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45 jours- Plouf, dans le ciel

Publié le 17 février 2008 par Nitchioule
Trouvé dans le Petit Robert. Chômeur, se : Travailleur qui se trouve involontairement privé d'emploi. Oisif, ive : 1- Qui de manière momentanée ou permanente, est dépourvu d'occupation, n'exerce pas de profession. 2- Personne qui dispose de beaucoup de loisirs. De riches oisifs : personne à qui la fortune permet de vivre largement sans avoir à exercer de profession lucrative. "L'angoisse de la mort est un luxe qui touche beaucoup plus l'oisif que le travailleur" (Camus).
Ma grand-mère n'a jamais travaillé. Dans son monde, on brillait dans des robes Yves Saint Laurent en poussière d'étoiles, on se disputait des parties de badminton sur des bateaux de croisière, on jouait au bridge dans les salons londoniens, on faisait du ski nautique sur le lac de Côme, on avait dix services à thé et on sortait l'argenterie pour le petit-déjeuner.
Je la revois penchée sur son métier à tapisser, sous la fenêtre du salon bleu. Ses cheveux blancs ondulaient joliment sur sa petite tête. Elle avait des yeux bleus qui pétillaient jusqu'à ce que tombe la nuit. Alors, elle gravissait lentement les escaliers en pierre pour rejoindre sa grande chambre rose doré.
En chemise de nuit, elle faisait sa prière devant la Sainte Vierge en bois peint qui lui ouvrait les bras. Comme elle avait très peur de ne jamais se réveiller, elle écourtait le moment de s'endormir en avalant héroïquement un ou deux somnifères. Au petit matin, elle se levait promptement, soulagée, et décidée à vivre pleinement cette nouvelle journée qui lui était donnée.
Les dernières années ont été les plus dures. L'une après l'autre, ses partenaires de bridge ont quitté la partie. Le regard de ma grand-mère s'est éteint. Elle, qui était vive et mordante, s'est arrêté de parler. Elle, qui mettait du sucre sur ses petits pois, qui avait toujours faim de chocolats, de marrons glacés et de pâtes de fruits, a perdu l'appétit. Quand elle venait chez nous, le samedi pour déjeuner, elle ne bougeait plus de son fauteuil.
Seulement, la peur de la mort la retenait encore. La fatigue la gagnait et puis, elle avait des sursauts de survie : quelques heures avant la fin, elle était chez le coiffeur. Mon cousin était seul avec elle quand elle s'est senti partir. "J'ai peur, appelle les gendarmes", lui a-t-elle dit. "On n'a pas besoin des gendarmes, je suis là", lui a-t-il répondu.
- "Mais toi, ce n'est pas assez, appelle les gendarmes, je te dis.
- Ils sont derrière la porte.
- Je ne te crois pas. "
Il y a eu un silence et elle a repris :
- "Ce qui serait bien, c'est qu'on y aille à plusieurs et puis, plouf, dans le ciel. Tu n'as qu'à venir avec moi. Viens avec moi !"
Mon cousin n'a pas pu s'empêcher de rire.
- "Ce n'est pas drôle tu sais, tu ne devrais pas rire.
- Je sais Mamie, tu as raison, ce n'est pas drôle. Je veux bien venir avec toi, mais ce n'est pas moi qui décide."
Là, elle a commencé à dégurgiter, prise de spasmes, les yeux écarquillés. Mon cousin a appelé l'infirmière : "C'est le travail qui commence." Ma grand-mère s'est mise à hurler. Sur sa table de chevet, il restait un macaron au café.

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