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Ai Weiwei au Jeu de Paume : n’y allez pas pour voir des photos

Publié le 22 février 2012 par Marc Lenot
Ai Weiwei au Jeu de Paume : n’y allez pas pour voir des photos

Ai Weiwei, juin 1994

On ne va quand même pas dire du mal de l'exposition des photographies (et vidéos) d'Ai Weiwei au Jeu de Paume (jusqu'au 29 avril). C'est un grand artiste, un blogueur, un twitteur. C'est un activiste militant (tremblement de terre du Sichuan), un créateur de lien social (avec les 1001 Chinois qu'il emmène à Kassel en 2007, Portraits de contes de fée, ci-dessous).

Ai Weiwei au Jeu de Paume : n’y allez pas pour voir des photos

Ai Weiwei, Etude de perspective, Tienanmen, 1995-2003

C'est un insolent qui fait un doigt d'honneur à Tien An Men, puis au monde entier (Etudes de perspective, ci-contre), et qui, au même endroit, prend en photo sa femme, la belle Lu Quing en petite culotte à la Marylin (Juin 1994, ci-dessus).

C'est un héros censuré, emprisonné, assigné à résidence, persécuté aujourd'hui par le fisc.

C'est aussi un homme paradoxal qui travaille avec le régime (Stade de Pékin, Aéroport) et s'en explique tant bien que mal, en artiste un peu naïf (ou en politicien un peu roublard ?).

Ai Weiwei au Jeu de Paume : n’y allez pas pour voir des photos

Ai Weiwei, Laisser tomber une urne de la dynastie des Han, 1995

Autre paradoxe, c'est un homme qui documente la disparition des hutong à Beijing, en dénonçant la folie immobilière et le non-respect du patrimoine, mais qui réalise aussi une performance en brisant un vase précieux de la Dynastie Han (ci-dessus), destruction délibérée du patrimoine à faire hurler certains (geste de libération du passé, en quelque sorte).

Ai Weiwei au Jeu de Paume : n’y allez pas pour voir des photos

Ai Weiwei, vue d'exposition, Portraits de contes de fée

C'est un photographe prolixe (200 000 photos sur son blog en cinq ans), qui ne cesse de prendre des photos de tout (et de rien). Au premier abord, on regarde ça comme une documentation énorme, tant de sa pratique propre que de ses amis (voir au fond les photographies de performance de Zhang Huan, superbes), sans grande distance, seulement une accumulation documentaire.

Et on s'en lasse un peu, déçu de n'avoir pas ici de 'vraies' oeuvres de lui, de passer à côté des correspondances entre les différents médias dans son travail; on cherche désespérément une pièce un peu plus créative au milieu de cet amas de photos intéressantes mais banales, ou plutôt dont le seul intérêt vient de ce qu'elles montrent, et non de ce qu'elles sont. Ah, si, peut-être cette composition Seven Frames (ci-dessous), où le corps vertical du soldat au garde-à-vous se décline à l'horizontale, retient l'attention.

Ai Weiwei au Jeu de Paume : n’y allez pas pour voir des photos

Ai Weiwei, Seven Frames, 1994

Et puis on se dit qu'il faut peut-être regarder autrement, se défaire du regard esthétique critique, se laisser submerger, accepter, comme l'écrit remarquablement Marta Gili, que sa "photographie ne représente plus la réalité, elle est réalité" et que c'est là une "esthétique active des prismes", et non point une "esthétique passive des miroirs" (d'après Borges); en somme, se dire que ce n'est pas une exposition de photos, ni une présentation du travail d'un artiste, mais un témoignage sur un homme, c'est tout. Sans doute est-ce un peu dommage.

Donc ne pensez pas aller au Jeu de Paume pour y voir une exposition de photographies (ne comptez pas non plus voir des oeuvres de l'artiste), allez plutôt découvrir comment un homme boulimique, photo-maniaque essaie de se servir de la photographie pour tenter de changer le monde.

Photos 1, 2 & 3 courtoisie du Jeu de Paume; photos 4 &5 de l'auteur.


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