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Mobile Suit Gundam : Author’s Cut (4c)

Par Ledinobleu

Artwork de préproduction pour la série TV Mobile Suit GundamSommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation (le présent billet)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)

L’innovation :

a. Les aspects techniques
b. Le plan humain
c. Les divergences avec la série TV (le présent billet)

c. Les divergences avec la série TV

C’est parce-qu’il n’a plus de compte à rendre à personne que Tomino peut injecter dans ce roman en trois parties tout ce qu’il souhaitait voir dans le récit de Mobile Suit Gundam dès le départ. Ou du moins presque tout : certains éléments à la vie dure y persistent, qui ne comptent pas forcément parmi les plus malheureux d’ailleurs, et d’autant plus que l’auteur parvient à les placer dans la continuité du reste du livre – soit en leur donnant une maturité qu’on ne trouve pas toujours dans la série TV originale. Il en résulte une vision plus aboutie, car plus complète et plus précise, dans son propos comme dans sa facture, qui saura surprendre les admirateurs des versions animées, même les plus connaisseurs. Pour cette raison, ce roman évoque un peu une sorte de revanche de son auteur sur l’industrie de l’animation japonaise qui, à l’époque de la publication de cet ouvrage, on l’a vu dans la partie consacrée à la biographie de Tomino, lui en avait déjà fait voir pas mal et devait encore lui réserver quelques déconvenues.

Mais surtout, à la lecture, ce livre évoque bien moins une simple novélisation qu’une nouvelle histoire à part entière, si ce n’est carrément une réinterprétation du concept original de Gundam, une réappropriation de celui-ci par son propre auteur. En effet, les trois tomes distincts de ce roman, intitulés Awakening, Escalation et Confrontation, dans l’ordre, peuvent laisser penser à une adaptation de la trilogie de films de compilation portant au cinéma la série TV de départ, avec donc un tome pour chaque film ; ou bien un  condensé de la série télévisée « augmenté » de quelques explications et autres éclaircissements en plus de divers détails plus ou moins pertinents sur le monde du récit et ses personnages ainsi que sur la doctrine du contolisme et le concept newtype, avec quelques arrangements ici et là afin de rendre le récit plus mur pour mieux le débarrasser des quelques aspects inhérents à la série TV originale ciblant un public adolescent et qui restent présents dans les versions animées. En fait, ce livre tient un peu de ces deux attitudes à la fois…

Par exemple, si les protagonistes principaux sont toujours là, ils sont un peu plus vieux, assez en tous cas pour qu’on puisse parler d’une histoire adulte à propos d’adultes au lieu d’une histoire aux certains accents adulte à propos d’ados : ainsi, Amuro Ray est dans le livre une jeune recrue de l’armée de la Fédération âgée d’une vingtaine d’années et entraînée à piloter des mobile suits – comme c’est d’ailleurs aussi le cas de ses camarades Hayato Kobayashi et Kai Shiden –, non un adolescent civil qui se retrouve membre d’équipage du Pegasus/White Base par la force des choses et qui apprend à piloter le Gundam en lisant le manuel. Quant à Sayla Mas, elle interrompt ses études de physique pour mettre ses talents d’infirmière au service de l’armée, et Mirai Yashima n’est pas ici la fille d’un magnat de l’industrie mais celle d’un politicien de renom présenté comme un idéaliste qui quitta jadis la Terre pour aller habiter dans les colonies de Side 2 en désespoir de cause devant une Fédération rongée par les luttes de pouvoir et la froideur de sa bureaucratie.

