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UNIVERSITAIRES…Atouts et /ou Ecueils pour le Congo ?

Publié le 06 février 2012 par Rm Communication

« Nous avons rejeté l’apolitisme trop facile et dès à présent, nous optons pour un syndicalisme étudiant tourné vers la société, vivant de sa vie, faisant siens tous les problèmes, y compris politiques. »

Des universitaires -notamment des professeurs de droit -ayant opté pour le mandarinat- ont été depuis janvier 2011 de fins manoeuvriers -activement et/ou passivement – pour accomplir les basses besognes qui ont vicié les bases juridiques de l’édifice institutionnel. De tentatives avortées pour prolonger le mandat présidentiel issu de l’élection de 2006 à la révision constitutionnelle imposant un seul tour à l’élection présidentielle et remettant en cause le principe de l’indépendance du judiciaire jusqu’à la validation des résultats des élection présidentielle et législative par la Cour suprême de justice, en dépit de fraudes massives avérées,le clan présidentiel a pu compter sur le funeste savoir-faire de nombreux juristes. Leur raisonnement spécieux a servi de caution technocratique au hold -up électoral le plus sordide de ces dix dernières années en Afrique.

Parmi les nombreuses questions que soulèvent les turpitudes de ce processus électoral, celle relative au rôle des universitaires s’impose certainement avec le plus d’ acuité pour peu que les universitaires congolais soient attentifs aux aspirations de la société congolaise comme le préconisait le mouvement étudiant qui se voulait la conscience intellectuelle de la nation. « Nous optons pour un syndicalisme étudiant tourné vers la société faisant siens ses problèmes,y compris politiques »…ainsi s’exprimait, le 05 février 1965,Hubert Makanda, président de l’Association générale des étudiants de Lovanium à l’ouverture du colloque organisé par l’Agel, un an après la grève de mars 1964 quand les étudiants congolais ont contesté l’autorité académique et revendiqué le droit de cogérer l’université. Dès sa constitution en mai 1961(Union générale des étudiants congolais -Ugec) et en juillet 1961(l’Association générale des étudiants de Lovanium-Agel),le mouvement étudiant se veut un creuset d’élaboration -critique des intellectualités pour affranchir l’université de la servitude d’ une conception (néo)coloniale considérant l’enseignement (universitaire) comme un bienfait accordé à quelques indigènes pour en faire des gestionnaires zélés de l’ordre colonial qu’il faut pérenniser. Dès ses débuts,le mouvement étudiant fait de l’engagement intellectuel une dimension essentielle de la formation universitaire et inscrit l’analyse critique de l’université au cœur de ses actions.

l’ université au Congo …dans les rets de contradictions(néo)coloniales

Dix ans après, les contradictions qui ont émaillé l’accès des Congolais à l’université sont pesantes tant à Lovanium qu’à l’université officielle à Elisabethville(Lubumbashi) : les pressions de l’Onu devenant insistantes, le gouvernement belge accepte, contre son gré, que l’université catholique de Louvain fonde en 1954, Lovanium afin que la formation des élites ne lui échappe pas. Rappelons qu’en 1952,les gouvernements belge,britannique et français se sont farouchement opposés au projet du Conseil de tutelle de l’Onu créant une université commune aux territoires africains sous tutelle.

Les rivalités entre l’université catholique de Louvain et les Pères jésuites ;ainsi qu’entre les anti- cléricaux et les Catholiques ne doivent pas occulter les véritables desseins coloniaux :chacune de grandes universités belges était un lieu de production des sciences coloniales servant de corpus doctrinal au projet colonial. Au début, l’enseignement du droit ne fut pas autorisé et il fallut attendre les années 1966-1968 pour que soient installés des départements d’histoire et de philosophie à Lovanium.

Par ailleurs,bien que le Congo accède à l’indépendance , un conseil académique supérieur institué en 1960 et siégeant à Louvain exerçait une pesante tutelle sur le conseil d’administration de Lovanium :ses avis étaient péremptoires sur les orientations fondamentales de Lovanium. La situation n’était guère différente à l’université officielle à Lubumbashi qui se laissa emporter par la déferlante néo coloniale de la sécession du Katanga. Le gouvernement sécessionniste écarta des organes de direction de l’université,les membres issus de l’université libre de Bruxelles pour ne garder que ceux de Liège et Gand ;ces deux universités ayant pris fait et cause pour la sécession ,contrairement à l’Ulb .

