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Jérôme Sainte-Marie : « 2012 : Vers une victoire par défaut »

Publié le 20 janvier 2012 par Delits

Délits d’Opinion : François Bayrou connait depuis quelques semaines une embellie qui rappelle celle de 2007. Ces deux mouvements sont-ils de même nature et peut-on imaginer une trajectoire différente cette année ?

Jérôme Sainte-Marie : « La dynamique que l’on observe dans nos études depuis plusieurs semaines ressemble fortement à la situation de 2007, mis à part le fait que cette fois-ci on situe le démarrage plus en amont, en décembre. Cette poussée est clairement identifiable au niveau des enquêtes sur la popularité où sa progression de 13 points depuis le mois de septembre est plus que remarquable (51% aujourd’hui). Sur le plan des intentions de vote, sa progression a également été très forte puisqu’elle a presque doublée, de 7 à 13% sur les deux derniers mois.

Si l’on s’essaie à une comparaison au niveau de la composition sociologique de ses soutiens on note des divergences. En 2007, le démarrage de Bayrou avait débuté avec l’agrégation de la base UDF puis sa candidature s’était vue renforcée par les déçus de la campagne erratique de Ségolène Royal. Enfin, les derniers points étaient venus d’éléments plus disparates souhaitant voir le système évoluer. En 2012 le rebond n’est pas de même nature, en tout cas sur le plan sociologique. En effet, les points gagnés depuis la mi-décembre le sont surtout auprès d’un électorat central qui jusqu’ici exprimait son soutien pour les candidatures de Morin, Boutin, Borloo voir de Joly. Il a réussi en deux mois à faire revenir à lui ces 15% d’électeurs centristes historiques. Dans le même temps on a également pu mesurer une amélioration sensible de l’image du président du Modem auprès des électeurs de droite.

A ce jour, la candidature de François Hollande ne semble elle pas encore souffrir de cette montée, malgré le léger tassement dans les enquêtes  d’opinion. A moins de cent jours du 1er tour, le vote Bayrou n’est pas le réceptacle des déçus de la Gauche mais sa candidature est équilibrée sur le plan politique mais aussi sociologique ».

 

Délits d’Opinion : Nicolas Sarkozy entend mener une campagne « blitzkrieg » sur six semaines. Peut-il espérer reconquérir les franges de la population qui ont déserté son électorat en si peu de temps?

Jérôme Sainte-Marie : « Le choix de Nicolas Sarkozy est avant tout rationnel et pragmatique. Au regard de la situation économique, de son bilan personnel et des critiques qui pèsent sur sa personne, le Président futur candidat n’a pas d’alternative. Si en 2007 il était parvenu à construire son succès sur une adhésion forte et un véritable espoir, 2012 ne pourra lui permettre de renouveler pareil succès. A ce jour, il ne peut envisager de l’emporter sur du positif et de l’enthousiasme. Selon son analyse, le succès viendra par l’effondrement d’un de ses concurrents. Il estime avoir tout intérêt à laisser les candidats, ceux dont il souhaite se détacher, se neutraliser.

Nicolas Sarkozy donne la priorité à l’action et entend se situer au dessus de la mêlée pour mieux surnager dans ce marasme. Selon son calendrier, il annoncera sa campagne pour bénéficier d’un second souffle lorsque les autres se seront déjà fatigués au combat politique.  Dans ce contexte, son statut de Président est un atout majeur au cœur de cette campagne si particulière.

En débutant sa campagne début mars avec un arsenal de propositions et de mesures fortes, il espère redonner envie, tout du moins sur quelques semaines. Ce choix apparait particulièrement innovant bien que très risqué mais il semble néanmoins nécessaire alors qu’il est encore mesuré à 43% d’intentions de votes au 2nd tour ».

Délits d’Opinion : rançois Hollande est le grand favori de l’élection. Comment expliquez qu’il ne parvienne pas à tuer le match. Cette incapacité à écraser  la concurrence ne laisse t-elle pas présager un effet Balladur 1995 ? 

Jérôme Sainte-Marie : « Il est le vrai favori depuis sa désignation par le Parti Socialiste. Les Français sont d’ailleurs 40% à penser qu’il va l’emporter au printemps prochain. Parti de 35% d’intentions de vote en octobre 2011, il se situe aujourd’hui à 29%, un score toujours très élevé. Le principal reproche que l’on peut émettre en observant sa campagne c’est sa grande difficulté à susciter l’adhésion autour de sa personne à un moment où il n’a pas encore proposé clairement ses idées aux Français.

Cette difficulté semble être le lot commun des candidats. Les Français confessent ne pas vouloir céder aux promesses comme c’est généralement le cas lors d’une élection présidentielle. De plus, la détérioration de la situation et le brouillage orchestré par les milieux financiers et les agences de notations ne permet pas aux responsables politiques de créer les conditions d’un soutien franc et massif en faveur de leur candidature.

A ce jeu, François Hollande court deux risques. Le premier c’est celui évoqué, le risque Balladur 1995, qui laisserait penser qu’un favori aurait intérêt à jouer la stabilité poussée jusqu’à l’immobilisme afin de conserver ses points. Cette attitude serait très risquée car les quelques cent jours qui nous séparent de l’élection sont encore longs et les électeurs sont plus que jamais aux aguets, prêts à changer de candidat si besoin. Le second risque serait celui d’imiter Lionel Jospin en 2002 en occupant un espace de centre gauche et en menant une campagne très personnalisée contre le système et le Président en place. Cette stratégie aurait pour conséquence d’abandonner une partie de l’électorat de la « vraie » gauche ce qui provoquerait ainsi des départs massifs vers Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen.

Tout cela étant dit, il demeure celui qui semble le mieux armé pour l’emporter, tant par le désir d’alternance qui existe que par sa culture économique et la manière qu’il a d’aborder la politique ».

Délits d’Opinion : Marine Le Pen atteint à l’occasion de cette campagne, des scores bien supérieurs à ceux de son père. Cependant, n’est-elle pas en train de toucher les limites de sa stratégie en se normalisant toujours un peu plus ?

Jérôme Sainte-Marie : « La Présidente du Front National est aujourd’hui à un niveau très élevé, 19%. Un niveau déjà atteint il y a 11 mois, juste après le Congrès de Tours qui l’avait vu succéder à son père à la tête du parti. Cette constance démontre une solidité de la candidature tandis que d’autres éléments mesurés font apparaitre un potentiel réel de l’ordre de 25%. Ceci étant dit, un 21 avril bis ne serait donc pas un « accident électoral » ou un « coup de tonnerre » mais bien la conséquence d’une montée constante et qui s’est renforcée. Cette possibilité est donc bien réelle mais ce scénario semble plus dépendre des autres candidats que de sa propre campagne.

Elle a aujourd’hui, à trois mois du premier tour, une tentation forte qui est celle d’aller chasser sur les terres de la gauche de la gauche et de viser les électorats abandonnés que sont les ouvriers et les employés, catégories socioprofessionnelles qui n’identifient pas clairement un représentant de leurs idées et intérêts. Cette France du Non à l’Europe, cette France du repli est aujourd’hui la cible large que vise le FN.

Or, ces populations sont en attente forte d’éléments chiffrés, de réponses sur les salaires, l’emploi et les impôts; autant de sujets nouveaux pour le FN qui avait construit ses succès passés sur  des thématiques comme l’immigration et la sécurité. Le challenge  de la transformation de ce parti doté d’une monoculture est difficile, bien que le repli protectionniste apparaisse comme une aspiration forte des Français, surtout face à des concurrents « du système » dont les solutions n’ont pas permis d’éviter la crise ni de la résoudre ».


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