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[masse critique] Darling, roman de Jean Teulé

Publié le 16 janvier 2008 par Tilly

 Ce billet est rédigé dans le cadre du programme Masse Critique de Babelio.Massecritiquecom.
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Plus on est de fous plus on lit

Merci à eux !

Darling de Jean Teulé est un petit roman ( 242 p., Pocket). D’habitude les petits romans je les lis vite. Mais là je me suis dit qu’il fallait que je m’applique, alors j’ai un peu traîné. J’ai commencé mercredi soir de la semaine dernière, je me suis arrêtée au premier tiers alors que normalement j’aurais enchaîné et bouclé ma lecture dans la soirée. Le jeudi j’ai regardé Envoyé Spécial sur France 2 (ça a son importance pour la suite). J’ai repris vendredi dans le TGV pour Nantes, et le TER pour Pontchateau, un second tiers. Et dimanche matin pour finir.

Si j’avais lu Darling d’une traite, je n’aurais sans doute pas relevé les petites choses qui m’ont gênées dans le style (j’y reviendrai) et je serais restée sur une fort bonne impression de grande originalité et de force de ce petit sujet.

Lorsque le film Darling de Christine Carrière – que je n’ai pas vu – est sorti, j’avais entraperçu une interview télé de Jean Teulé qui expliquait que Catherine-Tartine-Darling s’était un jour présentée à lui en chair et en os à la sortie d'un tournage de l’émission littéraire de Bernard Rapp. Catherine est une cousine éloignée de Jean, et quand elle lui raconte les premiers épisodes d’une incroyable histoire familiale qu’il ignorait jusque là, Jean Teulé n’en croit pas ses oreilles. Pas d’hésitation, Darling est un formidable personnage de roman, de roman noir, misérabiliste, allant jusqu'au gore.

On est en 1970 en basse Normandie, mais on se croirait dans le décor d’un roman d’Erskine Caldwell. La ferme isolée perchée en haut d’une côte sur une route nationale même pas bordée d’arbres, juste les pylônes et poteaux électriques, les champs à perte de vue, la boue, la porcherie, les vaches. L’idée formidable au centre du roman c’est la CiBi (vous vous souvenez c’était avant les chats sur internet). Est-ce une invention du romancier, ou bien la vraie bouée de sauvetage mais aussi de perdition de la malheureuse Darling ? Peu importe, car l’utilisation qu’elle en fait, comment elle le fait, et ce qui s’en suit sont au cœur du roman et que c'est formidablement raconté.

Quelques descriptions d’ambiance ou de personnages m’ont paru inutilement trop travaillées. Par deux fois c’est « le rire de fourmi » de la mère, plus souvent c’est le « rire d’allumette » du père au point qu’aujourd’hui encore, il parait que la vraie Darling repense à lui chaque fois que l’on craque une allumette près d’elle ! Les métaphores hardies, ou bien on marche et on adore, ou ça coince.

Pour ce qui est de la description des scènes de tortures variées que subit Darling à tous les âges, et à toutes les pages, l’écœurement n’est pas loin, mais heureusement l'ahurissement du lecteur devant tant de brutalités et de bêtise touche à l'hypnose et à la fascination. Le sommet est atteint avec la narration du jour des noces de l’héroïne, depuis la campagne de dénigrement organisée par les parents de la mariée auprès des invités qui ne tardent pas à déguerpir, jusqu'à la dissolution des pierres de la bague de mariage sous l’eau du robinet des toilettes (c'était du sucre coloré), en passant par les coussins péteurs et verres baveurs du banquet dans la salle polyvalente, rien ne nous est ne lui est épargné. Ce jour là il y a peu de sang versé, juste du vin sur la robe blanche, mais elle ne perd rien pour attendre, la pauvre Darling.

Je vous l’ai dit au début, le roman est basé sur des faits et comportements véridiques, des personnages de chair et de sang. Y croire ou pas ce n’est pas le problème, Jean Teulé y a cru et la compassion pour son héroïne qui soustend tout le roman est palpable, et se transforme petit a petit en admiration dicible. Moi aussi en refermant le petit livre, j’aime et j’admire Darling. Mais j’ai regretté les coupures (texte en italiques) qui interrompent la narration par des dialogues entre l’auteur et la vraie Darling qui lui raconte sa vie. Est-ce que c’est pour faire plus vrai ? Jean Teulé avait-il peur que l’on y croit pas ? Est-ce qu’il faut croire l’histoire vraie pour supporter le récit littéraire ? Pour moi, c’est non. Je n’aurais pas su que Darling existait vraiment, je crois que j’aurais autant apprécié sinon mieux le ton orignial de ce portrait d'une enfant martyre, devenue une femme battue puis une mère déchue de ses droits.

Jeudi à Envoyé Spécial, je regardais le reportage sur les jeunes sans abri. Ils ont 20 ans mais peut-on dire qu'ils sont jeunes ? Cela fait déjà plusieurs années qu'il sont à la rue abandonnés par leurs parents ou ceux qui leur en tenaient lieu. Le plus souvent ils n'ont eu que la fugue comme moyen de ne pas crever, et ils se sont enfoncés très vite dans la marginalité. Il suffit de savoir que cela existe pour croire en la vie de Darling, ses efforts éperdus, répétés mais toujours anéantis pour être un petit peu comme les autres, normale. Il aura fallu quarante ans à Darling pour faire entendre sa voix par la plume de Jean Teulé, sa voix que j'imagine gouailleuse, un peu cassée et tendre.



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