Artwork pour la série TV Mobile Suit Gundam
Certains personnages se retrouvent nantis d’un rôle différent, comme Ramba Rall, fils du partisan de Deikun qui amena sur Terre les enfants de ce dernier, la petite Artesia Som et le jeune Caspal Rem, pour les abriter des purges de la famille Zabi, qui se retrouve dans le roman chef des services secrets de Zeon au lieu de diriger un escadron de mobile suits avec pour mission de venger la mort de Garma Zabi : ainsi, dans le roman, le personnage aux nettes allures chevaleresques qui a marqué au fer rouge l’équipage du White Base devient-il un autre laquais de Zeon, et un d’autant plus servile qu’il doit faire oublier la trahison de sa famille envers les Zabi. Plus anecdotique, mais néanmoins très clairement indiqué, le commandement de la forteresse spatiale d’A Baoa Qu ne revient pas à Kycillia Zabi mais au vice amiral Randolph Wegeilman – qui à ma connaissance n’apparaît dans aucune des versions animées bien qu’il soit ici présenté comme le bras droit de Gihren Zabi lui-même.

D’autres personnages ont simplement disparu, ou se montre à peine, pour des raisons évidentes de brièveté du récit. Frau Bow, notamment, n’apparaît qu’au début du premier tome et à la fin du troisième, et les trois orphelins de guerre qu’elle prend sous son aile, Katz, Letz et Kika, sont tous juste cités – ce qui plaira à certains et moins à d’autres. De même, on aperçoit à peine l’officier de la Fédération Matilda Ajan qui fait en tout et pour tout juste deux apparitions, elle aussi au début puis à la fin de l’histoire. Par contre, on ne voit pas du tout les Black Tri-Stars, ce trio de pilotes d’élite de mobile suits de Side 3, ni Cucuruz Doan, cet autre pilote de Zeon qui choisit de cesser le combat pour devenir le protecteur d’orphelins de guerre sur une île dont le conflit a tué tous les adultes. Mais on trouve aussi de nouveaux personnages – telle que la civile Kusko Al, qui s’avérera une bien plus puissante newtype que Lalah Sune – ainsi que des personnalités dont certaines occultées dans la série firent néanmoins une apparition dans la version cinéma – comme Cecilia Irene, la secrétaire personnelle et maîtresse occasionnelle de Gihren Zabi – ou bien dans d’autres adaptations de Mobile Suit Gundam sur des supports non animés – tel que Sasro Zabi, second fils de Degwin après Gihren et dont l’assassinat est justement mentionné par ce dernier dans le roman, un protagoniste qui pour autant que je sache n’apparaît que dans le manga Mobile Suit Gundam: The Origin (Yoshikazu Yasuhiko ; 2001).

Coté mechas, on ne trouve que l’essentiel. Si les aficionados regretteront certainement des machines emblématiques telle que le Gouf, le Gelgoog ou le Zeong, parmi bien d’autres, la version Rick du DOM et les redoutables mobile armors (1) prototypes Helmet et Braw Bro savent remplir les blancs aux côtés de l’indispensable Zaku. Quant aux appareils de la Fédération, seul le GunTank manque à l’appel, et le Gundam arbore dans un premier temps la couleur blanche uniforme du « Chevalier Blanc » tel que voulait le mettre en scène Tomino avant que les sponsors lui demande de lui donner des tons plus vifs pour mieux attirer le regard des jeunes consommateurs dans les rayons des magasins de jouets ; à noter que le second exemplaire, gris clair, lui, est équipé du système « magnetic coating » qui permet à cette machine de mieux répondre aux réflexes surhumains de son pilote newtype et qu’on retrouve par ailleurs dans le RX-78NT-1 « Alex » de Gundam 0080: War in the Pocket, l’OVA de 1989 réalisée par Fumihiko Takayama – démonstration supplémentaire du rôle essentiel que continua à jouer le roman de Tomino dans le développement de la franchise Gundam même plusieurs années après sa publication. Enfin, les engins de type GM ne sont pas ici produits à partir des données établies par les performances du Guncannon et du Gundam au combat mais en fait les résidus d’une étape précédente de la Fédération dans la conception de mobile suits – il ne s’agit donc pas ici d’une série produite à la hâte pendant la guerre, un choix narratif dont le réalisme s’avère bien sûr assez discutable.

