Besoin d’espace

Que peuvent bien nous faire au fond les préoccupations liées à l’organisation spatiale d’une ville ? L’espacement, les distances, les hauteurs et les largeurs, tout cela compte-t-il vraiment ? Nous qui sommes spontanément concrets et réalistes, voilà un cas flagrant d’indifférence idéaliste.

Nous voulons des crèches, des piscines, des bibliothèques et des espaces verts. Mais nous occultons la dimension fondamentale, première, autant psychologique que physique. Nous oublions l’importance de l’espace, son impact, ses règles et ses nécessités.

Il est fréquent de penser l’espace comme un milieu vide et anonyme. C’est le site des choses, le lieu impersonnel des êtres, un simple réceptacle, une étendue indifférente, un logement vide. Mais nous avons tort. Car il n’est pas simple milieu, il est langage.

Il n’y a qu’à nous regarder vivre. Travailler, dormir ou danser, manger et parler. La moindre activité est soumise à des règles spatiales, régie par des contraintes de proximité et de distance. On est proche dans l’intimité, mais éloigné au travail. Chaque situation a une distance de rigueur, chaque sentiment exige la sienne. Chacun connaît par exemple l’effroi lié à une distance violée : pressé dans un bus, choqué par un geste familier…

Des distances règnent donc silencieusement sur nos comportements. Elles pèsent sur eux inconsciemment. Bien plus, elles les révèlent et nous trahissent. Celui qui s’approche révèle son désir ou sa curiosité, celui qui s’éloigne son dédain ou son rejet. Ainsi ne croit-on pas si bien dire quand on parle d’un individu distant…

Attention donc à l’espace qui parle, aux positions qui révèlent les relations. Aux distances qui sont autant de discours sur nos intentions. C’est ce que l’anthropologue Edward T. Hall appelle La dimension cachée – l’une, parmi tant d’autres, des parties crépusculaires de la communication.