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Les arbres du grand verglas: ce qu’il en reste 10 ans plus tard

Publié le 08 mars 2008 par Raymond Viger

Une forêt ancienne

Le Boisé-des-Muir, que Jacques Brisson avait si hâte de revoir, se trouve en Montérégie (Huntington) dans le fameux Triangle noir, cette portion du Québec durement affectée par le verglas et les pannes d’électricité. Ce site forestier constitue un cas unique au Québec: «C’est une forêt naturelle (11 hectares) comme il n’en existe plus aucune dans le sud de la province, jamais exploitée commercialement, ni perturbée d’aucune façon, une forêt restée intacte depuis la… Nouvelle-France!». Ses plus vieux arbres, des pruches qui dépassent les 300 ans, ont «quasiment» vu naître Montréal — faites le compte!

«À cause justement de son statut unique, cette forêt faisait l’objet d’études depuis de nombreuses années déjà, chacun de ces 2000 arbres ayant été fiché, paramétré, explique le chercheur. C’était une chance en or de pouvoir évaluer, avec grande précision, la survie et la santé des arbres, à la suite du verglas.»

Le taux de mortalité annuel moyen, toutes espèces d’arbre confondues, est passé de 0,8 % (avant la tempête verglaçante) à 1,2 %, sept ans plus tard. Selon les chercheurs, «cette augmentation de la mortalité (…) est très significativement corrélée aux dommages causés aux arbres par le verglas.» La mortalité varie cependant considérablement d’une espèce à l’autre. Caryers et tilleuls, deux espèces ayant pourtant subi de très lourds dommages, ne montrent qu’une hausse de mortalité très modeste. «À l’autre extrême, la mortalité est trois fois plus élevée chez l’ostryer et cinq fois plus élevée chez le hêtre». C’est que, «stimulés» par les blessures, les érables, frênes et caryers de moyenne grosseur ont été l’objet d’une véritable explosion de nouvelles branches, bénéficiant du «boost» lumineux créé par les ouvertures de la voûte. «Ce sont eux les grands gagnants de cet épisode», diagnostique Jacques Brisson. Selon les chercheurs, ce résultat confirme la justesse de la recommandation, que multipliaient à l’époque les ingénieurs forestiers, à savoir qu’il fallait laisser une chance aux arbres en ne précipitant pas leur coupe.

Remettre les forêts… debout!

«Effectivement, malgré la désolation visuelle qu’offraient les forêts, nous avions prôné la prudence et la patience, et je constate avec plaisir aujourd’hui toute la sagesse de notre attitude», ajoute le pathologiste forestier du ministère québécois des Ressources naturelles, Bruno Boulet qui, à la tête d’une équipe de crise, avait été chargé, à cette époque, de survoler en avion les forêts touchées, afin d’en évaluer les dommages.

Bruno Boulet s’est particulièrement concentré sur l’évolution des érablières — leur mortalité, leur rétablissement, leur régénération — qu’il a «accompagnées», tel un bon médecin de famille, pendant les huit premières années post-verglas. Comme Jacques Brisson, il a pu compter sur un outil qui conférait à son travail une précision inégalée: l’existence, à l’intérieur de 69 érablières de la région, de parcelles-témoins installées, aux fins d’études diverses, AVANT le verglas.

«On a remarqué qu’en général les érables endommagés étaient excessivement résilients, dit-il: par exemple, 41 % des érables ayant pu conserver aussi peu que 20 % de leurs cimes, avaient réussi à reprendre le dessus.» Plus le pourcentage de branches restantes augmentait, plus les arbres haussaient leurs chances de survie (à 40 % de branches restantes correspondit un rétablissement complet — 87 % — des arbres en question).

Les scientifiques ont aussi établi que la plus ou moins grande richesse du sol où est située l’érablière entrait en ligne compte dans la résilience des arbres. Les érablières ancrées en sol épais et mésique augmentaient la résistance de leurs sujets, contrairement à des forêts en montagne où le sol est généralement mince. «Des érablières entières, il s’en est perdu 10 à 15 % poursuit Bruno Boulet, et souvent ce fut dans des conditions de sol pauvre.»

Choc post-traumatique «végétal»


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