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A-t-on pris une vessie pour une lanterne?

Publié le 14 février 2012 par Alain Dubois

LanterneTrois mois avant l’inauguration d’EspaceJeux, les clients canadiens des portails offshores du réseau IPN (GTech/Boss Media) ont reçu un message indiquant que, en date du 24 septembre 2010, le réseau n’allait plus accepter les joueurs canadiens lors des activités de poker en ligne. Qu’en est-il aujourd’hui? Était-ce un vœu pieux, une phrase creuse ou un moyen efficace de respecter la loi canadienne? La réponse est loin d’être claire.

Trois mois avant l’inauguration d’EspaceJeux, les clients canadiens des portails offshores du réseau IPN (GTech/Boss Media) ont reçu un message indiquant que, en date du 24 septembre 2010, le réseau n’allait plus accepter les joueurs canadiens lors des activités de poker en ligne. Dans ce fil des discussions, on constate aussi que le portail Poker Heaven lierait explicitement cette décision à l’avènement prochain (1 décembre 2010) du Canadian Poker Network (CPN : EspaceJeux, PlayNow).

2plus2_FortunePoker_ban

2plus2_PokerHeaven_ban

En raison de l’obtention du contrat pour opérer le réseau CPN, on pouvait logiquement conclure que GTech entreprenait de cesser toute opération potentiellement illégale en sol canadien.

Pourtant, bien malin qui saurait trouver une trace, juridiquement contraignante, de cet engagement dans un document public de GTech, de Loto-Québec ou du gouvernement du Québec.

À ce sujet, quelques jours avant Noël (2011-12-21), j’ai été intrigué par une question posée dans un des forums de PokerCollectif.

PC_PokerHeaven_un_bon_site

En fait, ce n’est pas tant la question qui était intrigante que le reste de la discussion qui a suivie. Un modérateur du forum indique d’abord que le réseau IPN n’est pas accessible au Canada. Conséquemment, le participant demande pourquoi PokerHeaven est encore listé dans les offres de rakeback de PokerCollectif? Loin de répondre, le modérateur invite le participant à poursuivre dans un échange de courriel privé.
PC_courriel_privé

Sur Internet, on trouve quelques forums de discussion qui captent l’intérêt des joueurs de poker en ligne. Parallèlement, ces sites agissent comme affiliés, c’est-à-dire comme intermédiaires potentiels entre un joueur et un site offshore. Comme un courtier qui fait l’inventaire des offres dans un marché, l’affilié facilite les démarches pour obtenir le rakeback le plus avantageux ou l’acquisition de logiciels ou de services utiles ou nécessaires pour le jeu offshore. Le rakeback est une ristourne versée au joueur selon un pourcentage de l’argent versé en commission. On comprend que l’affilié obtient une rétribution pour les clients recrutés. Au Québec, deux sites apparaissent agir ainsi.

Sur PokerCollectif (onglet « BONUS & RAKEBACK / OFFRES.COM (QUÉBEC) ), le portail PokerHeaven, du réseau IPN, figure en sixième position dans la liste.

PC_offre_rakeback

PC_offre_de_rakeback_PokerHeaven

Sur PrincePoker, en plus de l’offre de PokerHeaven, on retrouve le portail FortunePoker, soit le portail représentatif où pokerscout échantillonne ses informations pour mesurer l’activité du réseau IPN.
PP_offre_de_poker

Le 23 décembre, j’entreprends de m’inscrire sur le portail de FortunePoker sous le pseudonyme de bossm et en donnant comme adresse celle du siège de Boss Media en Suède. En un rien de temps, je me retrouve à jouer sur les tables d’apprentissage. Je suis pourtant dans mon bureau au Québec et aucun logiciel pouvant masquer mon lieu de connexion n’est installé sur mon ordinateur.
FortunePoker

Je me suis ensuite inscrit au tournoi des recrues prévu pour le lendemain. C’est un tournoi gratuit qui récompense en argent (1000 euros) les 180 premières positions sur 1067 joueurs. Quelques minutes avant le tournoi, mon compte bossm est bloqué. Mais, je me réinscris illico sous le pseudonyme really3 avec des paramètres faciles à détecter comme étant inexistants. Après quelques minutes, je suis en train d’intervenir dans un tournoi où je n’ai pas d’affaire. Non seulement really3 prend quelques décisions qui changent le cours des événements. Bossm est aussi présent sur une autre table. La perte inévitable des jetons de bossm procure un avantage aux autres joueurs de cette table. Tant sur EspaceJeux que sur IPN, le logiciel de Boss Media/GTech a manifestement des problèmes à assurer l’intégrité du tournoi des recrues.
FortunePoker

La veille de Noël, peut-être que les gestionnaires du réseau étaient tous en congé. Un mois plus tard, je me réinscris sous le pseudonyme espacejeux en donnant comme adresse celle de GamCare au Royaume-Uni. Encore une fois, je me retrouve dans une situation où j’interviens de manière significative dans un tournoi où je n’ai pas d’affaire. Je prends néanmoins soin de sortir rapidement. Il est possible de reproduire cette situation à partir de serveurs différents du mien, avec des ordinateurs appartenant à plusieurs autres personnes. Je n’ai pas de privilèges spéciaux.
FortunePoker

C’est clair que le réseau IPN ne bloque pas les adresses IP en provenance du Canada. Lors de l’inscription, on ne peut pas s’inscrire avec une adresse postale située au Canada, mais on peut jouer en sol canadien si on a un compte inscrit ailleurs. C’est étonnant car ce constat apparaît en contradiction majeure avec le modèle territorial promu par la World Lotteries Association (WLA).

