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Comment enseigne-t-on la guerre d'indépendance en Algérie ?

Publié le 02 mars 2012 par Amroune Layachi
Comment enseigne-t-on la guerre d'indépendance en Algérie ?

Comment enseigne-t-on la guerre d'indépendance en Algérie ?

Comment enseigner la guerre d'Algérie dans les salles de cours, alors même que cette histoire est sujette à des débats encore très vifs. Lydia Aït Saadi- Bouras, chercheure à l'ERASME de Paris 8, a consacré sa thèse (janvier 2010) à " La nation algérienne à travers les manuels scolaires d'histoire algériens : 1962-2008". Elle décrypte pour le "Nouvel Observateur " les salles de cours.

Comment la guerre d'Algérie est-elle enseignée des deux côtés de la Méditerranée ?

- Il ne s'agit pas tout à fait de la même histoire, ce sont en fait deux récits parallèles qui ne s'imbriquent pas toujours. En Algérie, la guerre d'indépendance est le tronc centrale de l'histoire nationale enseignée, avec un trop plein de mémoire et un trop plein d'histoire. En France, il s'agit d'une séquence parmi d'autres de l'histoire nationale et la décolonisation n'est enseignée qu'à partir de la classe de première. C'est une histoire parcellaire, où il manque beaucoup de choses sur la colonisation, son racisme, ses méfaits et crimes...

Les thèmes retenus sont différents. Un jeune Algérien va retenir de cette histoire la résistance (l'émir Abdelkader), des héros martyrs de l'ALN-FNL, la bataille d'Alger, les crimes coloniaux (la torture, la profonde misère et les contrastes de vies entre indigènes et colons; et pour certains le général de Gaulle -mais en tant que personnalité française-. Un jeune français retiendra, pour sa part, De Gaulle, le FLN, le référendum, l'OAS et les rapatriés (l'histoire des pieds noirs étant enseignée depuis longtemps contrairement à celle des harkis introduite plus récemment).

Pour entrer dans le détail, en Algérie, la guerre d'indépendance représente le tronc central de l'enseignement en histoire qui est enseignée dès l'âge de huit ans. Ce récit national autour de la guerre et de la période coloniale à sensiblement évolué depuis l'indépendance. En effet, jusqu'en 1990, seuls les martyrs faisant figures de héros et avaient une place dans les manuels scolaires algériens. Ainsi même Messali Hadj, le père de l'idée d'indépendance y était à peine évoqué. Au début des années 1990, après le basculement politique algérien et l'arrêt du processus électoral, il sera fait appel à Mohamed Boudiaf, entré en dissidence et exilé au Maroc, pour devenir le président du Haut comité d'Etat, l'organe provisoire chargé de gérer le pays. Mohamed Boudiaf va être accueilli en grande pompe. Dans la foulée, on va faire revenir dans le récit scolaire d'anciens protagonistes de la guerre d'indépendance comme Aït Ahmed, Ben Bella, Ferhat Abbas (présenté pour sa part comme assimilationniste francophone). L'enjeu était, dans l'urgence, de légitimer le retour au pays de ces “héros oubliés” bannis après l'indépendance; et expliquer aux jeunes générations pourquoi on faisait appel à eux après les avoir effacés de la mémoire dominante. On a donc intégré dans les manuels scolaires tous ces nouveaux revenants en les présentant comme pères de la révolution. Aujourd'hui encore ce besoin de légitimation reste de mise pour le pouvoir en place issu du FLN-ALN. C'est ainsi que le “martyr inconnu” ne sera plus l'unique protagoniste de cette indépendance nationale. En revanche, le crédo scandé depuis 1962 : "Un seul héros, le peuple" demeure, certes, malgré tout présent dans ce récit. Par ailleurs, sur le plan de la définition des origines et de l'identité nationale on assiste, depuis les années 2000, à une mise en perspectives chronologique, voire une re-contextualisation régionale de cette histoire propre à l'Algérie.

Les manuels sont-ils un terrain d'enjeu politique ?

- Les manuels scolaires algériens d'histoire sont une préoccupation certaine pour les gouvernants depuis l'indépendance. Les anciens Moudjahidines (combattants) ont un regard direct sur la partie qui les concerne. Dans les comités de rédaction ils peuvent aller jusqu'à la censure quand il s'agit de la guerre d'indépendance. Mais les contrôles courants des manuels se faisant sur une partie de l'ouvrage, il peut toujours y avoir des erreurs, des "dérapages". Des extraits sont passés alors qu'ils n'auraient pas dû. Il y a un contrôle qui se fait a posteriori par les utilisateurs eux mêmes, qui peuvent mener au retrait des manuels scolaires après publication pour être modifiés.

En France, c'est une histoire qui a pu poser problème. La loi Mékachera est un excellent exemple de l'enjeu politique. Souvenez-vous, l'article 4 de la loi –aujourd'hui retiré- enjoignait aux enseignants d'évoquer dans leurs cours " le rôle positif de la présence française ", en Afrique du Nord notamment. Il y a eu une levée de bouclier dans la communauté des historiens, des professeurs d'université, chez les enseignants de l'Education nationale et même par la suite des réactions des autorités algériennes. Il y a ceux qui se sont battus parce qu'ils estimaient que cette loi était mémorielle. D'autres, parmi les enseignants, ont considéré que c'était une interférence du pouvoir dans leur salle de cours.


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