Ces contradictions pervertirent la démarche des promoteurs : dès ses débuts, l’enseignement universitaire fut un enjeu politique considérable entre groupes d’intérêts rivaux voulant contrôler à leur profit les élites congolaises. L’université officielle crée en 1956 les Laïcs pour contrer les Catholiques s’implanta au Katanga où une forte population européenne avait fait souche. Cette riche province était le fief du capitalisme colonial triomphant en 1956 à l’occasion du cinquantenaire de grandes entreprises coloniales comme l’Union Minière du Haut Katanga,la Forminière…Les Catholiques,quant à eux,soulignaient la dimension culturelle de l’université. Ils déplacent Lovanium de Kisantu à Léopoldville en 1954 (Kinshasa) pour- soulignent -ils- ne pas répéter l’erreur commise en Belgique en abandonnant la capitale à une université laïque. Il ne fut nullement question de structurer l’université en un pôle d’élaboration des savoirs pour former des intellectuels qui soient acteurs de développement et de l’émancipation de leur pays du joug colonial.

mouvement étudiant…cénacle d’intellectuels pour repenser l’université comme pôle de développement

C’est dans ce contexte d’une pesante tutelle néocoloniale sur l’université et sur les rouages de l’économie congolaise qu’éclate du 08 au 15 mars 1964 la grève des étudiants à Lovanium. Quatre ans avant le « mai 68 français », les étudiants congolais contestent l’autorité académique et revendiquent le droit de cogérer l’université. Présidé par Hubert Makanda qui exerça deux mandats – de déc.1963 à nov.1964 et de nov.1964 à juil. 1965- le comité de l’Agel était composé d’Elliud, Patrice Munabe,Pierre N’Dolo et José- Patrick Nimy. Loin d’être une réaction irréfléchie due à la fougue juvénile,la grève résulte au contraire d’un long cheminement intellectuel enrichi de questionnements et de multiples séminaires de réflexions comme le 1°congrès de l’Ugec et le séminaire de l’Agel de janvier 1962 s’interrogeant sur le rôle et les fonctions dévolues à l’université.(Re)définir le rôle et les orientations académiques de l’université pour en faire non pas une fabrique de brillants diplômés,dociles aux intérêts économiques et géopolitiques des puissances étrangères mais un lieu de formation d’une intelligentsia attentive à la promotion politique et sociale des masses populaires. Tel est un des enjeux -intellectuel et universitaire- de la grève de 1964 ;ainsi que des colloques et séminaires de 1965,de 1968 organisés par l’Agel et aussi de la Charte de Goma en février 1969.En dépit du dévouement et des compétences professionnelles des professeurs et du personnel académique et administratif,l’université était encore marquée par les pesanteurs socio -culturelles de ses origines coloniales ,dix ans après sa création.

En Belgique,la réflexion sur cette question est menée par des professeurs ,notamment Jean Ladrière ;Jean Debelle et Jacques Drèze qui s’expriment dans la Revue Nouvelle. En France,la revue Esprit publie en mai -juin 1964 un volumineux dossier intitulé : « Faire l’Université ».Paul Ricoeur,Michel Crozier et Pierre Bourdieu figurent parmi les contributeurs. L’ouvrage de Georges Gusdorf publié en 1964 chez Payot reste une référence par excellence.

Au Congo,en revanche, ce sont principalement les étudiants qui réfléchissent collectivement et débattent publiquement du rôle de l’université dans le devenir de la nation. Il fallut attendre 1978(15 août)pour que s’exprime publiquement une parole collective des professeurs congolais à propos de l’université. Quatre enseignants- une infime minorité- du campus de Lubumbashi ( Kiyongo,Mufuta,Mudimbe et Munzadi) adressèrent une lettre ouverte au Commissaire d’état(ministre ) de l’éducation et au Recteur de l’université nationale pour notamment les inviter à fermer l’université parce que celle-ci ne remplit plus correctement et pleinement ses missions d’enseignement,de recherche et de publication. Articulée et fort argumentée, leur réflexion apparaît comme décalée -dans le temps et par rapport aux destinataires- et pêche par de curieux lapsus. La revue « Congo -Afrique » qu’édite le Cepas (Centre d’études pour l’action sociale) dirigé par les pères jésuites a consacré entre 1966-1996,27 dossiers sur les thèmes du rôle des intellectuels et de la place de l’université dans la société. En 1982 ;la Faculté de Théologie de Limete a organisé une Semaine philosophique sur «Les Intellectuels Africains et l’Eglise »

Onze ans après l’indépendance, le Président Mobutu qui avait déjà caporalisé les universitaires dans son sinistre Collège des commissaires généraux en septembre 1960, embrigadait les étudiants dans l’armée et rabaissait l’université au rang d’un simple organe du parti unique devant justifier et consolider le régime établi. Dès 1968, utilisant les ressources militaires que lui octroyaient les coopérations belge, américaine, française et israélienne ainsi que les ressources culturelles des universitaires cooptés au gouvernement et dans les instances du Parti unique, Mobutu brisa avec férocité les intellectualités que charriait le mouvement étudiant. C’est ainsi qu’une marche pacifique des étudiants dans les rues de Kinshasa fut noyée dans le sang, le 04 juin 1969.Les dépouilles mortelles n’ont jamais été rendues aux familles. Les leaders des associations estudiantines furent condamnés à de lourdes peines allant de 06 mois à 20 ans de prison : François Kandolo,Shemati,Milongo,Alice Kuseke,Charlotte Mangala…. Au procès de 1971, certaines condamnations atteignent la perpétuité :Jean -Moréno Kinkela,Jean-Baptiste Sondji,Tshibalabala,José Iyanda ,Pondja,Tshinkuela….

oser le pari de l’intelligence critique….

