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MIA COUTO : « Le portugais possède une liberté linguistique totale ».

Par Albrizzi
Il n’a pas eu le prix Nobel de littérature en octobre dernier mais son nom avait beaucoup circulé dans le cénacle littéraire français où l’on aime décerner avant l’heure les médailles et les rubans. Une idée « farfelue » qui ne l’effleure même pas ! Ancien biologiste, Mia Couto a les pieds bien ancrés au sol et apparaît assez éloigné de l’image d’un « monstre » de la littérature. Pendant toute la durée de la guerre civile, il a toujours refusé de quitter son pays et de se mettre à l’abri. Rencontre avec un poète et romancier habité par la bravoure et le panache. Une heure volée au temps lors d’un de ses passages à Paris pour la promotion de son livre L’accordeur de silences (Métailié).  Vous êtes à la fois l’auteur le plus populaire dans votre pays, le Mozambique, et l’auteur mozambicain le plus connu dans le monde, est-ce un problème que vous soyez blanc ? N’est-ce pas une image néocolonialiste ?Pour moi être blanc n’est pas un problème ; en général au Mozambique, cela n’a pas d’importance. Cette grille d’analyse est très française, or l’histoire du Mozambique n’est pas comparable à celle de la colonisation française au Maghreb. Les Portugais ont des liens nettement plus anciens avec le Mozambique : ils datent du XVIe siècle, cela fait plus de 500 ans ! A l’époque, il y a eu énormément d’enfants issus de couples mixtes qui étaient alors considérés comme des Portugais à part entière et qui pouvaient migrer dans l’autre sens. Le Portugal manquait d’habitants. Au Mozambique, il n’y a pas eu d’apartheid comme en Afrique du Sud. Chez nous, la question est ailleurs : ce n’est pas la couleur de peau qui est discriminante mais le lieu géographique d’origine. La dichotomie s’établit entre les gens de la campagne et ceux de la ville. Les étrangers ce sont ceux qui ne viennent pas du même coin qu’un autre. Il y a la capitale et l’intérieur du pays : deux mondes à part. Venir d’ailleurs c’est venir par exemple d’une autre ville que la capitale, ou d’un autre village.En octobre, vous avez reçu un Grand Prix de littérature au Portugal. Vous y avez des liens ?Nul besoin d’aller au Portugal, c’est le pays qui vient à moi, par la lecture, la musique, je voyage. Je me souviens d’une émission sur France Culture où j’avais été invité, on avait passé du fado pour me faire plaisir. Hors micro, je m’étais étonné de ce choix et avait demandé au journaliste : « Pourquoi du fado ? C’est une musique portugaise et je suis mozambicain ! » La chanteuse était Amalia Rodrigues, une voix finalement mondiale, qui dépasse la culture portugaise. Je me suis alors fait cette remarque : c’est cela le plus important, sa voix, sublime !A vos yeux, écrire est-il un acte politique ou poétique ? Peut-être d’ailleurs que l’un n’exclut pas l’autre…Tout à fait, c’est mélangé. La poésie est la seule manière que je connaisse pour faire de la politique ! La poésie pour moi n’est pas seulement un genre littéraire, c’est plus que cela, c’est un regard porté sur le monde, une manière de voir les gens et de percer l’invisible. Je n’ai pas abandonné mon rêve de bâtir un monde meilleur. Quand j’étais petit, j’habitais Bera Bera, au centre est du Mozambique, mon père étant cadre pour la société des chemins de fer, son bureau était dans une gare et j’y faisais mes devoirs.  Mon père était un vrai poète dans l’âme, ce qu’il voulait c’était m’emmener me promener. Il me disait de me dépêcher. Nous allions ensuite le long des rails et il me montrait les petites pierres brillantes qui étaient tombées des wagons. Même pendant les années de guerre, nous avons continué. Ce fut ma première leçon de poésie, transmise au milieu du chaos, des cendres, de la poudre de fusil et des restes de charbon, on arrivait à trouver ces petites pierres brillantes.Votre héros est un enfant, en avez-vous ?J’en ai trois. Vous n’avez jamais songé à déménager au Portugal, en Europe ou aux Etats-Unis pour les mettre à l’abri de la guerre civile ?Mon envie première serait de créer une île pour eux, afin de les isoler du monde et de les protéger de tout. Mais je sais que ce serait aussi la pire des erreurs. Il faut leur donner les armes pour se défendre, contrairement à