Magazine Journal intime

Rêves sur Madagascar

Par Francois Moussirou @LESALONIVRE

Rêves sur MadagascarJ’étaisassis dans le fumoir d’un bar branché du dixième arrondissement.  Je reluquais naïvement en quête de lapotentielle demoiselle que j’essaierai de ramener chez moi. Grande illusionquand on connait les maigres chances de réussite d’une telle tentative. Cesoir-là, j’avais décidé d’être n’importe qui. J’étais lassé de jouer àl’écrivain lors de mes rencontres nocturnes. Cette fois-ci, mon ego est dans lacave. L’obscurité même. Je jouerai à l’énigmatique et surtout ressembler aucommun des mortels. « Ce soir, je serai d’une banalitébluffante ! » Enfin ! Ça c’était mon soliloque de névrosé enquête d’amour et de baise. De cliché et d’immaturité tempérée.Je n’avaismême pas fini de réfléchir qu’une demoiselle m’interrompait dans mespensées : « Aurais-tu du feu s’il te plaît ?-Biensûr !- Elles’assied et rapproche son fauteuil du mien.-   -Nous nous sommes déjà vus rétorque-t-elle.Un quart deseconde et son visage m’était revenu en mémoire.-   - Oui ! Je me souviens… Vous alliez au Silencio avec vos amis.-   - Exact…Tu m’avais passé la fin de ta clope.-   - Je ne m’en rappelle plus…En tout cas c’est pas grave !-   - C’est léger !-  - Bien vu…-  - Sinon à part la littérature que fais-tu d’autre…-  - Un peu de tout…-  - De la musique ?-   - Un peu de tout…Il y a cinq ans j’essayais de créer une marque devêtements. Je suis un touche à tout… Mais ça reste accessoire…-   -   Donc ton activité principale reste autour du texte !-  - Oui !-  - Je suis Poète !  Dit-elle-   -  Intéressant !-   -  Tu écris des poèmes toi ?-   -  Ça m’est arrivé mais maintenant ça reste sporadique. L’écritured’un recueil de poèmes requiert une telle intensité que je préfère m’éviter untel péril.-  -  Moi j’écris tout le temps…J’ai trop d’idées…Je suis voyante…-  -  Tiens donc ! Qu’est-ce que tu vois en moi ?-   -   Je vois Senghor ou Aimé Césaire…Mais plutôt Aimé Césaire pour larecherche du mot juste…-  - Merci. Tu me flattes mais je doute fort d’être à ce niveau.Encore unequi a bien appris ces fiches sur la négritude me suis-je dit.-   - Je suis voyante…Crois-moi !-  - D’accord !-  - Est-ce que tu as accès à la source ?-  -  Quelle source ?-  -   La source des idées.-  -   Qu’entends-tu par la source des idées ?-   -  L’inspiration infinie…-   -  Oh non ! j’écris peu de poèmes…bien sûr, il y en a quis’échappent tout seul mais je ne sais pas si j’ai accès à la source des idées.Toutes cesmétaphores ça me vrille le crâne. J’essayais de ne pas être trop intellobouchon dans le cul ce soir !-  -  Moi j’y ai accès. Je suis une élue.-  -  Tant mieux alors…Sinon à part la poésie…Que fais-tu ?-   -  J’ai un mécène qui me prête sa maison pour écrire en Corse. Lereste du temps   j’oscille entre le métier d’auxiliaire de vie et mes cours auxBeaux-arts. En plus j’ai une sécurité…Je vis chez ma mère.-  -  C’est sûr que pour être artiste ça aide d’avoir un point de chutemais il arrive un moment où il faut être livré à soi-même.-   - Moi j’ai besoin d’une couverture ! Ce sont les Beaux-arts quime l’offrent. Mon inspiration ce sont les enfants qui me la donnent.  