Malgré que j’aie pu intervenir dans ce tournoi, je n’aurais jamais pu encaisser mes gains dans les conditions actuelles. Pour ce faire, j’aurais eu besoin d’un ou plusieurs intermédiaires (européens, par exemple) qui auraient créé mon compte, encaissé le gain et effectué le transfert financier après avoir prélevé une commission.

Retournons sur un des forums de discussion des affiliés québécois. On y constate une discussion concernant les joueurs québécois qui désirent jouer sur EspaceJeux tout en étant hors du Canada, en l’occurrence au Mexique et en Amérique du Sud.

PC_Mexique

PC_AmériqueDuSud

La solution est d’utiliser un VPN (Virtual Private Network). Un VPN est un intermédiaire qui relaie une requête Internet en la faisant passer par des serveurs situés dans d’autres pays. Par exemple, StrongVPN permet aux Canadiens d’apparaître comme des internautes situés au Royaume-Uni où le jeu en ligne est plus que libéral.
StrongVPN

PokerCollectif_2011-12-27_16h32m_StrongVPN.png

Il en existe plusieurs autres.
SuperVPN

BlackLogicVPN

Une compagnie montréalaise offre aussi aux joueurs de poker en ligne de servir d’intermédiaire vers le Canada, donc potentiellement vers EspaceJeux.
VPN_privacy

Il ne reste plus qu’à faire transiter les montants d’argent par d’autres intermédiaires (voir au bas de cet exemple qui explique comment transiger avec FortunePoker). En l’occurrence, Skrill (Moneybookers) est bien connu des joueurs québécois.
ProGrinders

PC_Moneybookers

Par l’intermédiaire des affiliés, les sites offshores ont manifestement transféré, hors de leurs opérations directes, toutes les transactions pouvant être litigieuses. En apparence au moins, le risque légal est transféré à des individus dont on ne sait pas grand-chose et qui ne rendent probablement compte à personne. En ce qui concerne EspaceJeux, un site qui se réclame d’une éthique et d’une intégrité gouvernementales, ce pelletage potentiel de responsabilités dans ce qui pourrait être un no man’s land juridique soulève plusieurs questions cruciales concernant l’intégrité.

D’abord qui, chez EspaceJeux, a décidé de financer les affiliés québécois par l’intermédiaire d’une commandite? Est-ce Loto-Québec ou l’opérateur GTech? La réponse est particulièrement importante car il est probable que cette commandite aide au financement d’un système qui a pour résultat d’orienter les joueurs québécois vers des sites offshores, et possiblement vers le réseau offshore de l’opérateur d’EspaceJeux. La question est d’autant pertinente que c’est la World Lotteries Association qui est mandatée par Loto-Québec pour accréditer l’intégrité des opérations. Rappelons que GTech est un des principaux contributeurs financiers de la WLA. Il y a une ambiguïté qui peut porter préjudice à GTech ou à la population québécoise.

Ensuite, lorsque Loto-Québec faisait la promotion de son projet du jeu en ligne, on nous a beaucoup parlé d’une étude du Boston Consulting Group qui établissait à 675 millions de dollars la perte des Canadiens dans le jeu en ligne avec une croissance annuelle de 30%. Or, à ma connaissance, ce document est resté secret dans les officines de Loto-Québec et du ministère des Finances. A-t-on le moindrement vérifié si ces 675 millions correspondaient plutôt à des sommes que dépensaient les Américains en utilisant des VPN canadiens pour jouer? Outre ce transit d’argent américain, il n’y a probablement jamais eu de marché pour le jeu en ligne au Québec, et malgré les efforts marketing de Loto-Québec, le marché actuel reste nettement en deçà des estimés.

En ce qui concerne la migration des joueurs d’EspaceJeux vers les sites offshores, quel organisme indépendant a le pouvoir de vérifier combien de Québécois ont encore la possibilité de jouer sur le réseau IPN? Pourquoi le réseau IPN ne bloque-t-il pas simplement les adresses IP provenant du Canada sinon pour profiter des joueurs américains? Advenant que ce soit le cas, n’y a-t-il pas un problème à ce qu’une société d’état néglige de réclamer un blocage effectif d’une activité commerciale qui n’est pas permise aux USA, et qu’elle-même prétend devoir être impérativement endiguée sur son territoire?

Enfin, puisque le principal motif d’implantation d’EspaceJeux est un endiguement de la dépense offshore, comment établit-on que les sommes gagnées sur EspaceJeux ne sortent pas de l’économie québécoise, ou plus généralement de l’économie canadienne? Il est notoire que le calibre de poker sur EspaceJeux est relativement novice. Des joueurs étrangers expérimentés pourraient causer une fuite économique annulant complètement les sommes endiguées. Comment surveille-t-on ce risque?

Les problèmes d’intégrité sont le talon d’Achille de l’industrie du jeu. Comme on le constate ici, la situation actuelle au Québec est loin d’établir que le modèle gouvernemental protège adéquatement la population contre le jeu illégal. Dans les faits, les efforts de PokerStars pour contrer les VPN apparaissent beaucoup plus convaincants, pour respecter les juridictions territoriales, que tout ce qu’on peut observer chez EspaceJeux.
Photo: Gomurafuji


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