Silvestre qui a peur de la mort et ostracise ses enfants. Le choix de Sylvestre Vitalicio est un incroyable acte d’amour, de folie et d’hallucination. Ma préoccupation pendant la guerre civile c’était de trouver de la nourriture. Il n’y avait plus rien à manger au pire moment. Il fallait seulement survivre. Cette situation est difficile à vivre un temps mais que dire quand cela dure 17 ans, avec des oscillations ? A l’époque, en tant que directeur du journal officiel du gouvernement (communiste), j’avais reçu un ticket d’approvisionnement en nourriture, mais pour une question d’éthique, je ne voulais pas être un privilégié. Je l’ai refusé. Lorsque ma femme l’a appris, elle m’a presque tué. Elle pensait d’abord à ses enfants. Plus tard, elle a eu un ticket elle aussi en tant que médecin et nous l’avons utilisé. Je ne sais pas vraiment vous dire pourquoi je suis resté. Les gens qui voient leur maison brûler la regardent partir en fumée. Mon Mozambique c’est ma maison. Comment se comportent les enfants en tant de guerre ? Gardent-ils leur innocence ?Je ne crois absolument pas à l’innocence des enfants. La position de Nuntzi et Mwanito dans mon roman est celle de la marginalité. Ils peuvent regarder autrement le monde avec leurs propres yeux et le traduire dans leur propre langage dont je m’inspire. Personnellement, j’écoute beaucoup les enfants. Justement parlons un peu de votre musicalité littéraire. Vous êtes connu et apprécié pour la richesse de votre langue : vous inventez en permanence. Comment gérer le problème de la traduction? Vous lisez le français suffisamment pour vous rendre compte de la marge entre les deux langues. Le lecteur français ne perd-il pas quelque chose par rapport au lecteur portugais ?Dans ce dernier livre, ma langue était un peu plus épurée et la traduction est vraiment bonne. Elle réussit à rendre ce que j’ai voulu faire dans ma langue maternelle. Je n’étais pas totalement satisfait des néologismes dans les livres précédents : leur donner exactement le même sens en portugais et en français était quasiment impossible.Si je peux ajouter une précision sur la différence entre le français et le portugais, ce n’est pas seulement à mon sens seulement une question de langue, mais de société et de mentalité. Ici en France, j’observe que les gens passent leur temps à s’excuser, à dire « ce n’est pas grave », « pas de souci ». Au Mozambique, la société est beaucoup plus permissive. Il n’y aucun juge au-dessus de moi (comme écrivain j’entends) comme ici l’Académie française. La langue, dans mon pays, se transforme ; la création linguistique est beaucoup plus belle. Cette liberté linguistique a beaucoup d’avantage, par exemple quand j’invente des mots à partir du portugais, je n’ai pas besoin d’aller chercher l’anglais. C’est parce que le français est pauvre qu’il va chercher l’anglais, parce qu’il s’empêche de se transformer et d’évoluer.Cela s’explique par le fait que le Portugal au cours de son histoire a créé un enfant qui a dépassé le père : le Brésil. C’est une nouvelle dynamique qui nourrit la langue en permanence. Je ne crains absolument pas l’acculturation car les cultures se mélangent. Les cultures indigènes ont des formes de résistance face à la violence de l’américanisation du monde. On oublie que les Etats-Unis se sont eux-mêmes nourris de culture africaine. Prenez par exemple le rap lorsqu’il arrive au Mozambique : les paroles sont immédiatement traduites en portugais et changées, opérant ainsi un retour aux sources.La femme est au cœur de votre roman, même si pendant la première partie, on ne la nomme pas, on n’en parle presque pas. La femme est-elle un bouc émissaire, une putain ou une sainte ? C’est la grande présence du roman, la femme originelle. La place de la femme au Mozambique est particulière. Les hommes en général en ont peur, moi aussi, car ce fut longtemps une société matriarcale et l’on vénère beaucoup de divinités féminines. Récemment les hommes ont pris leur place et la société s’est transformée sur un modèle patriarcal. Au fond les hommes se sentent des intrus dans une société qui ne leur appartient pas d’où leur extrême violence. Ils ne se sentent pas à l’aise.
(Interview réalisée pour le site Evene.fr en octobre 2011)

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