En face unejeune fille s’est installée. Elle a un sourire aux lèvres qui me laisseperplexe. Suis-je en train de passer pour un mec ridicule qui essaie de draguerou bien est-ce d’Holy Moon dont on se moque. Quoiqu’il en soit, aucune desdeux hypothèses ne me plaît. Nous méritons tous le respect. C’est comme uneprésomption d’innocence. Finalement, je reprends ma conversation.-   - Comment ça se passe avec les enfants ?-   - Je les adore. Ce qu’ils donnent c’est de l’amour et l’art estamour. Récemment,  j’ai demandé auxenfants de l’association de dessiner ce qu’ils veulent. Il y en a qui ontdessiné des arches, d’autres des arc-en-ciel ou des chevaux… A la fin de laséance, une des petites filles m’a confié qu’il ne fallait pas montrer cesdesseins car ce qu’elle a créé, est un monde imaginaire.
Holy Moonavait un tatouage au poignet gauche. Une ancre. Faut croire que le voyage mepoursuit.
-  -Ton langage est très symbolique…C’est rare ! lui ai-je dit-   - Je suis une élue et une voyante…J’ai des visions tout le temps.-   - Ce qui compte c’est de ne pas avoir peur de ce qu’on voit !-  - Attends deux secondes, je vais saluer une collègue des Beaux-Arts.Holy Moonse lève. Je l’observe. J’ai dû fumer cinq clopes à moi tout seul sans compterla vingtaine de fumeurs qui peuplent le fumoir. Bravo les lois anti-tabac.-  - Que fais-tu  après la fermeture du bar ? Dis-je-  - Je vais rentrer chez mon frère.-  - Ça te dit qu’on aille prendre un verre ailleurs.-  - Non !-  - On peut aller chez-moi si tu préfères.-  - Ok ça marche mais je ne suis pas branchée sexe !-  - Sans soucis…De toutefaçon, elle est amoureuse d’un homosexuel et ce type de personnes quand ellesaiment, elles sont prêtes à endurer la frustration.Nous avonsmarché jusqu’à un axe de grande circulation puis nous avons trouvé un taxi quiécoutait FIP à fond la caisse. Avant d’arriver dans ma piaule, j’ai acheté unebouteille de vin, du Perrier  et quelqueshors d’œuvre pour napper l’estomac. 
Une foisarrivés, elle s’est tout de suite sentie à l’aise…ça doit être à cause deslivres et du minimum de meubles qui m’entourent. Ça provoque un effet  rassurant et une sensation d’apparenteliberté ! J’étais d’ailleurs étonné que mon squat ressemble à une pièced’écriture. Mes carnets de notes étaient ouverts, des feuillets de nouvellestraînaient sur la table. D’habitude, tout ceci est rangé soigneusement comme sije n’avais jamais usé d’encre de ma vie.
Holy Moon aenlevé ses bottes puis s’est dirigée aux toilettes. J’ai ouvert la bouteille devin. J’étais persuadé de la boire tout seul comme un poivrot puisqu’ Holy Moonne buvait que du Perrier lorsque nous étions dans le bar. Elle se laissa tenterquand même tandis qu’elle tournait les pages de mon carnet.-  - Qui est Julie ?-  - Personne !-   -  J’ai cru voir le prénom Julie dans ton carnet !-   -  C’est une erreur…Puis elles’est mise à me parler de Madagascar.-  - J’ai vécu six mois à Madagascar. dit-elle-   -  Tiens donc ! Moi aussi…J’y ai vécu dix mois.-   -  Je voulais faire mes études de philosophie à Antanarivo  mais ma mère n’a pas voulu…C’était ma périodedrogue…Juste du cannabis mais c’était suffisant pour me faire péter lesplombs...-   -   Je sais dès mon arrivée à Tana, on m’a prévenu qu’il y avait uneherbe très dangereuse. De toute façon, j’étais tellement paumé qu’il m’étaitimpossible de faire quoique ce soit.-  -  Tu sais, j’ai été internée en hôpital psychiatrique. Dit-elle.-  C’est pas grave. Ai-je répondu instinctivement.Je n’ai riencontre les fous, les malades ou les décalés. J’ai moi-même touché le fond à unepériode de ma vie…Une période si difficile que j’ai dû m’exiler à Madagascar.De toute façon elle est poète et je sais un minimum ce qu’est  la poésie- Allez-vous faire foutre si vousm’entendez !