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Comment Mitt Romney a raté la première étape des primaires (et pourquoi il devrait malgré tout être le nominé)

Publié le 27 janvier 2012 par Delits

Après ses victoires dans l’Iowa et le New Hampshire, premières étapes essentielles des primaires républicaines, les plupart des commentateurs estimaient que plus rien ne s’opposait sérieusement à ce que Mitt Romney soit désigné par le GOP pour affronter Barack Obama en novembre. Deux mauvaises nouvelles ont alors marqué la campagne de l’ancien gouverneur du Massachusetts le 21 janvier : tout d’abord, les organisateurs du caucus de l’Iowa annonçaient qu’après avoir étudié les résultats, l’avance de 8 voix de Mitt Romney sur le très conservateur Rick Santorum laissait la place à un déficit de 34 voix ; ensuite, les électeurs de Caroline du Sud lui infligeaient une sévère défaite en ne lui octroyant que 27,8% des voix face aux 40,4% obtenus par l’ancien Président de la Chambre des Représentants, Newt Gingrich.

A vrai dire, le chemin vers la nomination n’a jamais eu l’air d’un long fleuve tranquille pour Mitt Romney. De nombreux observateurs ont noté que, tout au long de l’année 2011, il a été incapable de dépasser durablement la barre des 25% dans les intentions de vote. Mais contrairement à ce qui a beaucoup été dit, Mitt Romney est loin d’être impopulaire auprès de la base conservatrice. Il n’en reste pas moins celle-ci lui reproche ses nombreux changements de position sur des sujets cruciaux (avortement, mariage gay), doute de son allégeance républicaine (il aurait voté pour un candidat très libéral lors des primaires démocrates de 1992 et ne serait inscrit sur les listes électorales en tant que républicain que depuis 1993) et ne parvient pas à éprouver d’empathie pour un homme plus représentatif des élites de la côte Est que des Tea Parties.

Pour autant, impossible pour l’aile conservatrice de trouver un remplaçant crédible à Mitt Romney. Malgré leurs atouts respectifs, l’impréparation de Rick Perry, l’extrémisme de Michelle Bachmann, les maladresses de Herman Cain et la personnalité rugueuse de Newt Gingrich ont provoqué leur chute dans les sondages, aussi brutale que leur ascension. L’année 2011 a été marquée par cette compétition très fluide, avant que les premiers caucus ne se tiennent, le 3 janvier, dans l’Iowa.

Acte 1 : duel serré chez les conservateurs chrétiens de l’Iowa

Rien ne prédisposait a priori Mitt Romney à remporter une victoire (qui n’en est certes plus une) dans l’Iowa. Dans cet État rural, la base du parti républicain est en grande partie composée de chrétiens conservateurs, plus proches des valeurs du Tea Party que de celles du patricien de la côte Est. Déjà en 2008, malgré une campagne acharnée, il s’était fait ravir la première place par l’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee, un ex-pasteur particulièrement traditionaliste. Au point que cette année, les conseillers du candidat lui avaient même proposé de faire l’impasse sur l’Iowa pour concentrer ses efforts dans le New Hampshire, jugé plus favorable : une stratégie sans doute plus sûre, mais qui aurait confirmé les doutes que nombre de militants républicains éprouvent à l’égard de Mitt Romney, vu comme calculateur et avers au risque. Finalement, devant la division de l’aile conservatrice du GOP, l’équipe de campagne de Mitt Romney a jugé possible d’obtenir une victoire à l’arrachée si le candidat pouvait obtenir le soutien de la minorité d’électeurs modérés. Une stratégie rendue d’autant plus crédible par le fait que les caucus étaient « ouverts », c’est-à-dire que les électeurs indépendants comme les républicains pouvaient s’y rendre.

