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Katharina Hacker, Les fraises de la mère d'Anton, trad. de l'allemand par Marie-Claude Auger, Christian Bourgois

Publié le 14 janvier 2012 par Irigoyen
Katharina Hacker, Les fraises de la mère d'Anton, trad. de l'allemand par Marie-Claude Auger, Christian Bourgois

Katharina Hacker, Les fraises de la mère d'Anton, trad. de l'allemand par Marie-Claude Auger, Christian Bourgois

Êtres sous surveillance

Remarquée l’année dernière lors de la sortie de Démunis, son premier livre traduit en français, l’Allemande Katharina Hacker revient avec une histoire dans laquelle chaque personnage cherche à s’affranchir de sa dépendance à l’autre. Ce roman anxiogène montre combien la quête de soi peut être lente et douloureuse dans une société qui, paradoxalement, fait de la liberté individuelle un idéal.

Le cœur d’Anton Weber s’est enflammé pour Lydia, médecin généraliste qui officie à Kreuzberg, quartier populaire de Berlin où elle a aussi décidé de rester. Elle vit dans un trois pièces acheté par ses parents dont les portes demeurent pour l’instant closes au nouvel amoureux. En matière de sentiments, rien ne sert de courir : la liberté vaut de l’or et ne saurait tolérer un trop rapide partage des lieux. D’autant que Lydia vit déjà avec quelqu’un : Rachel, sa fille. « Anton n’était pas convié, et Lydia ne lui cachait pas qu’il n’était pas près d’être invité à venir chez elle. À cause de Rachel. À cause d’elle aussi. » Car avant Anton, il y eut Rüdiger, ancien légionnaire habitué des théâtres de conflit qui tente de revenir dans la vie de Lydia, mais à distance cette fois. Avec son ami Martin, ancien d’Irak et d’Afghanistan comme lui, ils passent leur temps à épier les faits et gestes de la jeune femme, y compris quand elle accompagne Anton chez ses parents.

Ces derniers vivent à Calberlah, petite localité de Basse-Saxe, dans la partie occidentale de l’Allemagne. Depuis quelque temps, la mère d’Anton n’est plus à ce qu’elle fait. Cela n’a pas échappé à son mari ni à Helmer l’employé qui s’occupe du jardin. La médecine utilise le terme générique de démence sénile pour qualifier ses changements d’humeur et autres pertes de mémoire. « Les heures, les lieux ne correspondaient plus. Et alors que chaque année, début juin, elle faisait la première confiture de fraises, parce qu’elle avait attendu avec impatience les premiers fruits sucrés de l’été pour les envoyer à ses enfants, elle oubliait maintenant de planter des fraises. » De Berlin, Anton ne peut pas tout gérer. C’est dans ces moments qu’il aurait besoin de l’aide de sa sœur. Mais Caroline a mis elle aussi de la distance avec son environnement familial : elle vit désormais aux États-Unis. Ne pouvant compter sur personne, la mère d’Anton reçoit une aide inattendue : celle de deux légionnaires dont l’inquiétante présence traverse le livre.

Pour son deuxième roman traduit en français, Katharina Hacker parvient en quelques pages à installer un climat angoissant sans jamais chercher à jouer la carte psychologique. La langue allemande, il est vrai, a cette faculté de tout faire voir. Pas besoin de surenchérir, tout est donc montré ou tellement bien suggéré : l’émancipation d’Anton soudain contrariée par la dépendance croissante d’une mère qui par orgueil n’ose rien demander ; la réticence prudente de Lydia à envisager un avenir commun avec un autre homme ; l’impossibilité de Rüdiger et Martin à retrouver la routine d’une vie dans laquelle ils ont perdu leur rôle ; Caroline enfin dont la liberté de l’autre côté de l’Atlantique n’est qu’apparente et repose sur du sable.

À quarante-quatre ans, cette romancière s’installe comme une figure marquante de la littérature contemporaine allemande. D’ailleurs, l’association des libraires ne s’y est pas trompée en lui décernant en 2006, à l’occasion du salon du livre de Francfort, le prestigieux Deutscher Buchpreis pour Démunis. Il y était déjà question d’un couple qui, après s’être marié, décidait de s’installer à Londres pour des raisons professionnelles. Progressivement une faille apparaissait et finissait par interroger Isabelle et Jakob sur les motivations profondes de leur union. Dans Les fraises de la mère d’Anton, Katharina Hacker va plus loin dans sa radioscopie d’une société qui porte toujours plus haut l’étendard de la liberté individuelle, en oubliant trop souvent les questions posées par celle-ci et les responsabilités qu’elle suggère.

Égoïsme et humanisme ne sont tout simplement pas compatibles.

Article paru dans la Quinzaine littéraire, N°1051, du 16 au 31 décembre 2011


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