- Holy Moon a tout d’une poétesse. Depuis que je l’écoute,c’est assez impressionnant. Dans le bar, elle me parlait des autistes puis ellem’a déclaré aimer voir le soleil se lever…L’attente était si longue dans satête qu’elle a pris peur. De ses propres mots, elle a disait : j’étaiscomme une autiste. Du coup, elle s’est laissée vivre et accompagnée toute lajournée par une famille marocaine. Selon elle, c’était très intéressant. Elle avisité un garage.Ensuite,elle m’a parlé de son mariage. Son thème principal quand on la rencontre. Selonces dires, elle est mariée à un griot sénégalais qui serait venu en France à lanage. De sa bouche ça sonne très folklorique mais il y a une vérité dont elleseule a le secret. Plusieurs fois dans le bar, je lui ai demandé pourquoi ellene sortait jamais avec son homme. Elle m’a rétorqué qu’entre elle et lui il nes’agissait pas d’un mariage de corps, qu’entre elle et son griot chéri,l’esprit les étaient connectés, que ce griot était son repère tout commel’ancre qu’elle porte au poignet. Entrez en profondeur !Puis ellem’a parlé de Lakhan, un malgachequ’elle a rencontré pendant son séjour à Tuléar.  C’était son guide et son amant. J’imaginequ’il a dû s’en passées des choses. J’ai cru qu’elle délirait en me parlant deson Lakhan qui veut dire pirogue en malgache. Mais elle ne pouvait pas mentirpuisqu’elle parlait la langue malgache avec cet accent même qui prouve qu’onétait en immergé dans la culture. L’homme qui lui a appris le malgaches’appelait Mario. Il avait un tatouage sur le biceps droit. Elle s’est encore serviede ça pour me raconter un rêve où elle s’est réveillée avec une blessure sur lebiceps droit. Un autre jour, ce même homme l’a allongée sur un lit dans unechambre. Il y avait des ancres sur les murs. Elle s’est endormie. Y a-t-il euviol, un acte sexuel consentie et programmé comme un rêve. A-t-elle pratiquéeun rite initiatique ? A la recherche de l’intérieur. De la forêt de sonâme. Je crois queles trois se sont passés. Le voyage nourrit même dans la perdition. Elle m’araconté son amour pour la prière. Sa mission pour le prix Nobel de la paix-Illumination !- Elle est folle amoureuse d’un poète homosexuelle soufi. Jelui ai répondu que la frustration est la base de l’amour. La connaissance estaveuglement m’a-t-elle rétorqué en fouillant dans ma bibliothèque. Elle s’estjetée sur les ouvrages de Bachelard ce psychologue des livres. C’est lephilosophe qui résume au mieux sa pensée m’a-t-elle avoué.Holy m’a luses poèmes. Amer en référence à Saint-John Perse puis un second poème dont letitre est  « Récupéré ». J’ai profité pour lui lire un de mespoèmes « L’arbre à putes »…Elle m’a demandé si j’étais capable decoucher avec une femme sans amour ni désirs…En ce qui me concerne, il y atoujours un choix et cette sélection est instinctive. Selon Holy, la pénétrationest un viol pour une femme. Pour nous les hommes, il n’y a aucun mal. Ellepense que c’est facile. Certes. J’ai une pensée pour Malcom de Chazal quiécrivait : Le vagin d’une femme est sa chambre à coucher.Holy m’araconté son entrée à l’hôpital psychiatrique. Il n’y avait aucune tristesse.Elle me racontait ceci comme si elle n’avait jamais été malade. Dès l’arrivée,on les dépossède de tout objet afin d’éviter qu’ils se tuent ou se coupent. Les« pensionnaires » doivent seulement garder un objet avec lequel ildoivent faire un dessin sur un mur. Holy me parla d’une patiente qui avaitgardé une radio qu’elle écoutait autant