La composition de l’électorat, mise à jour par les sondages réalisés à l’entrée des caucus, confirme la tradition conservatrice de l’Iowa : près de la moitié des électeurs se disent « très conservateurs » (47%), près des deux tiers soutiennent le Tea Party (64%) et 57% se disent évangéliques ou born again. Autant de catégories peu favorables à Romney, qui y obtient des scores inférieurs à 20%, et qui expliquent au contraire le très bon score de Rick Santorum, un ancien sénateur de Pennsylvanie situé à la droite du GOP et jusqu’ici essentiellement connu pour son « Google Problem ». Ayant labouré l’Iowa au point d’en avoir visité au moins une fois chacun des 99 comtés, Rick Santorum, qui n’avait jamais parvenu à décoller dans les sondages pendant toute l’année 2011, a connu une impressionnante dynamique en fin de campagne : autant il obtient des résultats médiocres chez ceux qui avaient fait leur choix longtemps à l’avance (9%), autant les personnes qui se sont décidées dans les derniers jours de la campagne (33%), voire le jour du scrutin (35%) sont enclines à la soutenir.

 

Comment Mitt Romney a raté la première étape des primaires (et pourquoi il devrait malgré tout être le nominé)

Le résultat obtenu par Mitt Romney ne s’explique pourtant pas vraiment par une percée chez les électeurs indépendants et modérés : il est en effet largement distancé, dans ces catégories de l’électorat, par le candidat libertarien Ron Paul. Bien qu’il bénéficie du soutien de la minorité opposée au mouvement du Tea Party, ce sont les républicains qui ont mis en avant leur volonté de gagner l’élection présidentielle par rapport à leur envie de désigner un candidat proche de leurs opinions conservatrices qui ont permis à Mitt Romney de recueillir 25% des voix. Il est largement en tête de ceux qui ont voté avant tout pour désigner un candidat capable de battre Barack Obama (48% des voix). L’ancien gouverneur est aussi en tête chez les électeurs qui souhaitaient soutenir le républicain ayant le plus d’expérience (35% des voix). A l’inverse, ceux qui voulaient un candidat « vraiment conservateur », ou ayant de solides valeurs morales ont été particulièrement peu nombreux à le choisir, et se sont divisés entre Rick Santorum et Ron Paul.

Au final, Mitt Romney a bénéficié de son image de compétence économique et de sa situation dans les sondages indiquant qu’il est le seul républicain à pouvoir battre le Président sortant. Surtout, il a su tirer parti de la division de l’aile conservatrice du GOP, qui, en cumulant les voix obtenues par Rick Santorum, Newt Gingrich, Rick Perry et Michelle Bachmann, totalisait pourtant 53% des suffrages.

Acte 2 : retour au centre chez les modérés du New Hampshire

Le défi de Mitt Romney était tout autre dans le New Hampshire. Cet État de la Nouvelle-Angleterre, bastion de ce qu’il reste de l’aile centriste et pro-business du parti Républicain, offrait au candidat un cadre idéal pour défaire des candidats conservateurs divisés : la modération des électeurs, même républicains ; l’appui de la machine locale du GOP ; le fait que non seulement les indépendants, mais aussi les démocrates puissent voter, d’autant plus que la primaire du parti de l’âne n’était pas compétitive cette année.

Pourtant, cette situation aurait pu s’avérer dangereuse pour le favori. Deux autres candidats risquaient en effet de le concurrencer auprès des électeurs modérés du New Hampshire. Tout d’abord, Jon Huntsman, ancien gouverneur de l’Utah et ancien ambassadeur en Chine entre 2009 et 2011, qui incarnait, plus encore que Mitt Romney, l’aile modérée du GOP, au point de refuser de comparer Barack Obama à un « socialiste » engagé dans une « lutte des classes ». En ayant fait l’impasse sur l’Iowa pour concentrer sa campagne sur le New Hampshire, il espérait créer la surprise dans un État réputé pour apprécier les outsiders. Ensuite, le candidat libertarien Ron Paul, qui se situe aux marges du parti Républicain du fait de ses positions iconoclastes en matière de politique fiscale ou étrangère, pouvait espérer obtenir de bons résultats. Le cadre du New Hampshire, un État dont la devise est « Live Free or Die » et où les indépendants et les étudiants, deux de ses bases électorales majeures, forment une partie importante de la population, était en effet idéal.

