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HAROPA : de l’intermodalité à la géoéconomie portuaire

Publié le 27 janvier 2012 par Infoguerre

Haropa 150x150 HAROPA : de lintermodalité à la géoéconomie portuaire influence strategieLe 19 janvier 2012 a vu la création d'un Groupement d'intérêt économique (GIE) rassemblant les ports du Havre, de Rouen et de Paris, sous le vocable HAROPA. Un nom évocateur de ses propres ambitions (HAROPA, Europa…), à l'heure des grands projets intermodaux européens, notamment soutenu par la Commission européenne au travers du programme Marco Polo. Celui-ci concerne le développement de hub intermodaux européens dont la finalité est une révision général des modes et voies de transport de marchandises en Europe, notamment dans une optique environnementale. Les enjeux stratégiques sont d'importance. En effet, les ports français doivent se positionner par rapport aux ports situés plus au nord tels qu'Anvers, Rotterdam, Amsterdam mais aussi Zeebruges ou Duizbourg. De plus, dans quelques années la liaison fluviale entre le bassin de la Seine et le Nord de l'Europe sera effective avec la mise en eau du canal Seine-Nord Europe. Il était donc opportun pour les ports normands de prendre les devants et de s'associer dans un GIE avec les ports de Paris.

La création d'HAROPA n'est pas synonyme de fusion entre les parties prenantes, comme plusieurs projets l'avaient déjà laissé sous-entendre, mais bien de l'établissement d'une coordination portuaire opérationnelle, une réelle volonté de travailler ensemble dans un soucis de compétitivité et d'accès à des parts de marché. Effectivement, de par la loi et leur statut d'établissement public, les trois ports partenaires restent seuls responsables de leurs emprises respectives. Il n'y aura donc aucun transfert de compétences entre les trois entités. Pour l'heure, le GIE doit avant tout s'organiser et se donner une place vis-à-vis des administrations centrales et locales et surtout de ses clients. Côté clients, l'offre doit passer par l'uniformisation des procédures des trois ports et par une offre commerciale commune. Les quatre clés de la réussite sont une stratégie et une communication communes, sur une zone de chalandise commune, le tout au service d'une offre commerciale elle aussi commune, attractive et efficace d'un point de vue intermodal. Géographiquement, l'Île de France est bien entendu l'un des objectifs premiers en termes de marché, mais le GIE envisage de renforcer ses positions dans l'ensemble de son hinterland et plus particulièrement en direction de l'Allemagne et de la Suisse. Ce créneau va de pair avec le développement du fret ferroviaire à destination de ces deux pays. Il s'agit donc bien d'un projet de développement intermodal alliant transports maritime, fluvial, ferroviaire et bien entendu routier même si l'objectif final est de réduire au maximum la part de ce dernier type de transport, en concordance avec les principes du programme Marco Polo et du Grenelle de l'environnement. L'implication des ports de Paris dans le GIE permet, dans le cadre du projet du « Grand Paris », de doter la capitale d'une façade maritime de dimension internationale. C'est un atout dimensionnant pour le projet, en termes d'image d'un part mais aussi de développement économique d'autre part. Tout cela semble prometteur mais entre dans le jeux des puissances portuaires européennes comme indiqué supra et comporte des risques notamment avec la futur liaison fluviale Seine-Nord Europe.

Les hinterlands des ports d'Anvers et Rotterdam principalement, chevauchent largement ceux des ports normands. Ces derniers éprouvent donc des difficultés à s'imposer comme acteurs majeurs dans le monde portuaire européen. Les interfaces modales des ports susmentionnés sont beaucoup plus développées que celles des ports français en général, que ce soit sur le plan fluvial ou ferroviaire, voir même routier. En effet, ces deux ports sont entourés de voies navigables, d'un réseau routier dense et de terminaux ferroviaires d'importance. Faut-il rappeler la liaison ferroviaire belgo-chinoise entre Anvers et Chongqing, à laquelle s'est joint le port de Rotterdam? Ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres du degré de développement d'une offre de transport intermodale au départ de ces ports. La création d'HAROPA était donc nécessaire pour faire face à ces puissances portuaires venant du Nord. Mais est-ce la solution la plus crédible ? Faut-il, pour les ports français, partir ensemble d'une position de faiblesse et essayer de trouver un moyen de s'imposer dans le concert portuaire européen ? Ou fallait-il plutôt s'associer à une structure de grande envergure tel le port d'Anvers, par exemple, et apporter une solution de délestage ou de spécialisation ? Les ports français ont raté le coche du développement portuaire dans les années 1990, période durant laquelle les ports concurrents étrangers ont investi des sommes colossales dans leurs infrastructures intermodales (entre 1987 et 1997, le port d'Anvers a fait 4 milliards de dollars d'investissements en ce sens). Autre facteur d'importance, les ports situés au nord des frontières françaises attendent avec impatience l'ouverture de canal Seine-Nord Europe. Cette voie fluviale signera le désenclavement de l'Île de France par rapport aux réseaux fluviaux européens, situés principalement au Nord… Les flux venant de l'Île de France se dirigeront-ils vers les ports maritimes normands ou vers les ports belges, néerlandais ou allemands ? Certes Paris et les ports normands sont reliés les uns aux autres par « l'autoroute » fluviale que représente la Seine. Le canal Seine-Nord Europe représentera lui aussi une « autoroute » fluviale vers les grands ports cités ci-dessus. Laquelle emprunter ? L'uniformisation de l'offre commerciale que devrait proposer HAROPA sera d'évidence cruciale. Mais les offres globales sont déjà de mise dans les grands ports européens. Il s'agit d'une longueur d'avance bâtie sur des années qu'HAROPA aura la charge de rattraper. C'est non seulement d'une offre commerciale uniformisée qu'aura besoin HAROPA, mais surtout d'une offre compétitive, et même hyper-compétitive, vis-à-vis de ses concurrents.

La grande question qui doit être posée aujourd'hui, tant au niveau d'HAROPA que des ses parties prenantes mais aussi des pouvoirs publics, n'est pas celle de la faisabilité et de la rentabilité du projet mais bien celle de la puissance portuaire des ports français face à leurs concurrents les plus proches. L'initiative HAROPA est certes nécessaire, mais il semble que, en matière de transports et d'infrastructures maritimes, d'intermodalité et de gestion des flux, ce soit au niveau régional, au sens de régions dédiées à des secteurs d'activités (par exemple les hinterlands) que l'avenir se joue (ou s'est déjà joué ?). En atteste la volonté de la Commission européenne avec le projet Marco Polo. Le développement dans ce secteur doit aujourd'hui se penser avec des partenaires forts et ceux-ci se trouvent, sans conteste, à l'étranger. C'est d'une vision européenne qu'à besoin la France en ce domaine. Les frontières géoéconomiques ne sont plus les frontières politiques d'antan mais celle d'un développement économique optimal, rationnel et rentable. Il n'est pas question de manque de patriotisme économique, mais d'un souci de survie économique. Il faut penser en termes d'enjeux de puissance dans un contexte d'intermodalité transnationale dans une perspective régionale européenne. Plusieurs autres acteurs européens du secteur, ont pris le train en marche il y a une vingtaine d'années et ont déterminé la géoéconomie du secteur, des flux transnationaux de marchandises et de l'intermodalité. Ils ont façonné cet environnement, ne laissant que peu de place aux initiatives plus tardives telles que celle portée aujourd'hui par HAROPA. Le projet est certes louable mais ira-t-il assez loin dans la mise en œuvre de ses objectifs et de ses ambitions ?

Stéphane Mortier

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