45 jours- En cache

Ce matin, j'avais encore des taches de vin noires et violettes sur les lèvres. Devant la glace, je ne me connais pas. Je suis le robot qui va et qui vient, qui mange, qui parle et qui boit. Il y a du plomb qui coule dans mes intestins dilatés. Mais je respire et je m'accroche à cette dernière réalité.
Cette semaine, j'ai un rendez-vous. Mardi à 19h. Me voilà, une jeune femme au teint pâle, à la voix nasale qui sourit et qui dit. Dans son fauteuil, elle me regarde. Dans la pièce, tout est jaune, ses cheveux, mes cheveux, les murs, les peintures, les coussins, le ciel, la mer. Sur son fauteuil, elle est ce vieux champignon qui m'empoisonne.
Mais elle ne le sait pas. Ce n'est pas moi en face d'elle qui parle sagement. Elle ne connait pas la louve blessée qui se dévore la queue. Elle n'entend pas le hurlement de la bête solitaire qui se meurt. Elle ne voit pas la forêt de pins noirs qui s'affaise et l'enterre. Elle ne sent pas le sang sur l'herbe mouillée. Grattez, creusez, la rencontre n'aura pas lieu.