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La Déliaison 2/4 (vers 1800)

Par Montaigne0860

2 (vers 1800)

Lui 
(Seul) Et puis, il y a deux siècles, enfin j’ai pu dire ‘je’ parce que tu es apparue,
Nous avons rêvé de fleur bleue et d’étoile comme tes yeux, je me souviens encore de ce moment où nous avons
(Il s’interrompt)
Mais je parle d’elle alors qu’elle n’est pas encore là (Il la cherche),
Que je ne l’ai pas encore rencontrée,
Je rêve, je rêve,
Elle 
(Elle entre, loin de lui)
Je rêve, il est déjà sur la terre,
En un lieu que j’ignore,
Dans une peau que je sens sous mes doigts,
Que j’aspire à travers le parfum des lilas, de l’entêtante présence des troènes,
Dans l’adolescence du tout petit juillet,
Il traîne sa solitude ombrageuse, pas malhabiles, mal comptés,
Il n’a d’yeux que pour moi
Et ne m’a jamais vu,
Lui 
Je me demande si le meilleur moment d’aimer n’est pas juste avant,
Elle : Avant le coup de foudre,
Quand sur l’air saturé des histoires du jour,
Mille cordes tendues entre ciel et terre claquent ensemble,
Inaugurant l’aventure d’amour qui guettait depuis l’aube,
Lui 
Je n’attendais que cela,
Mes mains mineures n’étaient que désir de toi,
Elle 
Comme l’ivraie montante et le blé encore vert assoiffé de soleil, toi,
Lui 
Après, quand je t’aurai vue, je boirai le mérite de tes lèvres
Et je saurai que c’est fini,
Elle 
Puisque ça commence,
Puisqu’il n’y aura plus d’avant,
Lui 
J’étais seul, je suis seul, voilà qui est nouveau,
Bientôt nous marcherons par deux dans la rosée que nous déferons de nos pas,
Elle 
Viens, approche-toi, sur le modèle des toiles de tulle, là-bas,
Dont la brise lève les fibres,
Lui 
Vois les corps sans visage qui sont tous les sourires,
L’esquisse de ta bouche et la marque de ton corps,
Lorsque tu vas t’éloigner,
Elle 
Mais je suis là,
Lui 
Il y eut un printemps, te voilà,
Je le sais, tout est dit,
Elle 
Non, tout est annoncé, toi vers moi,
Lui 
Jure-moi que c’est toi (Il s’approche, elle ne bouge pas)
Elle 
Attends encore,
Donne-moi le temps, dis-moi la bonne distance,
Lui 
Le tact, n’est-ce pas, le tact, le respect annonce la seconde où je te toucherai,
Où j’imagine que tu me toucheras ,
Elle 
Vois comme c’est beau de tarder sur le « pas encore »
De nos peaux encore un peu seules
(Ils se prennent la main)
Lui 
J’entends tes ongles sur ma paume,
La peur fuit sous les aigus majeurs de ta voix encore un peu encordée par l’enfance,
Toi, enfin,
Elle 
Toi, toujours, voilà, c’est joué,
Lui 
Non, les jeux ne sont pas faits,
Ils ne le seront jamais,
Cartes distribuées, c’est vrai,
Mais l’instant où l’on entame la partie n’est plus d’aucune pendule,
Elle 
Ta main, ta main, l’autre main, vite, ose dire je t’aime,
Sachant que c’est la première fois,
Lui 
Non, avant, promets-moi, jure-moi
Elle 
Que veux-tu que je te jure,
Lui 
Jure-moi que nos « je t’aime » seront toujours une première fois,
Qu’à chaque fois que j’aurai ta voix demandant si tu m’adores
La tranquille assurance de ma réponse mimera contre le temps les épousailles présentes,
Dis-moi que tu seras sûre de moi,
Elle 
Oh, je le voudrais, je le veux,
Mais, ça y est, j’ai le poids de tes phalanges contre mon cœur,
(Elle lui serre la main contre elle, se dresse pour atteindre son cou de l’autre main)
Lui 
Ta peau est plus douce que je ne l’avais imaginé,
Et tes mains me referment à l’endroit imprévu, là,
Au juste lieu de ma nuque qui cède,
Elle 
Je veux aussi tes yeux,
(Sa main glisse de la nuque vers les yeux)
Tes pupilles, verte présence musicale,
Où le bleu et le gris se disputent constamment la lumière,
(Elle passe les doigts sur ses deux cils, presque à distance, tandis qu’il la prend à la taille, comme pour danser)
Jamais deux yeux ne se séparent,
Regard mobile sous les arcades des paupières,
Pauvreté des formes, richesse infinie des nuances,
Ne me déplais jamais,
Lui 
Pourquoi veux-tu que je me fasse peur,
Te déplaire serait m’exposer à la quantité fluide de la rivière,
À l’anonyme de l’enfance à cru, pauvre de mots,
Où nous avons pleuré,
Elle 
Alors donne tes ultimes larmes puisqu’il n’est plus de fin désormais à notre duo défait d’enfance,
Lui 
Non, non, la nostalgie est morte,
Adolescente femme, regarde l’étrangeté,
À peine découvrons-nous notre existence que nous nous chargeons du cœur de l’autre,
Du rythme de ton sang, de la langueur de tes bras
(Il lui caresse de haut en bas, les épaules jusqu’au poignet)
Elle 
Oh, mon corsage effleuré est une toile ferme sur laquelle tu te dessines à jamais.
Lui 
(Il se sépare) Revenons à l’essentiel, ne nous perdons pas, nous avons toute la vie,
Elle 
Ne t’en va pas,
Lui 
(Souriant) Mais je n’ai jamais autant demeuré, mon amour,
Simplement, brûler trop près, c’est risquer de te perdre,
Elle 
C’est cela être adulte, n’est-ce pas,
Lui 
Oui, c’est quand je suis à distance que je peux vraiment dire que je t’aime,
Elle 
Mais, nous serons en fusion, quand même,
Lui 
C’est vrai, parfois, parfois seulement,
Le reste du temps, c’est-à-dire presque toujours,
Nos vacations seront, amour,
Entre table en désordre et lit défait,
Elle 
Entre l’oubli de toi et l’enfant qui joue à nos pieds,
Lui 
Derrière les tentures que nous aurons choisies,
Au-delà des baies vitrées d’où la lumière tombera,
J’aurai, à deux pas, l’immense présence de toi,
Elle 
L’immense présence de toi,
Lui 
Tu sais,
Elle 
Non,
Lui 
Entre temps nous danserons,
Nos avancées hors d’amour,
Nos gestes, tous nos gestes, nos pas, tous nos pas, même ailleurs, même loin,
Ne seront qu’une danse unique autour de l’essentiel,
Elle 
Tant que la danse sera,
Lui 
Tant qu’elle sera,
Elle 
Tu seras là,
Lui 
Non, c’est toi qui seras là.

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