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Frédéric Schiffter, Traité du cafard

Par Eric Bonnargent
Intraitable cafard
Marc Villemain

Frédéric Schiffter, Traité du cafard

Éditions Finitude

Ce qu’il y a de réconfortant avecles philosophes, c’est qu’ils nous ressemblent. J’ignore si philosopher, c’està apprendre à vivre ou apprendre à mourir : je ne suis pas philosophe. Ceque je sais, c’est que le philosophe est tout aussi encombré que nous autres,esprits faibles et prosaïques, lorsqu’il s’agit de « s’affairer dans le monde sensible », et donc tout autant sujetau cafard, disposition fort peu cartésienne s’il en est. En d’autres termes, lapratique assidue de la pensée philosophique n’exempte personne de l’état deperplexité dans lequel se tourmente le commun – voire le décuple. FrédéricSchiffter confesse d’ailleurs, dès les premières pages, qu’il n’a « aucun sens de l’existence. » L’oncomprend mieux, alors, et son cafard, et ce qui finalement continue de mouvoirle bonhomme : « Lire ou dormir,deux manières, chez moi, d’opposer au monde une fin de non-recevoir. »Nous sommes quelques-uns à pouvoir nous reconnaître dans ce contemplatisme-là, et, comme Schiffter, à concevoir que l’on puissese vivre comme « un romantiqueconquis par l’exotisme de la routine. »
C’est qu’il y a du dandy chez Schiffter. Ce qui rend sa prosesémillante, et parfois joueuse. A l’excès, parfois, tant son cafard, sensible,indiscutable, parfois lyrique, peut alors prêter à sourire, perdant au passageun peu de sa puissance contagieuse. Affirmer d’un trait que « l’homme est une catastrophe naturelle »ou que « l’élégance est un habittrop grand pour l’homme », nous nous en passerions bien : cen’est pas de son niveau, et le jeu du dicton risque de nous faire passer à côtéde ce que son cafard peut avoir de viscéral. L’on peut préférer, ici, un AndréBlanchard, dont l’authenticité est plus mordante, ou moins ornée. Encore unefois, le diariste ou l’aphoriste mélancolique n’est jamais aussi bon quelorsqu’il retourne les armes contre lui. Alors Schiffter excelle, et son humourun peu désespérant tombe avec une tout autre justesse : « Mes moments perdus me consolent du temps quel’on me vole. » L’être amer a la lucidité à fleur de peau, il éprouve« la finitude de tout avec le flegmed’un écorché vif. » Et se dénoue dans de prometteuses saillies, moinscontradictoires qu’il y paraît : « Le drame des types comme moi qui ne veulent pour rien au monde êtrepris au sérieux, est, justement, qu’on exauce leur vœu. »
Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 4, mai/juin 2007

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