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les pas perdus

Publié le 27 janvier 2012 par Lironjeremy

les pas perdus Rien n’est jamais joué, on aimerait croire qu’un cap est franchi qui nous assure de ne pas faire moins bien ensuite, d’aller toujours plus avant et mieux. On aimerait se rassurer. C’est peut-être ça l’ambition : penser que tout ne doit toujours aller que de mieux en mieux et peut-être plus facilement, vouloir que toujours tout ailles de mieux en mieux. On se dit : « l’obstacle est franchi, déjà on se dégage un peu de la masse, du laborieux, on prend une large bouffée d’air ». Quand un catalogue sort et qu’on vous dit que c’est un bel outil pour vous ouvrir des portes mais que vos envois restent lettre morte : combien de courriers postés sans avoir même un simple mot de bonne réception ? Une fois un critique influant vous a cité en bien dans un journal très lu mais lui-même s’étonne que personne n’ai acheté la toile dont il parlait sur cette foire. Passé inaperçu. Une autre fois une belle et grande exposition, assortie d’une presse enthousiaste, c’est invité d’honneur qu’on vous fait : « vous mesurez votre chance ? ». Mais c’est toujours la même chose, on remballe, on rapatrie tandis que se monte déjà derrière vous l’exposition qui suit. Ça reste un peu de l’irréel : l’agitation soudaine, brusque, avec les journalistes, conférence de presse, la foule du vernissage, puis retourner à l’ordinaire sans savoir si tout ça était bien vrai. Que sait-on de l’écho que ça porte ? Rien ne change. On s’étonne là encore que ça n’ait rien déclenché. Vous avez envoyé des catalogues là encore, sans plus savoir combien mais il ne vous en reste plus un seul exemplaire. Quand vous ferez les comptes à la fin de l’année il y aura cette ligne : « frais de poste », un chiffre incroyable. Deux ou trois vous ont répondu, un autre six mois après alors que vous n’y comptiez plus. Vous ne savez pas si vous êtes réellement admis ou si on vous délaisse ce trajet solitaire, laborieux. Vous enviez ceux là qui se payent le luxe de vivre de leur art, que l’on repère comme des représentants de la jeune création et qui bénéficient du circuit. Vous vous sentez entre deux. Peut-être votre histoire est déjà classée ? Ou peut-être qu’on trouve à ne vous raccrocher à rien ?  Vous repensez à cette phrase de Sieg Dagerman : « je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu » et sa fameuse conclusion : « notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». Un jour, un artiste célèbre vous avait confié : « au fond, on fait ça pour qu’on nous aime un peu plus ». Manque-t-on à ce point d’assurance ? Vrai que l’on doute et que l’exhibition est une manière d’appeler des regards, des paroles pour dialoguer avec nos doutes et certitudes emmêlés. Moi j’avais décidé de me prendre en main, je voulais de beaux projets pour que mes gestes prennent de l’ampleur. Envie de mieux, de plus grand, de ce que les autres avaient. Il suffisait de répondre, de se remettre à pratiquer l’envoi de dossiers. Une amie m’indiquait un lieu qui cherchait un peintre pour boucler sa programmation, je bouclais un dossier. Aucune réponse. Ça semblait pourtant abordable. Le salon lançait son appel à candidature, je n’étais pas retenu. Par où est-ce que je pêchais ? On ne sait jamais dans ces cas là : le jeu est binaire, c’est oui ou c’est non. Comme on m’avait conseillé d’expédier mon dernier manuscrit à deux ou trois éditeurs, j’essayais également, récoltant dans les mois qui suivirent autant de « nous sommes au regret de ». Puis je postulais à une aide au projet afin de concrétiser une réalisation ambitieuse : « nous sommes au regret de ». Il restait une résidence mais sans grand espoir, et puis les aides au projet de la drac à laquelle j’avais fini par soumettre un dossier. Dois-je espérer quelque chose ? Pour être honnête, il faudrait dire aussi le positif de revues qui vous contactent pour une interview, d’une galerie qui aimerait vous inclure dans sa programmation, de collectionneurs qui vous soutiennent et des quelques œuvres vendues plus ou moins régulièrement. On me dira : « ça a l’air de marcher pour toi ! ». On croira que c’est facile, établi, que je flotte sur un nuage. Pourtant on est toujours sujet à l’échec, à l’échec répété. Non on n’a pas vendu dernièrement, oui malgré les promesses, les mots, les touches. Il faut attendre. Il faut du temps, « se montrer patient ». Qu’est-ce qu’on y peut ? On bricole avec ça. Toujours des choses se dessinent, des promesses : « je vais prochainement avoir un truc qui fera que peut-être ». Parfois c’est « merde, encore raté ! ». Pas vraiment simple. Des petites choses qui avancent à l’atelier. On aimerait bien se donner de longues plages de temps, un désert autour comme un rempart et s’immerger. Mais le temps est morcelé, tout est compartimenté, par-dessus chaque moment flotte l’angoisse de ce qui demande. Regarder l’heure, se dire ça va, je peux peindre encore un peu, mais au retour l’appartement dans l’état, le petit déjeuner encore en place, les reproches. Le retard pris sur quantité de choses. La fin du baye pour l’atelier, comment déménager tout ça. La fin du CDD. Quoi après ? Et comme chaque facture semble toujours plus élevée, ces frais incompressibles. La voiture : déplacer la voiture avant de prendre un PV. Les travaux, emplacement réservé et parce qu’hier soir rentré tard de réunion et plus une place disponible. Veiller à ça aussi, même entre midi et deux ils tournent en bas, vous passent rien. La dernière fois pour la vignette d’assurance glissée du mauvais côté dans la pochette et donc qui laissait apparaître la précédente, périmée. L'autre fois pas payé pour juste un déchargement en face de la porte, le temps dans les escaliers avait suffi. L’usure que c’est tout ça. Le courrier déposé sur la table en rentrant, geste lourd, las. Tout ça poussé pour dresser la table, oublié, à ressortir. Alors dans un coin de la tête qui encombre, les factures, les réponses, les remerciements pour le colis, le chèque pas encore encaissé. Y penser, y repenser toujours trop tard alors remettre à plus tard, encore. Les feuilles pour la mutuelle à classer, expédier parce qu’incompréhensiblement sur la carte Vitale se sont effacé les références. Dossier à refaire. Lourdeur administrative. Amoncellement, gout de papier, encombrement. Vous manquez d’organisation sans doute, peut-être inconsciemment, vous ne voulez pas vous fragmenter encore, accorder trop d’importance à tout ça. Le temps presse bon dieu, doit-on le bouffer encore à accumuler les papiers, les fichiers, les dossiers, à charger les archives ?

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