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Dan Tepfer explique ses Variations sur les Variations Goldberg

Publié le 01 février 2012 par Assurbanipal

Le jeune pianiste franco américain Dan Tepfer vient de nous offrir ses Variations sur les Variations Goldberg de Jean Sébastien Bach. Une interprétation qui fera date. Il a bien voulu répondre à mes questions sur ce projet musical. Que les dieux et les muses le protègent!

1. Pourquoi les Variations Goldberg? N'y a t-il pas déjà assez de versions de cette oeuvre sur le marché?

Il y en a effectivement beaucoup — c'est une oeuvre qui inspire beaucoup de musiciens (et pas seulement les pianistes). Mais je ne pense pas qu'il y en aura jamais 'assez', car c'est une œuvre qui est infiniment renouvelable. Le but de chaque interprète, face à une œuvre de cette profondeur, c'est de s'y retrouver à un niveau personnel, ce qui veut aussi dire y retrouver sa propre époque — trouver le présent dans le passé. Pour moi, cela passe par l'improvisation. 
2. Quelle interprétation t'a le plus inspiré? Pourquoi? Comment t'en es tu détaché pour créer ta version?
J'ai quelques enregistrements fétiches: les deux versions de Glenn Gould ('55 et '81), et le deuxième enregistrement de Pierre Hantaï, au clavecin, que je trouve tout aussi palpitante que les versions de Gould, tout en étant très différente. Et j'en aime également d'autres, par exemple l'enregistrement d'origine de Wanda Landowska, sombre et mystérieux, ou l'enregistrement ultra précis mais plus académique de Murray Perahia. Le travail de détachement se fait en intériorisant le texte le plus possible; à un certain point, on sent que la musique sort de nous-même. C'est à partir de ce moment là que ça devient personnel.
3. Pourquoi Bach? JS Bach me semble être le compositeur préféré des musiciens de Jazz. Pourquoi?
La réponse facile est que Bach est tout simplement excellent. En terme de qualité, de diversité, de structure, d'inventivité, il est indépassable. C'est le genre de musique qu'on aime d'avantage plus on l'étudie, car elle est infiniment profonde — on n'arrête pas d'y découvrir de nouvelles choses. Comme les grands romans, elle peut être lue à un nombre de niveaux différents. La relation avec le jazz est plus subtile. Je crois que ça à voir avant tout avec la ligne: à un niveau superficiel, Bach suit un procédé qui ressemble à celui du musicien de jazz. Il prend une base harmonique et trouve une mélodie à mettre par dessus, souvent en croches. Les musiciens de jazz sont amoureux de la ligne, et Bach en a composé des milliers, toutes magnifiques. C'est aussi une musique qui groove, issue de la danse, tout comme le jazz.
4. Comment une oeuvre composée au XVIII° siècle peut-elle inspirer la créativité d'un musicien de moins de 30 ans en 2011?
C'est bien ce qu'on se demande. Cela montre l'universalité de cette musique. Bach écrivait une musique d'une telle pureté qu'elle est difficilement démodable. Bach m'a toujours parlé, depuis mes premiers jours au piano. Et j'ai toujours eu envie de lui répondre avec mes propres paroles.
5. Bach n'est il pas d'une fausse simplicité et finalement dangereux à jouer?
Bach, c'est probablement ce qu'il y a de plus difficile à jouer dans la musique classique. Chaque note est essentielle; on ne peut pas se cacher derrière un brouillard de pédale. Oui, sa grande clarté extérieure peut lui donner un certain air de simplicité, mais ce n'est pas du tout une musique simple. C'est une musique extrêmement détaillée, avec plein de circularités internes, ce qui la rend difficile à mémoriser. Et en plus, le rythme y est essentiel; on ne peut pas jouer Bach bien sans avoir un sens profond de la pulsation, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Mais c'est justement cette difficulté qui m'attire, chez Bach. On ne peut pas tricher; chaque concert est un vrai défi.
6. Beaucoup de Jazzmen se sont attaqués à Bach avec plus ou moins de bonheur. La version des Variations Goldberg par Keith Jarrett a été décriée. Les interprétations de Jacques Loussier jugées trop commerciales. John Lewis, lui, a suscité plus de respect et joué les Variations Goldberg en duo avec sa femme, claveciniste.
Il y a aussi la version complètement loufoque des Variations Goldberg par Uri Caine. C'est de la musique qui inspire, avec des résultats variés, effectivement.
7. Comment as tu créé tes improvisations? Sont elles improvisées sur l'instant ou as tu écrit quelque chose auparavant?
Elles sont improvisées sur l'instant, et sont différentes à chaque concert. Mon procédé est proche de l'art Zen, où, par exemple, un peintre étudie pendant longtemps une fleur sans faire le moindre dessin, pour pouvoir ensuite la rendre dans un instant, avec un seul coup de pinceau. J'étudie chaque variation pour en cerner l'essence (ou, du moins, celle que j'y voie), et c'est cette essence que j'essaie alors de rendre dans mon propre langage, dans l'instant. C'est ma façon d'exprimer ce que chaque variation veut dire pour moi. Note: c'est à la peinture zen que le pianiste Bill Evans fait référence dans les notes de l'album " Kind of Blue " de Miles Davis (1959). Sauf que cela convient mieux à l'album de Dan Tepfer puisque lui fait des variations, justement.
8. Les amateurs de baroque trouveront ton interprétation romantique donc à proscrire. Que leur répondre?
Comme je l'ai dit, Bach a écrit de la musique universelle. De plus, c'était un grand improvisateur qui a eu vingt enfants. Je ne pense pas qu'il était fermé d'esprit. Ce qui m'intéresse beaucoup plus que l'intégrité "historique" d'une interprétation, c'est sa force, sa vitalité. Il y a des interprétations baroques que j'aime car elles sont vivantes, et d'autres que je n'aime pas car elles sont trop académiques et ne m'engagent pas. La vérité est là, et non dans l'application de règles rigides.
9. Cet album te permet de concilier ta culture classique avec ta culture Jazz. D'autres compositeurs classiques pourraient ils t'inspirer aussi?
Oui, bien sûr. Je pense notamment à György Ligeti. Mais je ne pense pas sortir un autre album contenant de la musique classique avant longtemps. Mes racines, et ma vraie identité, se situent dans l'improvisation et le jazz.
10. En Europe, le pianiste italien Enrico Pieranunzi mêle avec bonheur cette double culture classique/Jazz depuis des décennies. S'il a abandonné son enseignement du piano classique au conservatoire de Rome, il a enregistré récemment ses versions de Scarlatti, Bach, Haendel. L'as tu écouté? Jouerais tu avec lui?
Oui, bien sûr, j'ai entendu Enrico. C'est un superbe pianiste, et effectivement, je pense qu'on s'amuserait pas mal si on faisait un jour un bœuf en duo...


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