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Le héros selon Aragon et Baudelaire

Par Laurelineamanieux
Aujourd'hui, remontons le temps pour interroger des poètes sur la question du héros dans nos vies : ces extraits nous ont été offerts par l'écrivain Charles Ficat, merci à lui !
"Aux jours que nous vivons les héros ont péri"
Aragon, « L'Escale », dans Les Yeux d'Elsa.
Et voici, un texte de Charles Baudelaire, extrait du Salon de 1848, qui modernise le propos célèbre de La Rochefoucauld : "Il y a des héros en bien comme en mal" :
"XVIII. DE L'HÉROÏSME DE LA VIE MODERNE
Beaucoup de gens attribueront la décadence de la peinture à la décadence des mœurs. Ce préjugé d’atelier, qui a circulé dans le public, est une mauvaise excuse des artistes. Car ils étaient intéressés à représenter sans cesse le passé ; la tâche est plus facile, et la paresse y trouvait son compte.
Il est vrai que la grande tradition s’est perdue, et que la nouvelle n’est pas faite.
Qu’était-ce que cette grande tradition, si ce n’est l’idéalisation ordinaire et accoutumée de la vie ancienne ; vie robuste et guerrière, état de défensive de chaque individu qui lui donnait l’habitude des mouvements sérieux, des attitudes majestueuses ou violentes. Ajoutez à cela la pompe publique qui se réfléchissait dans la vie privée. La vie ancienne représentait beaucoup ; elle était faite surtout pour le plaisir des yeux, et ce paganisme journalier a merveilleusement servi les arts.
Avant de rechercher quel peut être le côté épique de la vie moderne, et de prouver par des exemples que notre époque n’est pas moins féconde que les anciennes en motifs sublimes, on peut affirmer que puisque tous les siècles et tous les peuples ont eu leur beauté, nous avons inévitablement la nôtre. Cela est dans l’ordre.
Toutes les beautés contiennent, comme tous les phénomènes possibles, quelque chose d’éternel et quelque chose de transitoire, – d’absolu et de particulier. La beauté absolue et éternelle n’existe pas, ou plutôt elle n’est qu’une abstraction écrémée à la surface générale des beautés diverses. L’élément particulier de chaque beauté vient des passions, et comme nous avons nos passions particulières, nous avons notre beauté.
Excepté Hercule au mont Oeta, Caton d’Utique et Cléopâtre, dont les suicides ne sont pas des suicides modernes, quels suicides voyez-vous dans les tableaux anciens ? Dans toutes les existences païennes, vouées à l’appétit, vous ne trouverez pas le suicide de Jean-Jacques, ou même le suicide étrange et merveilleux de Raphaël de Valentin.
(...)
Une livrée uniforme de désolation témoigne de l’égalité ; et quant aux excentriques que les couleurs tranchées et violentes dénonçaient facilement aux yeux, ils se contentent aujourd’hui des nuances dans le dessin, dans la coupe, plus encore que dans la couleur. Ces plis grimaçants, et jouant comme des serpents autour d’une chair mortifiée, n’ont-ils pas leur grâce mystérieuse ?
M. EUGENE LAMI et M. GAVARNI, qui ne sont pourtant pas des génies supérieurs, l’ont bien compris: – celui-ci, le poète du dandysme officiel ; celui-là, le poète du dandysme hasardeux et d’occasion ! En relisant le livre du Dandysme, par M. Jules Barbey d’Aurevilly, le lecteur verra clairement que le dandysme est une chose moderne et qui tient à des causes tout à fait nouvelles.
Que le peuple des coloristes ne se révolte pas trop ; car, pour être plus difficile, la tâche n’en est que plus glorieuse. Les grands coloristes savent faire de la couleur avec un habit noir, une cravate blanche et un fond gris.
Pour rentrer dans la question principale et essentielle, qui est de savoir si nous possédons une beauté particulière, inhérente à des passions nouvelles, je remarque que la plupart des artistes qui ont abordé les sujets modernes se sont contentés des sujets publics et officiels, de nos victoires et de notre héroïsme politique. Encore les font-ils en rechignant, et parce qu’ils sont commandés par le gouvernement qui les paye. Cependant il y a des sujets privés, qui sont bien autrement héroïques.
Le spectacle de la vie élégante et des milliers d’existences flottantes qui circulent dans les souterrains d’une grande ville
, – criminels et filles entretenues, – la Gazette des Tribunaux et le Moniteur nous prouvent que nous n’avons qu’à ouvrir les yeux pour connaître notre héroïsme.
Un ministre, harcelé par la curiosité impertinente de l’opposition, a-t-il, avec cette hautaine et souveraine éloquence qui lui est propre, témoigné, – une fois pour toutes, – de son mépris et de son dégoût pour toutes les oppositions ignorantes et tracassières, – vous entendez le soir, sur le boulevard des Italiens, circuler autour de vous ces paroles: « Etais-tu à la Chambre aujourd’hui ? as-tu vu le ministre ? N… de D… ! qu’il était beau ! je n’ai jamais rien vu de si fier ! »
Il y a donc une beauté et un héroïsme modernes !
Et plus loin: « C’est K. – ou F. – qui est chargé de faire une médaille à ce sujet; mais il ne saura pas la faire; il ne peut pas comprendre ces choses-là ! »
Il y a donc des artistes plus ou moins propres à comprendre la beauté moderne.
Ou bien: « Le sublime B… ! Les pirates de Byron sont moins grands et moins dédaigneux. Croirais-tu qu’il a bousculé l’abbé Montès, et qu’il a couru sus à la guillotine en s’écriant: « Laissez-moi tout mon courage ! » Cette phrase fait allusion à la funèbre fanfaronnade d’un criminel, d’un grand protestant, bien portant, bien organisé, et dont la féroce vaillance n’a pas baissé la tête devant la suprême machine ! Toutes ces paroles, qui échappent à votre langue, témoignent que vous croyez à une beauté nouvelle et particulière, qui n’est celle ni d’Achille, ni d’Agamemnon. La vie parisienne est féconde en sujets poétiques et merveilleux. Le merveilleux nous enveloppe et nous abreuve comme l’atmosphère; mais nous ne le voyons pas.
Le nu, cette chose si chère aux artistes, cet élément nécessaire de succès, est aussi fréquent et aussi nécessaire que dans la vie ancienne: – au lit, au bain, à l’amphithéâtre. Les moyens et les motifs de la peinture sont également abondants et variés; mais il y a un élément nouveau, qui est la beauté moderne.
Car les héros de l’Iliade ne vont qu’à votre cheville, ô Vautrin, ô Rastignac, ô Birotteau, – et vous, ô Fontanarès, qui n’avez pas osé raconter au public vos douleurs sous le frac funèbre et convulsionné que nous endossons tous ; – et vous, ô Honoré de Balzac, vous le plus héroïque, le plus singulier, le plus romantique et le plus poétique parmi tous les personnages que vous avez tirés de votre sein !"
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