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Millenium (contre critique)

Par Mg
affiche_millenium

Le générique prévient sans concession. Les acteurs ne seront pas les seuls à parler, l’image aussi. Et ce que disent ces premières images à la limite de l’abstraction c’est rappeler au spectateur qui serait tombé là par hasard que le film qui va suivre est avant tout un film de Fincher. Cette précision, l’auteur la fait depuis Se7en. C’est la signature qu’il opère dés le début pour ne pas faire de son nom une précision conventionnelle mais d’un élément qui donne toute sa nature au film. On retrouve ce que Se7en, en bon premier film (on rappelle que le cinéaste, privé de final cut, a renié Alien 3), condensait de la carrière à suivre. L’enquête thriller menée par un duo qui n’est que conflit de génération, duo dont la relation devient le plus important suspens et qui atteint dans Millenium une apogée dans son traitement. Alors que dans Se7en les deux personnages s’unissaient avant même que la série de meurtre ne commence ici l’enquête débute quarante ans après les meurtres, et la rencontre du duo ne se fait qu’au bout d’une heure et demie. On assiste donc à une sorte de premier film dans le film dans lequel Lisbeth et Mikael atteignent la maturité nécessaire pour pouvoir s’unir. L’une se libère de son violeur-tuteur, l’autre de son amante-patronne. Chacun annihile toute influence extérieure, toute divergence que les apparences imposent, jusqu’à leurs corps clairement opposés dans leurs formes lors de scènes d’amour où Fincher filme la pulsion amoureuse avec une pudeur nouvelle qu’on ne lui connaissait pas, admirable.

On le sent d’ailleurs passionné par son actrice qu’il filmait peu mais avec déjà avec une drôle d’aura dans The Social Network. C’est que, du corps entier au détail du visage Rooney Mara est l’incarnation parfaite d’un personnage incroyablement « Fincher » dans son essence. Espionne qui fait écho à la paranoïa de ce genre de violation d’intimité que l’on retrouve dans Se7en, The Game, Panic Room et The Social Network de façon encore plus directe. Punk, comme Tyler Durden, comme Mark Zuckerberg (on se souvient du « PUNK » qui désignait la personnalité de l’inventeur de Facebook dans le premier trailer sans image du biopic). Enfin Lisbeth suit les traces d’un tueur en série, et à l’évidence penser Se7en, Zodiac et Millenium comme une sorte de trilogie thématique à la Park Chan-Wook ne serait pas si absurde. En enquêteur aussi, Daniel Craig remplit parfaitement son rôle de vieux Brad Pitt en y ajoutant quelque chose de sa touchante sobriété, la même qui a donné un fond psychologique à James Bond et qui s’illustre ici comme une sagesse maladroite d’une humanité convaincante.

Fincher l’imagier prouve décidément qu’il est le seul cinéaste complètement libre à Hollywood. Les scènes de viol et contre-viol sont l’occasion pour lui de consacrer chaque image à dégager la violence de ses instants. On a vraiment peu de comparatifs hollywoodien si explicites, si ce n’est le Mirror d’Alexandre Aja où le jeune cinéaste, beaucoup moins libre que la star Fincher, a tout de même réussi à relâcher tout son art en un plan durant lequel une mâchoire arrachée provoquait tout le reste du film et le tout Hollywood avec, et prouvant que derrière les producteurs américains l’auteur de Haute Tension était là.

Mais Fincher, à l’aide de Trent Reznor avec qui la rencontre est miraculeuse, fait lui de son film entier une œuvre personnelle. Il n’a pas vu le film suédois dit-il. On le croit. La scène de l’infiltration de Daniel Craig dans la maison du tueur est un grandiose écho à lui-même, à Zodiac et à l’angoisse de Jake Gyllenhaal dans le sous-sol d’un suspect. Ces moments là où le mystère n’est plus que pour le personnage, Hitchcock s’en servait pour définir la notion de suspens, lorsque le spectateur en sait plus que celui qu’il observe. C’est là que l’art de la mise en scène se développait chez le maître et De Palma, qu’on considère à juste titre comme son meilleur élève, partait de là pour en extraire le meilleur. Mais Fincher, lui, part de la source, cadre comme un expressionniste et monte comme un compositeur électro’, il amène ces moments non pas comme un élève mais comme un héritier, un Hitchcock nouvelle génération qui, plus que quiconque à Hollywood, comprend son époque et sait la surprendre en ne parlant d’elle.


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