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Au réveil

Par Deathpoe

Un trou noir de plusieurs heures. Ce n'était finalement pas plus terrible que de dormir. J'ai brièvement ouvert les yeux. Eclat de lumière blanche, vue brouillée.
"Monsieur, respirez un bon coup, vous avez une sonde urinaire, je vais l'enlever.
-Allez-y je m'en fous, j'ai l'habitude."

Après ça, nouveau trou noir. Je me réveille, ignore où je suis. Un lit, une chambre d'hôpital. Apparemment, je ne suis ni mort ni au paradis. J'ai un mal de crâne abominable, plus douloureux encore que la pire gueule de bois de ma vie. Trois personnes sont devant moi. Un couple et ce qui semble être un médecin. Je suis incapable de me souvenir de l'échange que nous avons eu. J'ai vaguement entendu "Il faudrait le laisser maintenant, il est encore épuisé." et des sanglots étouffés. J'ai replongé dans le sommeil qui, cette fois-ci, n'avait plus rien de douillet mais se voulait surtout automatique.
Je me réveille à nouveau, incapable de déterminer le jour ou l'heure. Néanmoins, je suis à peu près capable de réfléchir brièvement. Une voix qui m'est familière.
"Mike, tu me reconnais?
-Oui, vous êtes mes parents...
-Ce matin quand le docteur t'a demandé, tu as dit que j'étais la dame chez qui t'habitais et qui te nourrissais depuis 23 ans...
-Je ne m'en souviens pas.
-On m'a demandé de t'interner, de force. Il n'y a que moi qui peux signer, je ne sais pas quoi faire.
-Je ne sais pas, fais ce que tu veux.
-On attend demain de voir l'avis du psychiatre."

Il y a peut-être eu d'autres paroles. Je me suis rendormi. Et j'ai ouvert les yeux à nouveau. Plusieurs heures s'étaient écoulées. Apparemment, j'avais un voisin de chambre qui signalait sa présence par des ronflements. J'étais nu en-dessous de ma blouse d'hôpital, avec une dizaine d'électrodes sur le torse et le ventre. Instinctivement, j'ai enfilé mon jean et suis sorti de la chambre. Un infirmier barbu me regarde à travers sa vitre:
"Bonsoir, dites, y'a possibilité d'aller fumer?
-Oui, juste la porte là.
-Merci. Et par hasard, vous n'auriez pas un Dicodin? Pas que je crève de douleur mais bon.
-Non.
-Très bien."

J'ai regardé l'heure sur mon iPhone. 1h30. On était le mercredi 14 décembre. Deux messages, l'un sans trop d'importance, l'autre de D., mon collègue d'Apple, qui est rapidement devenu un ami sincère. Deux jours sans nouvelles et il me demandait "Ça va toi???". Alors, à sa manière, j'ai simplement répondu "Je suis dans la merde."
Sans faire attention à l'heure, j'ai appelé mon père pour savoir où étaient mes cigarettes. Il me sermonne rapidement, je raccroche. J'enfile le 501 noir que je portais lorsqu'on m'a emmené et garde ma blouse d'hôpital. La nuit est fraîche et je reprends un peu plus mes esprits, sans m'inquiéter du lendemain: être là, au service d'urgences psychiatriques, m'apparaît comme presque normal, comme si ça allait tout simplement de soi et que cela aurait même dû arriver depuis longtemps.
La première bouffée de ma cigarette me fait violemment tourner la tête. Je m'accroche au mur pour ne pas tomber. M'allume une seconde clope sous la nuit messine. Retourne me coucher. M'endors comme si je n'avais pas assez dormi.
Je suis réveillé par l'infirmière qui apporte le petit-déjeuner. Je ne demande qu'un café noir. Elle pose un gobelet en plastique avec un liquide orange.
"C'est quoi ça?
-Du Valium, pour le sevrage alcoolique.
-Je ne suis pas alcoolique, enfin plus maintenant. Fait un bail que je ne tète plus ma vodka tous les soirs.
-Mais...
-Non mais laissez, pas grave, vous faites votre boulot. Par contre, je veux bien du Dicodin.
-On n'en a pas ici.
-Ok."

Mon voisin de chambre émerge difficilement. Je ne sais pas ce qu'ils lui ont filé mais ça cogne. Je le salue, stricte politesse. Demander un autre café. Laisser le Valium de côté et examiner la chambre. Porte vitrée, et une caméra pile en face des deux lits. Parfait mélange entre 1984 et Vol au-dessus d'un nid de coucou.
"Tu es là pour quoi?
-J'ai merdé avec des médicaments."

On se croirait dans une mauvaise série policière où cette question est le passe-partout pour que les tôlards fassent connaissance. N'ayant aucune idée de ce qui m'attend, faire preuve de sociabilité polie et me renseigner pourrait m'être utile.
"Et toi?
-Je ne sais pas exactement, je crois que je me suis encore trop énervé.
-D'accord.
-Tu sais où tu vas après?
-Non, pas du tout. Je vois la psy après, mais je ne sais pas comment ça se passe. Et toi?
-Je reste trois jours ici et après ils voient où ils vont me mettre.
-Ah ok. Je suppose que ça ne sert à rien de s'énerver ici.
-Non, mais tu verras, la psy est super cool.
-Super. Apparemment soit je sors aujourd'hui soit on va pousser ma mère à signer un internement.
-De force?
-Ouais, je crois.
-Ah merde.
-Quoi?"

A sa mimique je me rends compte qu'il vaut peut-être mieux que j'évite l'internement, et que je me tienne à carreaux.
"C'est horrible l'internement de force. Tu es dans une pièce de 3 mètres carrés. Le lit est scellé au sol et tu as juste un seau pour les besoins.
-Ah. Viens on va fumer."