 

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En obtenant une nette victoire, avec 39% des voix contre 23% à Ron Paul et 17% pour Jon Huntsman (les candidats de la droite du parti se contentant de moins de 20% au total), Mitt Romney confirmait son statut de favori. Les sondages sortis des urnes témoignent notamment de sa capacité à attirer les électeurs plutôt conservateurs (48%), mais aussi les modérés et libéraux (38%), qui représentaient près de la moitié des votants. Le fait d’avoir été gouverneur de l’État voisin du Massachusetts, dont les chaînes de télévision couvrent le sud du New Hampshire et ont donc permis aux habitants de connaître depuis longtemps Mitt Romney, est aussi un facteur explicatif de sa victoire : la carte des résultats  confirme son ancrage dans cette région.

Jon Huntsman a quant à lui bien mordu sur l’électorat « naturel » de Mitt Romney et a connu, à l’instar de Rick Santorum dans l’Iowa, une réelle dynamique en fin de campagne (il passe de 6% des voix chez ceux qui avaient fait leur choix avant janvier à 23% chez ceux qui se sont décidés le jour de l’élection). Surtout, les exit polls indiquent combien l’ancien ambassadeur en Chine est éloigné du centre du parti républicain : ses meilleurs scores sont obtenus chez les démocrates (40%), chez les personnes opposées au Tea Party (42%) et surtout chez ceux qui se disent satisfaits du bilan de Barack Obama (40%), une catégorie bien entendu très minoritaire dans l’électorat républicain actuel… Quant à Ron Paul, il obtient ses meilleurs résultats chez les indépendants (31%) et les modérés (26%), mais aussi chez ceux pour qui le niveau du déficit public, son principal cheval de bataille, est le principal enjeu de l’élection (32%).

Acte 3 : en Caroline du Sud, entre les évangéliques et le Tea Party

Ayant fait le vide sur sa gauche après le retrait de Jon Huntsman le 16 janvier, Mitt Romney devait venir confirmer son statut de favori le 21 janvier en Caroline du Sud. Dans cet État situé en plein cœur du Vieux Sud conservateur, il devait affronter une droite toujours divisée entre Rick Santorum, bénéficiant de sa dynamique engrangée dans l’Iowa, et Newt Gingrich, longtemps élu dans l’État voisin de Géorgie (Rick Perry s’était retiré entre temps, les sondages lui étant très défavorables).

Si les premiers sondages montraient que l’ancien gouverneur était en tête des intentions de vote, la situation s’est rapidement retournée. Très pugnace, l’ancien Speaker Newt Gingrich a profité de deux débats télévisés pour attaquer Mitt Romney sur son passé dans la private-equity et sur ses ressemblances avec Barack Obama. Il n’a pas hésité à faire implicitement référence à des clichés racistes encore présents dans cette partie du pays, notamment en affirmant que le Président avait considérablement accru le niveau des bons alimentaires réservés aux plus pauvres, c’est-à-dire, pour certains conservateurs, des Afro-américains.

Autant d’accusations qui ont fait mouche dans un État très conservateur, et où à la sortie des urnes les deux tiers des électeurs se sont dit à la sortie des urnes favorables au Tea Party ou born again. Autant de catégories largement remportées par Newt Gingrich, qui a même réussi à mettre en péril le principal atout de Mitt Romney, à savoir sa capacité à battre Barack Obama : parmi les 45% d’électeurs qui estimaient qu’il s’agissait du principal sujet sur lequel ils se détermineraient, 51% ont choisi l’ancien Speaker, et 37% seulement l’ex-gouverneur du Massachusetts. L’influence des débats est à relever, 50% de ceux qui estiment qu’ils ont eu de l’importance dans leur choix ayant voté Gingrich contre 23% pour Romney. Enfin, les attaques du vainqueur contre la carrière d’homme d’affaire de Mitt Romney ont porté : si seule une minorité (28%) juge ce passé de manière négative, Newt Gingrich obtient chez ces électeurs 50% des voix, contre… 3% pour Mitt Romney.