Force est de constater que 56 ans après la fondation d’une université au Congo, le pays n’arrive pas à combler le déficit d’intelligence du politique ni la carence d’intelligence politique de certains universitaires dévoyés dans les sphères du pouvoir servant de caution intellectuelle à des régimes inféodés aux intérêts étrangers. Affligeant contraste avec la vigueur de pensée et l’acuité d’analyse des intellectualités de Paul Panda Farnana en 1920 en Belgique,de Conscience Africaine et de l’Abako- germées pourtant au coeur de contradictions coloniales- qui ont fertilisé le terreau qui a nourri l’invention de notre modernité politique.

Stupéfait, le peuple congolais s’interroge sur cet asservissement des intelligences alors que pendant des décennies, les engagements intellectuels des étudiants ont suscité un immense espoir dans la société congolaise qui s’est persuadée qu’elle pouvait compter sur des élites universitaires dont la conscience politique a été aiguisée par un militantisme clairvoyant.

Il est vrai que depuis le coup d’état de Mobutu en septembre 1960,les Usa ,la Belgique et plus tard la France, grâce à ses interventions militaires en 1977-1978 ;ainsi que certains états régionaux à partir de 1996-1998,ont confisqué le champ politique congolais pour régenter la constitution de l’échiquier politique. Il n’en reste pas moins vrai que depuis 45 ans, les pouvoirs politiques ont développé des dynamiques internes. Celles-ci amplifient et accentuent les mainmises étrangères sur l’économie, la diplomatie et les questions militaires.

Les qualifications scientifiques des universitaires constituent certains de ressorts de ces dynamiques qu’amplifie une désastreuse politique sociale, génératrice des mécanismes de pauvreté qui a contraint l’université et ses enseignants ainsi que les chercheurs à renoncer à toute démarche intellectuelle critique pour quémander des prébendes afin d’échapper à la misère ambiante. Il est réconfortant d’observer que cette politique délibérée d’asservir les intelligences et de réprimer politiquement les universitaires refusant d’entrer dans les basses-cours des mandarins pour encenser le Prince régnant n’a nullement anéanti le sens de l’engagement intellectuel de nombreux universitaires.

Le contexte historique actuel- marqué par l’irrésistible attrait qu’exerce sur les Africains le modèle universitaire américain alors même qu’aux Etats-Unis ,selon le professeur Russel Jacoby il n’y a plus d’intellectuels – nous oblige à inscrire dans les débats post- électoraux l’impératif d’une révolution culturelle de nos politiques d’enseignement :il devient urgent d’esquisser les contours et d’affiner les éléments constitutifs d’une théorie générale critique des intellectualités congolaises. Le moment paraît propice pour s’interroger sur le rôle que nous (ne)voulons (pas) assigner à l’université tant pour rénover les fondamentaux de nos politiques scolaires et académiques que pour aiguiser la conscience critique des citoyens afin qu’ils s’approprient à leur profit l’économique bradé actuellement avec le concours d’une fraction des universitaires.

C’est l’occasion de conjuguer intelligemment l’inventivité sociale des masses, la vitalité culturelle de nos artistes et écrivains avec la rigueur scientifique, la pertinence des analyses des universitaires ayant résolument opté pour une approche intellectuelle de leur rôle afin d’ériger l’université en socle d’un espace intellectuel au cœur de la société congolaise. C’est alors que nous nous donnerons les moyens pour s’employer à promouvoir l’éclosion et l’épanouissement des intelligences dont le pays a besoin pour réinventer le politique, libéré de la logique perverse du parrainage afin de s’assumer comme le garant des intérêts vitaux de l’état et de la nation.

Anicet MOBE

Chercheur en Sciences Sociales

Membre du Collectif des intellectuels congolais « DEFIS »

Co -auteur de – Congo Meuse, vol. 5, Archives et Musée de la Littérature de Belgique, l’Harmattan- Paris 2002, pp.637-683 : « Intellectuels congolais… à la dérive ? » Congo Meuse, vol.6, Archives et Musée de la Littérature de Belgique, l’Harmattan- Paris,2008, pp.115-144 : « Les Intellectualités estudiantines congolaises revisitées »



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