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Un défi au pouvoir d’aveuglement de l’espèce…

Publié le 09 mars 2012 par Perce-Neige

Un défi au pouvoir d’aveuglement de l’espèce…Qu’est ce qu’une vie ? Et que peut la littérature, mes ami-e-s,quand plus rien, soudain, n’existe que les clignotements rouges, jaunes, des salles de réanimation ? Et puisque tout,définitivement, n’est qu’illusion, comment continuer à y croire ? Dans son Histoirede Tel Quel (Ed Seuil), que je relis ces temps-ci avec bonheur, PhilippeForest rapporte un extrait de Femmes,extrait que je m’empresse de consigner dans mon cahier bleu, espérant, cette fois, ne plus en oublierl’importance :
On le sait : au sortir d'un déjeuner avec François Mitterrand, le 25février 1980, Roland Barthes, traversant la rue des Écoles, est renversé parune camionnette et transporté à la Pitié-Salpêtrière. On pense d'abordl'accident sans réelle gravité. L'état du blessé ne suscite pas d'inquiétude.Mais il apparaît bientôt que Barthes, en vérité, se meurt. Dans un passageparticulièrement beau de Femmes,Philippe Sollers évoque sa visite, avec Julia Kristeva, à leur ami agonisant: «Dans la cour de l'hôpital, j'ai dû faire effort, plusieurs fois, pour ne pasm'évanouir. Puis je suis remonté près de lui. Salle de réanimation. Son cœurbattait là, de haut en bas, sur l'écran noir. Dernière cabine de cosmonaute.Fin du voyage, cette fois. Il était reparti très loin, tout près, à desmilliers d'années-lumière de son propre corps jeté là comme un sac, tachegrise, avec le sang coagulé autour du nez, de la bouche. Les fils enchevêtrés.Les tubes. Les boutons. Les clignotements rouges, jaunes... Les agonisants sontdevenus des sous-marins flottant jour et nuit dans on ne sait quelle transitiondure, bleutée... Je me suis tout à coup rendu compte que je m'étais mis là,debout, à prier... Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit... ln nomine Patris, et Filii, et SpiritusSancti... Ça me revenait d'un trait en pleine situation de désespoir, dedésastre... Devant l'idiotie atroce de cette fin abandonnée, celle d'un pauvre,au fond, d'un clochard... Or maintenant, dans la pièce fonctionnelle et mate,ce qui éclatait pour lui c'était la supplication ardente, la magnificencesolennelle de la messe des morts. Requiemaeternam... Rex tremendae majestatis... L'ultime et cendreuse et limoneuseet clamante demande de pardon, à bout de tout, au-delà de tout... J'ai chantéça, silencieusement, bien sûr, pour ne pas le troubler, le choquer... Iln'entendait plus rien, de toute façon, mais on ne sait pas... C'était bien ceque je pouvais faire de plus absurde, de plus éloigné des habitudes du milieuoù Werth et moi nous avions vécu... Seul acte, pourtant, à mes yeux,mélodiquement accordé au grand bruit vaseux de sa mort ».

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