 

Comment Mitt Romney a raté la première étape des primaires (et pourquoi il devrait malgré tout être le nominé)

Au soir des primaires en Caroline du Sud, la course semblait relancée : face à un Mitt Romney affaibli, les conservateurs avaient enfin trouvé un héraut en la personne de Newt Gingrich. Dans ce duel au sein duquel Rick Santorum comme Ron Paul ne joueraient sans doute plus qu’un rôle mineur, on pourrait enfin vérifier si la base républicaine était aussi allergique à Mitt Romney que ce que nombre d’analystes avaient répété tout au long de l’année 2011.

Acte 4 : la Floride, et ensuite…

La prochaine étape des primaires se déroulera en Floride, le 31 janvier. Pour la première fois, les prétendants à l’investiture républicaine concourront dans un État très divers politiquement, socialement et ethniquement. Quoi de commun en effet entre les mégapoles de Miami, Tampa ou Orlando, largement peuplées d’Hispaniques, un nord rural et profondément conservateur, un centre qui reste économiquement dynamique de part et d’autre de l’Interstate-4 et les côtes privilégiées par les retraitées ?

Dans ce contexte, Mitt Romney pourra tirer parti de son image de compétence économique dans un contexte où l’État a été touché de plein fouet par la crise économique. Il bénéficiera en outre de son net avantage financier, le coût de la diffusion de publicités télévisées en Floride n’ayant rien à voir avec ceux des États précédents. En outre, sa campagne très bien organisée lui aurait déjà permis d’emmagasiner plusieurs dizaines de milliers de voix d’avance, la Floride autorisant le vote anticipé : selon une étude ARG, parmi les 17% d’électeurs ayant déjà voté, Romney aurait obtenu 51% des voix contre 39% pour Gingrich.

Toutefois, il n’a pu convaincre l’establishment du GOP local de le soutenir, au premier rang desquels l’ancien gouverneur Jeb Bush, ou le populaire sénateur Marc Rubio, qui ont préférés rester neutres. Il risque de plus d’être mis en difficulté par le fait que, pour la première fois, ni les électeurs démocrates, ni les indépendants ne pourront voter. Les candidats ne pourront compter que sur les électeurs inscrits en tant que républicains, et donc plus enclins à désigner un conservateur. Enfin, le positionnement relativement modéré de Newt Gingrich en matière d’immigration pourrait lui apporter les voix d’une partie des électeurs hispaniques, une électorat majeur en Floride.

En tout état de cause, la compétition ne devrait pas s’arrêter à cette étape et pourrait bien durer jusqu’au Super Tuesday du 6 mars, lors duquel voteront 11 États, voire au-delà. Dans cette compétition qui s’annonce longue, Mitt Romney bénéficie d’un avantage incontestable : il est le candidat de la machine du parti Républicain. L’ancien gouverneur de Massachussetts est en effet soutenu par 14 sénateurs (parmi lesquels John McCain), 51 représentants et 6 gouverneurs (sans parler de George Bush Sr.), alors que Newt Gingrich ne peut se targuer que de l’appui de 2 gouverneurs et 9 représentants. Une différence qui s’explique par les efforts déployés par Mitt Romney depuis 2006 pour se faire connaître des leaders républicains et les convaincre de sa capacité à défaire le Président sortant, mais aussi et surtout par la réputation catastrophique que New Gingrich a conservé auprès des élus du GOP après la période pendant laquelle il a présidé la Chambre des Représentants (1995-1998).

De nombreuses études ont montré combien cet aspect de la course à l’investiture est important, voire essentiel. Ces élus disposent en effet d’un réseau important qui leur permet d’apporter au candidat qu’ils soutiennent des conseils souvent précieux sur leur État ou leur circonscription, et surtout une aide en termes d’organisation et de financement. Ces deux aspects sont essentiels dans les campagnes électorales américaines actuelles. Ainsi, Mitt Romney se situe largement en tête de ses adversaires en ce qui concerne l’argent qu’il a récolté, ce qui lui permettra de disposer d’une armée de volontaires et d’inonder les prochains États de publicités. L’épisode de son échec en Caroline du Sud ne devrait ainsi qu’être une péripétie dans une année électorale qui s’annonce passionnante.


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