants de manière rapide. Est-ce le cas?

Le transfert d’un gène se fait en trois temps. La première est l’échange physique d’ADN entre les bactéries. Le deuxième est la dissémination de ce gène dans la population (”fixation”) [2], suivie par une étape de fine-tuning par les pressions de sélection. Est-ce aussi rapide qu’on le pense? Ces gènes transférés horizontalement sont-ils “prêts à transcrire”?

Lercher & Pal s’intéressent aux réseaux de régulation dans Escherichia coli K12, et tirent de leur analyse des résultats intéressants.

Interactions protéines/protéines (IPP)

Les gènes ayant été acquis suite à un transfert horizontal (TH) ont moins d’interactions physiques avec d’autres protéines (IPP). Les gènes les plus susceptibles d’être transférés (cette susceptibilité est définie a posteriori, après analyse) ont en moyenne 70% de contacts en moins que les gènes jamais transférés.

Cependant, les protéines codées par ces gènes transférés horizontalement (protéines GTH) représentent entre 13 et 24% des protéines ayant des interactions physiques, alors que les GTH représentent une proportion plus faible du génome. Ce résultat confirme le fait que les TH sont une force évolutive majeure chez les bactéries.

Faible connectivité

On a pensé pendant longtemps (je l’ai dit en intro) que les GTH avaient une activité condition-spécifique, et qu’ils se trouvaient en périphérie des réseaux d’interaction, ce qui a été démontré pour les réseaux métaboliques [3]. Ca semble plutôt logique : on a du mal a concevoir comment un gène arrivant d’un autre organisme pourrait devenir le hub d’un réseau. Ca impliquerait que tous ses partenaires soient déjà présents dans son nouvel hôte, et si c’était le cas, il y a de fortes chances qu’un homologue existe déjà. Il est donc plus “facile” d’intégrer un nouveau gène en périphérie d’un réseau, à un poste “condition-dépendant”.

De la même manière, les gènes impliqués dans des réseaux complexes sont moins susceptibles de faire un TH couronné de succès, selon la complexity hypothesis [4], puisqu’il leur faudra trouver leurs partenaires chez le nouvel hôte pour conférer un quelconque avantage.

Mais en soumettant des mutants KO [5] à 282 conditions environnementales différentes, Lercher & Pal ont montré qu’il n’y avait pas de relation entre le fait d’être à une place périphérique (la condition-dépendance) et le nombre d’IPP [6]. Pour eux, le fait que les gènes transférés récemment aient une connectivité faible ne s’explique pas par des considérations environnementales.

Age et connectivité

Les protéines GTH les plus anciennes (celles qui ont été transférées le plus tôt dans l’histoire évolutive de la lignée) ont en moyenne plus d’IPP que les protéines transférées plus récemment. Les protéines GTH ont (indépendamment de leur “âge”) moins d’IPP que les protéines jamais transférées.

Ce résultat indique que l’intégration d’une nouvelle protéine dans le réseau régulatoire de l’hôte prend du temps (beaucoup de temps), et que les TH sont probablement moins performants quand il s’agit de répondre à un changement environnemental rapide.

Mais plus encore, on voit ici qu’un TH est plus avantageux (et a plus de chances d’aboutir) si les partenaires sont déjà présents dans le nouvel hôte.

Expression et régulation des protéines GTH

Globalement, les protéines GTH sont moins exprimées que leurs consœurs natives. Cependant, on peut facilement trouver un pattern commun. Peu après le transfert, l’expression de la protéine connaît un boost, qui correspond à l’ajout de régulateurs cis positifs. Puis, par la suite, le fine-tuning consiste à ajouter des éléments réprésseurs, pour ajuster le niveau d’expression.

L’hypothèse qu’on fait, c’est que le taux d’évolution est plus rapide en amont du gène (et plus précisément dans les 500pb avant le gène, où se trouvent la majorité des éléments de contrôle de la transcription chez les bactéries). Et de fait, ces régions évoluent très vite. Comme souvent, la régulation porte plus sur la régulation du gène que son contenu…

Ce pattern est retrouvé aussi quand on regarde la coexpression des protéines GTH avec leurs partenaires (autrement dit, les protéines non transférées avec lesquelles elles ont des IPP). De très chaotique au début, le profil de coexpression s’affine au cours du temps.

Pour conclure…

Lercher & Pal ont donc montré que, dans la globalité, une forte connectivité est un obstacle au TH dans les réseaux de régulation chez les bactéries… Plus un réseau est connectant, plus il est robuste, et… plus il est difficile de s’y insérer [7].

Mais les GTH s’y prennent en trois temps : avec une évolution plus rapide de leur régulation, une complexification au cours du temps de leurs éléments cis qui affine leur expression, et une meilleur coexpression avec leurs partenaires.

Et surtout, Lercher & Pal mettent en avant quelque chose qui risque de faire dresser les cheveux sur la tête de pas mal de partisans de l’irreducible complexity (le courant le plus proche de la science de toute la mouvance du dessein intelligent). Il est possible qu’un facteur de transcription et ses cibles évoluent indépendamment. Il est possible de s’échanger des éléments entre réseaux différents, et de les faire travailler ensemble. Il est possible d’insérer des éléments dans un réseau existant, et que ça confère un avantage sélectif. Et plus encore, les gènes peuvent gagner des éléments cis (ou en perdre) selon les circonstances environnementales. Ces constats étaient déjà largement répandus, mais ces résultats les renforcent davantage.

Notes

  1. Lercher & Pal (2008) Integration of Horizontally Transfered Genes into Regulatory Interaction Networks Takes Many Million Years, Mol Biol Evol 25(3):559–567 [↩]
  2. Il faut globalement que le gène transféré confère un avantage sélectif pour qu’il se fixe, où qu’il soit neutre [↩]
  3. Pal, Papp & Lercher (2005) Adaptative evolution of bacterial metabolic networks by horizontal gene transfer Nat Genet 424:194-197 [↩]
  4. Jain, Rivera & Lake (1999) Horizontal gene transfer among genomes= the complexity hypothesis PNAS 96:3801-3806 [↩]
  5. Auxquels on a enlevé un gène pour en comprendre la fonction [↩]
  6. Cette partie du papier n’est pas très claire, à mon avis, mais je suis loin d’être un spécialiste du domaine [↩]
  7. Lenski, Barrick & Ofria (2006) Balancing Robustness and Evolvability PLoS Biology http://biology.plosjournals.org/perlserv/?request=get-document&doi=10.1371/journal.pbio.0040428 [↩]

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