Image tirée de l'artbook M.S. Era - Mobile Suit Gundam 0001-0080 - The Documentary Photographs Of the One-Year-War
Pourtant, l’aspect le plus fondamental des mechas dans le roman reste qu’il s’agit de véhicules destinés au combat spatial uniquement, soit dans un environnement dépourvu de gravité et où leur taille gigantesque – c’est-à-dire leur masse colossale – non seulement n’entrave pas leurs mouvements mais leur permet aussi d’embarquer une grande quantité d’équipement qui leur donne une agilité incomparable ainsi qu’une résistance et une puissance de feu phénoménales : dans le livre, la supériorité des mobile suits au combat ne fait aucun doute, ou presque, alors qu’elle demeure pour le moins sujette à caution dans les versions animées – des appareils aussi grands et lourds, en effet, devraient dans un milieu à gravité s’enfoncer dans le sol sous leur propre poids, au mieux, sinon rester complétement immobiles, au pire… Il vaut en effet de rappeler que la vitesse de déplacement d’une cible est ce qui la rend difficile à viser, bien plus que sa taille : voilà pourquoi les missiles à tête chercheuse devinrent très vite l’équipement standard des avions de combat à réaction dont l’allure et la manœuvrabilité rendaient les mitrailleuse obsolètes en combat aérien – or, d’une part les mobile suits s’avèrent bien plus rapides et agiles dans l’espace que des avions de chasse mais de plus les particules Minovsky de l’univers Gundam rendent inefficace la détection par radar, comme nous avons déjà pu le voir dans un chapitre précédent. D’ailleurs on peut aussi mentionner au passage que les mobile suits sont un peu moins grands dans le roman que dans la série TV : 16 mètres de haut contre une moyenne de 20 à peu près.

Cette condition technique, faute d’un meilleur terme, devient la principale raison pour laquelle le récit, dans le roman, ne se déroule que dans l’espace – illustrant d’ailleurs à merveille le rôle d’un choix techno-scientifique dans le développement d’un récit de science-fiction – et aussi pourquoi il n’y a aucun passage sur Terre, comme Tomino souhaitait le faire avec la série TV au départ avant que d’autres demandes des sponsors le poussent à modifier cet aspect pourtant essentiel de son concept original vers une formule plus grand public.

On pourra aussi regretter la bataille de Solomon – le Cauchemar de Solomon, diront les puristes… – ou bien s’étonner que l’Opération British consista à lancer plusieurs colonies sur les principales capitales de la Terre au lieu d’une seule sur Sydney uniquement, mais dans l’ensemble les coupes concernent surtout des passages mineurs de l’intrigue dont le rôle dans les versions animées servaient pour la plupart à mieux cerner les caractères et l’auteur parvient au même résultat avec des mots en fin de compte – le lecteur averti pourra néanmoins se livrer avec plaisir au jeu des sept erreurs, ou plus, pour les autres éléments de l’une ou l’autre version du récit. Dernière différence d’importance, les lieux communs aux versions animées et écrites ne sont pas présentés dans le même ordre : ainsi la colonie Texas où Amuro affronte Lalah Sune apparaît dès la fin du premier tome au lieu de la fin du récit, et c’est donc au « début » de l’histoire que les facultés de newtype d’Amuro se réveillent, d’où le titre de cette partie – Awakening.

Artwork illustrant l'Opération British de Mobile Suit Gundam
Dernier élément d’importance, la brièveté du récit le rend assez dense, bien plus que les diverses versions animées dont de nombreux passages se montrent parfois un peu longs, ce que déplorent de nombreux nouveaux-venus à la franchise. Ainsi, des éléments fondamentaux de l’histoire et de l’univers de Gundam se voient-ils introduits dans les premiers chapitres du livre, comme les rumeurs de défaite de Zeon : non seulement le roman ne tergiverse pas avec la conclusion attendue par le public dès le début du récit, mais il présente assez vite la première raison derrière ce dénouement en pointant du doigt les luttes de pouvoir qui déchirent la fratrie Zabi, comme pour faire comprendre au plus vite au lecteur que l’essence de Gundam ne se trouve pas dans son scénario général – au fond à peu près aussi prévisible que celui de n’importe quelle histoire de guerre – mais dans des éléments bien plus humains et au final beaucoup plus passionnants, du moins pour ceux d’entre nous qui s’intéressent aux qualités littéraires d’un récit.