Je reprends vite mes esprits malgré les restes de poison. J'avale finalement mon Valium lorsque l'infirmière passe, histoire de montrer ma coopération. Dehors, des grilles, une vue sur le marchands de sapin de Noël que je regarde habituellement à travers la vitre du bus. Mon voisin de chambre s'en va, sort une jeune fille. Joli cul, beau visage pour l'essentiel malgré les cernes. Mais je ne suis pas là pour ça et garde mon masque d'indifférence.
"On peut parler deux minutes?
-Tu sais, ce n'est pas parce que je suis ici que je suis pour autant un psychopathe qui va te sauter dessus."

Sourire timide. Je lève la tête et recrache la fumée de ma cigarette.
"Tu es là pour quoi?
-Décidément, c'est la question à la mode ici?
-...
-Disons que j'ai pris un médicament ou deux de trop. Et toi?
-J'ai pété un plomb juste avant de passer un examen important.
-Examen de?
-Dernier examen pour devenir avocate.
-Ah."

Je me rends compte que l'incompréhension vis-à-vis de soi-même, de l'entourage voire le passage sous silence de difficultés personnelles peut amener aisément à foutre sa vie en l'air, sans vraiment le vouloir. Elle s'en va, il était inutile ne serait-ce que de lui demander son prénom. D. me téléphone pour prendre des nouvelles, me promet que s'il faut il est prêt à témoigner en ma faveur, disant que je fais du bon boulot et que, malgré mon passé qu'il connait, je fais tout pour m'en sortir.
"Merci jeune homme. T'inquiète pas, je vais tout faire pour que ça se tasse au plus vite, et je compte reprendre le boulot directement vendredi."
Je retrouve mon voisin de chambre et commence déjà à ranger mes affaires.
"On va prendre un café à la cafétéria?
-Ça dépend. Comme j'avais pas vraiment prévu d'être ici, je n'ai pas mon portefeuille. Tu pourrais m'en payer un?
-Avec plaisir."

On retourne à notre chambre, l'air de rien. Je savoure mon café en silence, beaucoup moins fade que celui de l'hôpital. Ce qui s'avère être la psychiatre vient me chercher pour l'entretien.
"Je peux prendre mon café avec?
-Ce n'est pas vraiment de circonstance.
-Très bien."

Je le termine d'un trait, manque de me brûler la gorge et la suit.
"Alors Monsieur B., comment vous sentez-vous?
-J'ai un trou noir d'à peu près une trentaine d'heures, mais à part ça, au poil.
-Vous êtes tombé dans un coma de stade 1, c'est normal.
-J'ai souvenir qu'on m'a enlevé une sonde urinaire, je sais pas si c'était une hallucination ou non."

L'infirmière présente à l'entretien acquiesce.
"Par contre la prise de sang ne nous a pas permis d'identifier ce que vous avez pris.
-Un tube de Lexomil, une boîte de Dicodin, un demi flacon de Théralène.
-Vous vouliez mourir?
-Je ne sais pas. Pour être honnête, si telle avait été ma volonté, j'aurai attendu 23h pour me faire ce cocktail et j'aurai balancé quelques Tranxènes par-dessus. J'aurai été tranquille.
-Votre vie ne vous satisfait pas? Vous vous ennuyez?
-Je croyais que vous aviez appelé mon psychiatre ainsi que celui que j'ai vu au centre anti-douleur.
-En effet, et mon diagnostique correspond au leur.
-Et bien parfait, pas la peine de tergiverser une heure.
-Vous le connaissez?
-Oui.
-Qu'en est-il alors?
-Troubles de la personnalité limite, essentiellement caractérisée par de l'impulsivité, difficultés d'appréhension de l'objet externe, tendances aux excès et aux dépendances, ennui, mélancolie, auto-agressivité. Entre autres.
-C'est bien ça.
-Suis fort hein.
-Nous ne sommes pas ici pour plaisanter, Monsieur B.
-Très bien. Alors? La suite des évènements? Paraît que vous avez demander à ma mère de signer un internement chez les givrés.
-Oui, qu'en pensez-vous?
-Hors de question. J'ai des études à terminer, un boulot qui me plaît.
-Des amis?
-Aussi.
-Une petite-amie?
-Plus depuis un moment.
-Cela ne vous manque pas?
-Surtout le cul qui me manque si vous voulez tout savoir, et c'est pas avec les infirmières qu'il y a ici..."

Je m'interromps devant le regard noir de la psychiatre. Tout ça me paraît être encore pire qu'un entretien d'embauche et j'ai plutôt l'impression de jouer mon avenir, tout au moins les mois à venir, dans ce minuscule bureau.
"La tendresse me manque énormément. Savoir qu'il y a quelqu'un. Être là pour cette personne. Enfin tout ça. Mais ce n'est vraiment pas ça qui m'a fait déconner lundi.
-Très bien. Pour vous ce n'était qu'une déconnade?
-J'ai pris un cachet ou deux de trop, voilà tout.
-Vous...
-Si je me rends compte de ce que j'ai fait? Oui. Je le regrette? Non. Est-ce que j'ai eu peur d'avoir dansé avec la Faucheuse? Non.
-Très bien. Bon, pour moi vous êtes sortant.
-Ok. En espérant ne jamais vous revoir. Passez une bonne journée."

Une heure après je rentrais chez moi. Pendant deux semaines je savourais le fait d'être encore en vie. Et puis l'ennui a repris le dessus. La douleur physique. Le besoin de sensations fortes, de l'orgasme instantané. Et puis, et puis, et puis.


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