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SALLE 5 - VITRINE 4 ² : LES PEINTURES DU MASTABA DE METCHETCHI - 19. LES PORTEURS D'OFFRANDES (Deuxième partie : DE LA MONOTONIE DE L'ART ÉGYPTIEN ?)

Publié le 04 février 2012 par Rl1948

 

   Partir à la découverte des hommes du passé, c'est d'abord vouloir s'abstraire, autant qu'il est humainement possible, de ce que notre propre civilisation a imprimé en nous.

Dimitri MEEKS

  Approche de la civilisation égyptienne

dans Egypte et Provence -

Civilisation, survivances et "Cabinetz de curiositez"

Avignon, Fondation du Museum Calvet, 1985

p. 15

Porteurs-offrandes--E-25508----H.-Lewandowski.jpg

   C'est après avoir examiné ce défilé masculin sur le fragment E 25508 exposé dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre que nous nous sommes quittés mardi dernier, souvenez-vous amis lecteurs, avec apparemment dans la bouche de l'un d'entre vous le goût amer d'un réel malaise esthétique. 

   Très heureux que vous vous soyez à nouveau joint à nous, Monsieur, vous qui avez soulevé ce problème voici quatre jours : cela me permettra de vous soumettre à tous mon opinion en la matière de façon qu'ensuite nous puissions éventuellement débattre.

   Abondamment représentés à l'intérieur des chapelles funéraires des mastabas d'Ancien Empire ou, plus précisément, sur leur paroi nord ; évoluant vers les stèles fausses-portes gravées et peintes sur le mur ouest, celui censé séparer la sépulture de la nécropole elle-même, les porteurs d'offrandes égyptiens - les serviteurs du ka, comme les nomment les textes hiéroglyphiques accompagnant leur représentation dans différents tombeaux -,  participèrent incontestablement du rite cardinal maintes fois réitéré du repas du défunt auquel bien d'autres scènes font d'ailleurs également allusion ; - j'aurai l'occasion d'y revenir une autre fois ...

     En ne vous référant qu'à la position du bras droit des hommes du registre supérieur, impeccablement dessiné pour tous à l'horizontale, ainsi qu'à ce qu'ils tiennent chacun de la même manière, un ensemble de trois canards, il vous a donc paru que la scène exsudait un relent de monotonie.

  

   Mon intervention de ce samedi n'a d'autre raison que celle de prouver que votre ressenti me semble n'être qu'un a priori non-fondé, de vous assurer qu'il n'est que le fruit d'un trop rapide regard porté sur ce type de tableau.  Mais aussi, peut-être, si vous me le permettez, qu'il ressortit à une méconnaissance de certaines codifications en vigueur.

   Vous devez en effet savoir que dans la langue égyptienne, partant, dans les représentations figurées, la marque de l'abondance s'exprime par la présence de trois éléments répétés : pour ce qui nous concerne, nous parlerions de "pluriel". Ici, c'est un trio de volatiles que nous voyons entre les mains des porteurs : l'un tenu par le cou, l'autre par les ailes et un troisième non maintenu - (ce qui se révèle déjà bien bizarre à nos esprits cartésiens !)

   En fait, vous ne devez nullement considérer cette représentation telle que vos yeux la perçoivent, à savoir que trois bêtes furent capturées et bien maîtrisées : ce nombre est purement fictif ! Il ne renseigne sur aucune réalité. En revanche, si votre esprit envisage simplement cet ensemble comme une preuve tangible de la quantité importante des offrandes faites à Metchetchi, la notion d'uniformité s'estompe et la répétition voulue d'une même figuration prend alors tout son sens !  

   Transposée dans un texte en français, je gage que vous la considéreriez, en vous extasiant, comme une remarquable figure de style !

   Aux fins de vous assurer que nulle monotonie il y eut, j'ajouterai que, dans d'autres tombeaux, il peut arriver que le serviteur ne porte aucune offrande en sa main droite de manière à mieux agripper des deux mains semblable volatile quelque peu insoumis, volontiers rebelle, franchement récalcitrant.

   Il est en effet illusoire de croire - comme ce fut parfois aussi le cas dans le chef de certains critiques d'art - que, bien que récurrente de mastaba à mastaba, la procession se décline exactement dans la même formulation iconographique chez tous ceux qui désirèrent sa présence dans leur tombe.

     Dès lors, vous devez être conscient, Monsieur, que des gestes bien différents d'un porteur d'offrandes à l'autre sont à remarquer qui briseront complètement votre sentiment de régularité, de symétrie, de "déjà vu" qui, selon vous, frise la redondance.

   Et donc, suivez-moi voulez-vous, dans une autre sépulture que celle de Metchetchi. Rendons-nous chez Kagemni, ministre de la Justice et vizir de Téti, premier souverain de la VIème dynastie, que d'ailleurs vous avez peut-être déjà eu l'heur de rencontrer lors d'un séjour dans la nécropole memphite.

   Dans un premier temps, nous allons y détailler les victuailles offertes au défunt : que de produits différents, représentant évidemment l'éclectisme d'une nourriture qu'il voulait riche et variée pour son éternité post mortem, peuvent être là étalés !

Porteurs-d-offrandes---Kagemni--OsirisNet-.jpg

   Pains et bière, bien sûr, les deux éléments essentiels, ceux que l'on rencontre dès les premiers termes gravés ou peints de la célèbre formule d'offrande ; nombreux plateaux débordant de vivres mais aussi différents types de volailles - canards, oies, grues - et d'animaux, en laisse, vaches, taureaux ; ou sur les épaules, veaux, moutons ; domestiqués ou sauvages du désert, antilopes, gazelles, oryx, ibex ...

     Sans oublier d'évoquer, dans un second temps, celles des offrandes qui ne relèvent pas du domaine alimentaire : je pense, par exemple, au mobilier funéraire, coffres, pièces de tissus, ou vases, comme ci-dessous ...

Porteurs-d-offrandes-chez-Kagemni--OsirisNet-.jpg

     Bref, si en vue de vous convaincre définitivement, Monsieur, je devais tutoyer l'exhaustivité, il me faudrait bien plus d'un rendez-vous comme celui de ce matin pour énumérer tout ce que les artistes se sont plu à convoquer dans ces processions de porteurs d'offrandes.

   En 1964, l'égyptologue français Jacques Vandier, dans le quatrième tome de son imposant et inégalé - bien que parfois devenu quelque peu obsolète au regard du progrès des fouilles effectuées - Manuel d'archéologie égyptienne, ne relève pas moins de 123 attitudes différentes !

   En voici quelques-unes dessinées d'après une scène de la tombe de Ty.

Porteurs-d-offrandes---Ty.gif

     Nous côtoierons certaines d'entre elles, - pas toutes évidemment -, parmi les fragments du mastaba de Metchetchi qu'ensemble nous découvrirons encore au fil de nos prochains entretiens. 

   Pour l'heure, vous ai-je convaincu, Monsieur ? Je ne sais. Mais si d'aventure tel n'était pas le cas ou, plus simplement, s'il vous agréait de continuer à parcourir avec nous ce chemin, je vous convie à nous retrouver ici même, mardi 7 février pour rencontrer de nouveaux porteurs d'offrandes ...

Car vous pensez bien que je suis loin d'avoir épuisé ce très intéressant sujet ...  

   

(Vandier : 1964, 113-26)

   (A Thierry Benderitter, d'OsirisNet, je réitère mes remerciements les plus appuyés pour les trois précédents clichés importés de son dossier consacré au mastaba de Kagemni.)


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