De même, un autre élément-clé de la franchise, le concept newtype, se voit-il vite introduit lui aussi : dès le tout premier affrontement entre Amuro et Char, ce dernier développe de lourds soupçons sur l’état de newtype du premier compte tenu des performances dont celui-ci fait preuve dans le combat de mobile suit alors que la fédération n’avait jusque-là jamais déployé de tels types d’unités – bien que le pilote du Gundam soit un bleu dans le domaine, il parvient pourtant à tenir tête à un des as les plus redoutables de Zeon, ce que les performances supérieures de sa machine ne suffisent pas à expliquer… Il en va aussi de même pour Char Aznable et sa sœur Sayla dont l’ascendance parentale, et donc le lien putride à la famille Zabi se voient assez vite présentés au lecteur : la relation pour le moins ambigüe de ces deux personnages, mais aussi leur passé trouble les rendent donc vite attachants aux yeux du lecteur qui ne peut ainsi plus douter d’avoir affaire à un récit centré autour de personnages pour le moins inhabituels. Enfin, mérite de se voir mentionné que le roman ne présente aucun « ennemi de la semaine » au contraire de la série TV dont de nombreux épisodes restent hélas assez pétris de ce syndrome narratif typique du genre « super robots » et qui ne semblaient là que pour rassurer les sponsors ; le livre, lui, va droit au but sans s’encombrer de telles digressions inutiles.

Pour un habitué de la franchise, qui a vu toutes les versions animées et leurs spin-offs, le parti-pris de ce roman apparaît donc d’abord pour le moins déroutant mais on s’y fait somme toute assez vite ; le démarrage de l’intrigue sur les chapeaux de roue y est d’ailleurs pour quelque chose, qui pousse à s’intéresser aux personnages . Ainsi se laisse-t-on emporter vers cette nouvelle direction avec pour seule compagnie les délices de l’incertitude qui accompagnent toutes les bonnes histoires : comme à son habitude, Tomino signe ici un récit de qualité, certes bref en comparaison de celui de la série TV mais néanmoins très efficace, et qu’il s’agisse de son premier livre ne gâche rien en la matière. Comme il se doit, les plus grosses surprises se produisent dans les deux derniers chapitres et vont d’ailleurs jusqu’à arracher à Amuro Ray son titre de héros de l’histoire pour le transmettre à Char Aznable, même si ce sujet divise encore les spécialistes des versions animées depuis plus de 30 ans : Tomino règle pour toujours cette ambigüité dans le roman, mais ce n’est que le roman et il y a fort à parier que certains puristes trouveront tout de même matière à continuer le débat de toutes manières…

Mais en dépit de toutes ces divergences avec les versions animées, il reste encore à déterminer si ce roman représente bien la vision originale de Tomino sur Mobile Suit Gundam, telle qu’il voulait la porter à la télévision et que l’influence des sponsors l’a amené à modifier, parfois lourdement et le plus souvent pour le pire. Bien sûr, à moins de savoir exactement ce qui se trouve dans la tête de son auteur, il va de soi qu’un tel débat ne pourra jamais trouver de conclusion satisfaisante ; pourtant, la plupart de ces écarts participent surtout à rendre le propos du récit bien plus abouti, plus précis, plus clair, et de telle sorte que ces divergences font au final de ce roman une lecture essentielle pour tous les admirateurs de Gundam.

Suite du dossier (La Colonisation de l’espace : a. La vision scientiste)

Vue d'artiste du concept de « colonie O'Neil »

(1) un type d’engin dont la taille et la conception en font un intermédiaire entre le navire de guerre et le mobile suit.

Sommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur
4. L’innovation (le présent billet)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)

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