qu’elle en avait l’occasion. Dans sonsac, elle avait du loxapac et d’autres comprimés. Elle doit être encore soustraitement. Elle m’a parlé de sa famille, son père qui s’inspirait d’elle pourécrire et qu’il avait créé une maison d’édition avec une collection pour lajeunesse, aussi, qu’à chacune de ses crises il écrivait un nouveau roman dontun qui parlait d’une histoire de clown. Puis elle m’a encore parlé de voyance,que j’étais un esprit saint dans un corps saint et que j’avais un bel avenirdevant moi. J’ai sortitrois livres de mon étagère. Je tenais à lui conseiller ces lecturespuisqu’elles m’ont aidé lorsque j’ai touché le fonds et que j’en étais à voirla mort à chaque seconde de mon existence, lorsque j’en étais à aller prierdans des églises pour trouver le salut, lorsque l’amour m’a quitté, que lemonde physique devenait restreint par la hauteur vertigineuse de ma vision,lorsque j’ai découvert le visage de mon double, que je discutais avec les fouset les clodos dans la rue, que j’avais peur du noir, de me retrouver seul, dedevenir un homme, d’aimer autrement ou pas, de baiser sans rien vouloird’autre. J’étais un abonné à la lune, au parfum…C’était un monde mais laprofondeur n’existe pas en simultané chez les Hommes. Il faut donc apprendre à tairela Parole et sa parole. On devient sage et il est important de se coller à unnuage. Oui ! J’étais mal et j’ai été aussi loin que mon âme puisse voir etentendre. Madagascar. J’y ai trouvé et découvert un monde, du sens, du temps,de la distance et de la profondeur. Il y a eu aussi cette demoiselle dont jetais le nom...J’ y ai passé dix mois mais Mada revient toujours. Par dessilences, des plongées intérieures ou des personnes sur votre chemin.Holy lisaitdes passages de Traces de Lumière de Faouzi Skali, je la sentais partircomme à ma première lecture puis elle lut longuement à haute voix en trente-trois  morceaux de René Char. Holy me parla aussi de la princesse au petit pois deMarlène Jobert. Selon elle, celui qui a compris cette histoire a tout comprisaux femmes mais peu importe. Elle me dit : je suis ta muse. Tu peux teservir de moi pour écrire une histoire. C’était déjàamorcé, Madagascar avait propulsé mon attention. J’ai continué la conversationpour qu’elle garde son naturel symbolique. Elle me demanda de parler de moi.J’ai essayé de faire court. Et  ça nevous regarde pas lecteurs un peu trop curieux. Tout ce que vous devez savoirc’est que je galère comme un très bon écrivain. Puis nous avons dérivé sur laFrancophonie. Elle me dit : Tu sais, heureusement qu’il y a eu lesintellectuels africains pour critiquer la pensée française parce que depuisVoltaire il n’y avait plus rien…Ah l’Afrique ! Ça  m’impressionne toujours parce que là-bas ilsrespectent la philosophie alors qu’en France c’est considéré comme unediscipline de fainéants.
Elle avaitraison, dans nos sociétés hyper-industrialisées, le marketing a été sacralisé audétriment de tous les fondements…Notre bouteille de vin était terminé. Nousn’avions plus de clopes. La fatigue commençait à se faire sentir. Dans lefumoir, elle m’a affirmé qu’elle est insomniaque. Moi aussi, ça fait deux moisque je me couche à huit heures du matin. Ce soir c’était plus simple, j’avaisquelqu’un à mes côtés…Elle a pris son loxapac et ses comprimés pour le sommeilet nous nous sommes endormis.
Au réveil,je lui ai fait un thé et elle semblait en pleine forme. Elle a pris une douche,m’a laissé son numéro de téléphone et m’a remercié pour la soirée qu’on a passéensemble. Vous croyez vraiment qu’elle est folle cette femme ?

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